Déplacement illicite d’enfant : le fond du droit de garde relève de la compétence des autorités de l’État de résidence habituelle du mineur

Publié le 08/02/2017

Le contentieux suscité par les déplacements illicites d’enfants dans un contexte international ne cesse de croître. Le texte phare en la matière est sans conteste la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. La Cour de cassation s’efforce d’en faire respecter la logique afin de garantir son efficacité. En témoigne l’arrêt du 7 décembre 2016 qui censure une cour d’appel qui a jugé que le droit marocain attribuant la garde exclusive à la mère est contraire à l’ordre public et en a conclu que le déplacement de l’enfant par la mère était illicite.

Cass. 1re civ., 7 déc. 2016, no 16-21760, PB

Les conflits familiaux et spécialement les conflits parentaux sont souvent vécus comme un drame mais le drame s’amplifie lorsqu’il prend une dimension internationale. Lorsque l’enfant est séparé de l’un de ses parents par l’autre, il risque de perdre tout contact avec une branche de sa famille, comme pris en otage dans le cadre d’une rivalité dont les raisons lui échappent. Et c’est précisément l’intérêt de l’enfant qui est au cœur du droit international privé destiné à lutter contre les enlèvements illicites d’enfants. En droit international privé commun, certains dispositifs mis en place sont préventifs. Ainsi, la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants a reconduit, en le rénovant, le système antérieur d’interdiction de sortie du territoire de l’enfant. Conformément à l’article 373-2-6 du Code civil, le juge délégué aux affaires familiales peut ordonner l’interdiction de sortie du territoire sans l’autorisation des deux parents1. Mais cela suppose que l’enfant ait sa résidence habituelle en France. Dans la plupart des hypothèses il faut recourir à des mécanismes curatifs plus ou moins efficaces car dépendant de la bonne volonté des autorités diplomatiques.

Parallèlement, plusieurs textes conventionnels bilatéraux ou multilatéraux traitent exclusivement ou non des déplacements illicites d’enfants. L’instrument majeur est la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants qui a été ratifié par plus de 90 États, dont la France et le Maroc pour l’affaire qui nous intéresse à présent.

En effet, pour que la convention s’applique, conformément à ses articles 1er et 4, l’enlèvement de l’enfant par un de ses parents doit avoir eu lieu d’un État contractant vers un autre État contractant.

Or, en l’espèce, une femme divorcée au Maroc avait quitté le territoire marocain avec son enfant, et s’était installée en France où elle avait l’intention de maintenir l’enfant.

Lorsque la Convention est applicable, elle affiche l’objectif de « protéger l’enfant (…) contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicite » dans un contexte international et de mettre en place une procédure à même « de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle »2, via une coopération entre autorités centrales spécialement instaurées dans chaque État contractant3.

Évidemment le mécanisme de retour immédiat est subordonné à une question préalable : celle du caractère illicite du déplacement de l’enfant dans un autre État. Cependant, à ce stade, il s’agit de mettre fin au trouble sans aborder le fond du conflit, contrairement à ce qu’avaient fait les juges du fond dans la présente espèce. En effet, pour qualifier d’illicite le déplacement de l’enfant hors du Maroc, et ordonner son retour, la cour d’appel avait jugé que la garde de l’enfant exclusivement accordée à la mère était contraire à l’ordre public international. De fait pour les juges du fond une telle exclusivité viole l’article 5 du protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, lequel dispose que les époux « jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leur enfant au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ».

L’arrêt de la cour d’appel est censuré par la haute juridiction sur le fondement des articles 1, 3 et 5 de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ensemble l’article 5 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Précisément, la Cour de cassation reproche aux premiers juges de s’être livrés à une appréciation du fond de l’affaire (II) en rappelant que ceux-ci devaient se limiter à la seule appréciation de l’illicéité du déplacement (I).

I – Le caractère illicite du déplacement : seule conditiondu retour de l’enfant

Selon l’article 3 de la Convention, le déplacement de l’enfant est illicite s’il consacre la violation d’un droit de garde attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ; étant précisé que ce droit de garde devait être exercé effectivement au moment du déplacement.

Parfois la notion de garde a pu faire illusion dans l’esprit de plaideurs qui soutiennent être gardiens car titulaires d’un droit d’hébergement de l’enfant. Or l’article 5 donne une définition du droit de garde qu’il faut davantage concevoir comme l’autorité parentale puisqu’il s’agit du droit « portant sur les soins de la personne de l’enfant » et du droit « de décider de son lieu de résidence ». À cet égard, la Cour de cassation retient une conception du droit de garde conforme à l’esprit de la convention4. Mais en l’espèce, ce n’est pas la notion de droit de garde qui était en cause. Les juges du fond avaient effectivement constaté que la mère, auteure de l’enlèvement, était titulaire de l’autorité parentale. Cependant, le texte de la convention vise à la fois la violation d’un droit de garde confié à un seul parent et la violation d’un droit de garde assumé conjointement. Dans la première hypothèse, l’autre parent bénéficie d’un droit de visite et peut être l’auteur d’un déplacement ou d’un non-retour illicite. En revanche, la réciproque n’est pas vraie. La décision unilatérale du parent exerçant seul l’autorité parentale de déplacer l’enfant n’est pas analysée comme la violation d’un droit de garde puisque l’autre parent ne dispose pas de l’autorité parentale. Par conséquent, à suivre ce raisonnement, la mère ne pouvait s’être livrée à un déplacement illicite de l’enfant.

La situation est alors particulièrement défavorable au parent simple titulaire d’un droit de visite alors que le préambule de la convention affiche l’objectif de garantir et de protéger le droit de visite consacré en son article 21. C’est probablement pour corriger cette situation que les juges du fond ont poursuivi la réflexion. En effet pour la cour d’appel, la loi marocaine qui attribue, en cas de divorce, la garde exclusive des enfants communs à la mère, serait à la fois contraire à la conception française de l’ordre public international qui prône l’égalité des parents dans l’exercice de leur autorité parentale et à l’article 5 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme qui pose le principe selon lequel les époux « jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leur relation avec leur enfant, au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ». Pourtant, la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà eu l’occasion de juger en 20035 que l’absence d’attribution conjointe de l’autorité parentale ne viole aucun droit fondamental. Dans cette espèce, le père naturel d’un enfant se plaignait de ce que selon le droit français, en vigueur avant la réforme du 4 mars 20026, il s’était vu refuser l’exercice de l’autorité parentale et ne pouvait s’opposer au déplacement de l’enfant par la mère. Toutefois, la Cour avait relevé qu’en vertu de l’ancien article 374 du Code civil « le parent naturel non investi de l’autorité parentale avait la possibilité de demander au juge la modification de l’attribution de l’autorité parentale ». La Cour de justice européenne a également statué en ce sens7.

Dans la présente affaire, la cour d’appel a considéré que l’article 171 du Code de la famille marocain attribuait la garde exclusivement à la mère et partant heurtait l’ordre public. Cependant, encore aurait-il fallu vérifier que le père n’avait aucune possibilité d’obtenir une modification de cette décision. Cela dit la question n’était pas posée devant la Cour de cassation.

Quoi qu’il en soit, on peut s’étonner que le père, représentant légal de l’enfant en vertu de la loi marocaine, n’ait pas soulevé un autre argument devant la cour d’appel – argument qui aurait probablement abouti à un ordre de retour incontestable. En effet, il semble qu’en vertu de l’article 179 du Code marocain de la famille, le père doive obligatoirement donner son autorisation à une sortie du territoire de l’enfant. À défaut de ce consentement, ledit représentant et le ministère public peuvent demander au tribunal d’interdire à la personne qui assure la garde d’entreprendre ce voyage, soit lors de l’examen de l’attribution de la garde, soit par une décision ultérieure8. Or, dans une telle hypothèse, la Cour de cassation a déjà adopté une interprétation extensive de l’article 5 de la Convention de La Haye de 1980 qui définit le droit de garde comme le droit de décider du lieu de résidence de l’enfant. De la sorte, elle a pu considérer que celui qui dispose d’un droit de veto au déplacement de l’enfant peut invoquer une violation de son droit de garde alors qu’aucune loi ni décision judiciaire ne lui aurait attribué expressément l’autorité parentale conjointement avec l’autre parent9. Il est donc étonnant que le requérant n’ait pas songé à développer cet argument. Les juges du fond auraient pu alors ordonner le retour sans encourir le grief d’avoir jugé le fond de l’affaire quant à la titularité du droit de garde. Toutefois, il faut relever qu’en l’espèce, apparemment aucune décision n’était intervenue au Maroc concernant l’attribution d’un droit de veto.

II – La question de la titularité du droit de garde : compétence exclusive du juge de la résidence habituelle du mineur

Assurément, la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 n’a pas pour objet la compétence judiciaire ou la loi applicable pour statuer sur la dévolution de l’autorité parentale. Ce volet relève en effet de la Convention du La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, en vigueur en France depuis le 1er février 2011.

La Convention relative aux aspects civils de l’enlèvement international d’enfant se focalise sur un mécanisme de coopération entre autorités des États parties. Toutefois, le rapport explicatif du texte10 met en lumière deux règles de compétence qui découlent implicitement de la logique du mécanisme de coopération mis en place par la convention. D’une part, il revient aux autorités de l’État de refuge de se prononcer sur la demande de retour, et, d’autre part, ce sont les autorités de l’État de résidence habituelle avant l’enlèvement du mineur qui sont seules compétentes pour statuer sur le fond du droit de garde.

La Cour de cassation a d’ailleurs exprimé ce principe très clairement dans un arrêt du 25 janvier 200511, duquel il ressort que les autorités de l’État où se trouve l’enfant ne peuvent statuer au fond jusqu’à ce qu’il soit établi que les conditions pour un retour de l’enfant ne sont pas réunies. Dès lors, il n’est pas surprenant que la cour d’appel qui s’est interrogée sur le bien fondé de la solution retenue par le droit marocain soit censurée par la Cour de cassation, et ce, même si aucune décision n’avait été rendue dans le pays de résidence car il résulte de l’article 3 que la source du droit de garde importe peu (loi, décision de justice ou même accord entre parents). Cela nous paraît tout à fait propre à conférer au mécanisme de la convention sa pleine efficacité. Le juge de l’État de refuge doit en effet voir son pouvoir de décision très circonscrit car c’est le juge d’une procédure d’urgence. D’ailleurs, en France, la demande de retour est instruite et jugée en la forme des référés12.

En dernière analyse, on peut se demander pourquoi en l’espèce la demande n’a pas été formulée sur le fondement de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 qui s’applique dans les relations entre la France et le Maroc. Certes cette convention est plus connue pour ces dispositions relatives au mariage et au divorce mais son article 25 prévoit que le juge de l’État où l’enfant a été déplacé doit ordonner, à titre conservatoire, le retour immédiat de l’enfant, sous réserve de deux exceptions ayant trait au caractère non effectif de la garde ou à l’existence d’un risque grave pour la santé et la sécurité de l’enfant. À notre connaissance, cette disposition n’a été invoquée qu’une fois en 200213, alors que le Maroc n’était pas encore partie à la Convention de La Haye. En outre, elle retient un système très semblable à celui de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 bien que moins abouti.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Talarico L., « L’interdiction de sortie du territoire de l’enfant sans l’accord des deux parents, exigence légale ou pouvoir du juge ? », Dr. famille 2011, étude 11. Pour une illustration : Cass. 1re civ., 16 déc. 2015, n° 15-10442 : RTD civ. 2016, p. 95, note Hauser J.
  • 2.
    Convention, art. 1er.
  • 3.
    En France, il s’agit du bureau du droit de l’Union, du droit international privé et de l’entraide civile dépendant de la direction des affaires civiles du ministère de la Justice.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 14 déc. 2005, n° 02-12934 : Rev. crit. DIP 2006, p. 619, note Gallant E. – Cass. 2e civ., 2 déc. 2015, n° 14-25015 : Gaz. Pal. 19 avr. 2016, n° 262x0, p. 78.
  • 5.
    CEDH, 2 sept. 2003, n° 5683800, Guichard c/ France : Dr. famille 2004, comm. 98 ; Gouttenoire A., in AJ fam. 2004, p. 384 ; Hilt P., « L’intérêt supérieur de l’enfant, clé de voûte de la protection européenne des relations parents-enfants ».
  • 6.
    L. n° 2002-305, 4 mars 2002, art. 8.
  • 7.
    CJUE, 5 oct. 2010, n° C/400-2010, PPU : Europe année, comm. 447 ; Idot L., in JCP G 2010, 1327, note Boulanger F.
  • 8.
    Guide pratique du Code de la famille, disponible à l’adresse suivante : http://www.asfad.org/wp-content/uploads/2012/02/Guide_pratique_du_code_de_la_famille-marocain.pdf.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 24 juin 2015, n° 14-14909 : JCP G 2015, note Gallant E. ; LPA 30 sept. 2015, p. 11, note Legrand V.
  • 10.
    Perez Vera, Rapport explicatif sur la convention de La Haye de 1980 sur l’enlèvement international d’enfants, Actes et documents de la 14e session, t. 3, n° 16, p. 427.
  • 11.
    Cass. 1re civ., 25 janv. 2005, n° 02-17411 : Bull. civ. I, n° 36 ; Dr. famille 2005, comm. 201, obs. Farge M. ; Rev. crit. DIP 2006, p. 127, note Gallant E.
  • 12.
    CPC, art. 1210-5.
  • 13.
    Cass. 1re civ., 9 juill. 2002, nos 01-13336 et 01-15423 : AJ fam. 2002, p. 345, obs. S.D.B ; Rev. crit. DIP 2003, p. 466, note Gallant E.
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