L’autonomie contractuelle sous le prisme du droit international privé et comparé : pouvoir absolu ou relatif ?

Publié le 17/10/2023
Homme signant un contrat sur une table
Pitchayaarch/AdobeStock

Dans la sphère du droit international des contrats, deux approches distinctes se dessinent : l’une favorisant la liberté de choix des parties, tandis que l’autre privilégie une autonomie plus restreinte. Cette dualité reflète la mutation de l’économie mondiale, marquée par une compétition à la fois entre les entreprises et entre les différents systèmes juridiques.

Indéniablement, la mondialisation1 du droit des affaires pose diverses difficultés. Si l’autonomie contractuelle semble la pierre angulaire du commerce international, il reste qu’une question divise les plus éminents juristes et la doctrine la plus autorisée depuis de nombreuses années en France comme outre-Atlantique : jusqu’où la volonté des parties s’étend-elle réellement lorsqu’il s’agit de choisir la juridiction et la loi applicable au contrat ?

Pour le professeur Story2, c’est le souhait des cocontractants qu’il faut privilégier par rapport au lieu d’exécution des conventions. En revanche, le professeur Beale, son collègue à Harvard, contestait l’octroi « d’un pouvoir si extraordinaire dans les mains de deux individus quelconques »3. D’où l’enjeu de cet article qui analyse la problématique récurrente de savoir si les parties ont tout pouvoir dans le choix du droit étranger. N’appartient-il pas aux juges de se livrer à un examen circonstancié de chaque clause dans un objectif de protection des plus vulnérables ? Faut-il privilégier l’autonomie individuelle4 ainsi qu’une liberté contractuelle5 absolue, au détriment du principe de souveraineté territoriale6 ? Cette réflexion est cruciale car l’une des parties peut retirer un avantage stratégique non négligeable, si le litige est porté devant une juridiction spécifique. Après avoir analysé le principe d’autonomie contractuelle qui caractérise le paradigme libéral, mais aussi ses prémisses théoriques et juridiques (I), il conviendra de mettre en lumière la liberté relative des parties à travers l’étude des clauses d’élection de for et de lois applicables (II), en se fondant notamment sur l’analyse de la jurisprudence récente des pays de common law. Par-delà l’utilité de la démarche comparatiste, l’intérêt de cette étude est double : à la fois analyser les difficultés pratiques liées aux clauses contractuelles à travers la jurisprudence américaine et celle des différents pays et réfléchir à la meilleure rédaction possible des clauses des contrats internationaux.

I – Regard comparatiste sur le principe d’autonomie contractuelle : entre diversité des traditions juridiques et environnement économique

Il importe d’analyser les présupposés philosophiques de l’autonomie contractuelle, avant de se pencher sur les références historiques, doctrinales, juridiques mobilisées pour la justifier, mais aussi pour la critiquer. Ce principe est essentiel dans la mesure où le droit des contrats commerciaux, plus que toute autre branche, repose sur un exercice continuel de calculs stratégiques et de prospective.

Le poids du principe dautonomie des parties. D’un point de vue philosophique, selon Kant, les individus possèdent la capacité de raisonner. Par voie de corollaire, ils ont la compétence de décider. Il considérait l’autonomie comme un alliage de liberté et de raison. Sous cet angle, il déclarait que le libre arbitre individuel, notion universelle, appartenait à toute personne en tant qu’être rationnel. Il s’opposait en cela à Hegel pour lequel le droit n’avait de substance que dans la volonté souveraine de chaque État. D’un point de vue juridique, historiquement, que ce soit en Égypte ou en Grèce, en décidant de la langue du contrat, les parties avaient ainsi le pouvoir de choisir directement le for compétent pour leur litige et indirectement la loi applicable. Quant à la Cour de cassation française, elle soutenait en 1910 que la loi gouvernant les contrats, que ce soit pour leur formation, leurs effets ou leurs conditions, était la loi choisie par les parties7. Dans les litiges impliquant le droit des contrats, pour réduire au maximum les risques liés à la saisine d’une juridiction d’un autre pays et à l’application du droit étranger, il est utile de prévoir8 des clauses d’élection de for et de choix de loi9. Elles favorisent la concurrence entre les ordres juridiques, qui sont puissamment incités à ce que leurs normes conservent un large pouvoir d’attraction pour les cocontractants, dans un espace économique mondialisé et ultra-compétitif.

La consécration au niveau international. Dans le secteur des affaires, la liberté contractuelle et le respect de la volonté des parties favorisent la prévisibilité10 des décisions. Plus encore, elles permettent de dépasser la pluralité des desiderata et revendications étatiques sur les lois applicables11. Le principe d’autonomie est présent dans la majorité des textes internationaux comme l’article 6 de la convention de Vienne, sur la vente internationale de marchandises, la convention de La Haye, sur les contrats d’intermédiaires et à la représentation, la convention de Mexico de 198012 et la convention de La Haye de 1955, sur la loi applicable à la vente internationale de marchandises. Celle-ci a ainsi favorisé l’harmonisation de la réglementation des États contractants sur l’autonomie des parties en matière d’accords d’élection de for. Le choix des parties ne se limite pas à la loi d’un État, mais peut concerner « des règles de droit généralement acceptées au niveau international, supranational ou régional comme étant neutres »13. Elles peuvent ainsi opter pour les principes d’Unidroit, relatifs aux contrats du commerce international, ou les principes du droit européen des contrats.

Éléments de droit comparé pour un choix éclairé. De nos jours, le Code civil québécois14, russe15, le droit japonais16 et le règlement Rome I prévoient la possibilité de telles clauses. Selon ce dernier, les cocontractants peuvent faire un choix différent à diverses parties de l’accord17. En droit français, dans le droit fil de la doctrine, la Cour de cassation a considéré que « les clauses prorogeant la compétence internationale sont en principe licites, lorsqu’il s’agit d’un litige international »18 et « lorsque la clause ne fait pas échec à une compétence territoriale impérative d’une juridiction française »19. Les juges du fond20 ne peuvent les écarter sans justifier de quelle manière elles ne respectent pas les conditions posées par l’article 48 du Code de procédure civile. En Europe, si les parties peuvent choisir une loi différente, elles conservent la protection des lois impératives de leur État d’origine.

Les règles applicables dans les pays de common law. Il existe la même philosophie en vertu de la théorie de la « properlaw of contract »21 qui est définie comme le « système juridique par lequel les parties ont voulu que le contrat soit régi ». Pourtant, à l’origine, certains grands juristes anglais (Dicey22) et américain (Beale23) y opposaient une certaine résistance. La jurisprudence anglaise, à rebours de la doctrine, était favorable à l’autonomie des individus qui pouvaient prévoir la loi qui gouvernait le conflit, sans qu’il y ait de liens avec les parties ou le litige24.

En Angleterre. En l’absence de choix exprès ou implicite de loi, la common law déduit la loi la plus adéquate en examinant avec quel pays le contrat a son lien le plus substantiel25. Pour cela, les tribunaux doivent tenir compte des divers éléments du contrat, tel l’endroit où il a été conclu, le lieu d’exécution, la nationalité des parties et la monnaie de la transaction. Une clause ambiguë ou dénuée de sens ne sera pas prise en compte26, tout comme celle qui reporte tout choix de loi jusqu’à ce qu’un litige soit survenu27. S’agissant des clauses relatives au choix de la juridiction anglaise, il faut préciser que les tribunaux sont tenus d’exciper d’un motif sérieux pour refuser leur compétence28. Cela a été rappelé à maintes reprises par la jurisprudence récente29. Par ailleurs, malgré sa sortie de l’Union européenne, l’Angleterre reste soumise aux règlements Rome I et Rome II, sur la loi applicable aux relations contractuelles, et donc au principe cardinal de liberté contractuelle (art. 3 (1)).

Analyse du système juridique américain. Il a connu une profonde évolution puisque le principe d’autonomie est désormais considéré comme « la règle internationale privée la plus largement acceptée », un « droit fondamental », voire un principe « irrésistible »30. Après avoir été rejetée par le premier Restatement, la théorie de l’intention des parties a finalement été adoptée par le second Restatement de 1971, qui dispose : « La loi de l’État choisi par les parties pour régir leurs droits et devoirs contractuels sera appliquée ». La doctrine majoritaire actuelle soutient que les problématiques relatives à la force exécutoire et l’interprétation des contrats devraient être gouvernées par la loi fixée par les parties31. Toutefois, la section 187 du second Restatement sur les conflits de lois32 limite la capacité des cocontractants. Dans le même sens, la majorité des États américains appliquent actuellement l’Uniform commercial Code (UCC), paragraphe 1-105, qui impose un « rapport raisonnable » entre le contrat et l’État de la loi choisie.

Lappréciation dun rapport raisonnable. Les tribunaux prennent en considération à la fois le lieu de résidence des parties ainsi que celui d’exécution du contrat. Si ce dernier ne contient pas de dispositions valables sur le choix de la loi applicable, c’est le droit de la juridiction ayant une « relation appropriée » avec la transaction qui s’appliquera (UCC, § 1-301(b)). Il faut entendre par là, la loi ayant « la relation la plus significative » avec l’affaire en cause (In re Merritt Dredging Co., 839 F.2d 203, 206, 4th Cir., 1988). Cependant, cet impératif change d’un État à l’autre et peut donc être interprété de manière différente selon les juridictions. Ainsi, celui de New York autorise les cocontractants à choisir ses lois pour encadrer leurs accords si ceux-ci ont un enjeu financier d’au moins 250 000 $, même si la transaction n’a aucun lien avec l’État. Dans le Delaware, le montant du contrat doit être d’au moins 100 000 $. Précisons que, à défaut de rapport raisonnable, c’est souvent la loi de l’État qui prévaut33.

Conseils rédactionnels. Pour éviter tout conflit, il faut être vigilant dans la rédaction. Ainsi, il est conseillé d’éviter les formules comme « le contrat doit être “interprété” conformément aux lois d’un État », mais il faut lui préférer le terme « gouverné ». Les conséquences légales ne sont pas les mêmes34. Ainsi, cela témoigne de l’intention des parties d’utiliser l’ensemble des règles du droit des contrats du for choisi, et pas seulement la partie relative à l’interprétation des contrats.

II – Les clauses d’élection de for et de lois applicables : pouvoir de choix absolu ou limité ?

Il convient de réfléchir aux avantages et aux inconvénients des clauses d’élection de for et de lois applicables, manifestation de l’autonomie contractuelle. Sont-elles une expression réelle du pouvoir d’autodétermination des parties sur le plan international ? Nous allons démontrer que, même si ces dernières sont a priori un facteur de stabilité, elles ne sont pas forcément en accord avec ce qui est juridiquement considéré comme étant dans le meilleur intérêt des cocontractants, ce qui justifie un certain nombre de restrictions.

Une acceptation en demiteinte ? Les exigences de courtoisie internationale, de respect de la compétence des tribunaux étrangers, ainsi que le besoin de prévisibilité inhérent au commerce transfrontalier favorisent clairement l’application des clauses d’élection de for et d’élection de lois. Toutefois, ces dernières ne font pas l’objet d’un consensus généralisé. Le Brésil tout comme l’Argentine avaient refusé pendant longtemps aux cocontractants la liberté de choisir la loi qui sera utilisée dans les contrats commerciaux35. Le Brésil a ainsi signé la convention interaméricaine sur la loi applicable aux contrats internationaux, mais ne l’a jamais ratifiée. Quant à la constitution de l’Argentine, elle protège le cocontractant en position de faiblesse. Ainsi, en vertu du principe d’égalité, une clause qui permettait à une banque suisse de porter un litige face à ses clients devant un tribunal suisse a été écartée36. En Chine, si les parties disposent de cette possibilité37, il reste que cette faculté est limitée puisque la Cour suprême y est hostile. Elle a imposé aux juridictions inférieures de ne pas appliquer les accords de choix de loi en l’absence d’une disposition expresse de la loi chinoise en ce sens. Au Nigéria, malgré la présence de clauses prévoyant qu’un litige sera tranché par un tribunal d’un autre pays, les juges conservent le pouvoir de régler le différend38.

La validité des clauses. Par ailleurs, il faut souligner que pour être exécutoires, les clauses de choix de loi doivent identifier sans ambiguïté la loi d’une juridiction spécifique pour régir l’accord. Dans le cas contraire, la disposition peut ne pas être mise en œuvre comme l’a illustré l’affaire IntegraOptics Inc. c/ Nash (2018 WL 2244460 (N.D. N.Y., 2018)). Les tribunaux fédéraux n’appliquent pas une norme uniforme concernant la validité des clauses de choix de loi, mais utilisent dans la plupart des cas les règles diverses façonnées par chaque État.

Pour être valides et considérées comme exécutoires, de telles clauses doivent faire partie du contrat et refléter l’accord mutuel des parties. C’est ce qui a été souligné dans les affaires TransTec Asia Triton et In re Facebook Biometric Information PrivacyLitigation, et BrassReminders Co., Inc. c/ RT Engineering Corp. (2020 WL 2772076 (E.D. Ky. 2020)). Et, si les conditions générales contenant les clauses ne font pas partie du contrat, celles-ci seront inapplicables.

Un examen approfondi aux ÉtatsUnis. Les tribunaux américains vérifient si la clause d’élection de la loi est contenue dans un contrat d’adhésion rédigé unilatéralement par la partie en position de force, ce qui confère à celle-ci un caractère non négociable. Le caractère libre et volontaire du choix opéré et l’assistance d’un avocat sont également des éléments importants. Enfin, les juridictions examinent si l’intérêt de l’État l’emporte matériellement sur les principes fondamentaux de la liberté contractuelle. La présomption de validité de ces clauses est particulièrement forte pour les transactions commerciales internationales39, mais peut être écartée en démontrant qu’elles sont « déraisonnables » (ITEC, Inc. c/ Centroid Systems, Inc., 2018 WL 705314 (S.D. N.Y., 2018)). Les vices du consentement et la fraude40 sont aussi un motif pour y faire échec.

Au Canada. Il en va de même puisque ces clauses sont aussi valables dans les contrats commerciaux sauf contrariété à l’ordre public41 ou vice du consentement. Une mauvaise compréhension des termes du contrat a pour effet l’annulation d’une clause d’élection de for42. Le même sort leur est réservé en cas de menaces, de pression ou d’inégalité remarquable du pouvoir de négociation43. Plus précisément, elles sont présumées valides à moins que la partie qui s’y oppose puisse démontrer que l’application serait déraisonnable et injuste, ou que la clause était invalide pour des raisons telles que la fraude ou l’excès44.

Une garantie (in)certaine pour les parties ? Ces clauses ne sont pas toujours une garantie absolue. D’une part, l’une des parties peut soutenir que le contrat est invalide ou n’a jamais existé. D’autre part, elles peuvent parfois être écartées par les juges étrangers car contraires à l’ordre public45. C’est ce que prévoit l’article 11, alinéa 3, de la convention de La Haye qui dispose qu’un « tribunal ne peut exclure l’application d’une disposition de la loi choisie par les parties que si et dans la mesure où le résultat de cette application serait manifestement incompatible avec les notions fondamentales d’ordre public du for ». Trois conditions sont requises : 1) une incompatibilité manifeste, 2) avec les notions fondamentales d’ordre public et 3) qui découle de l’application de la loi au litige. Cela s’inscrit dans la tradition des pays de common law selon laquelle les juges reconnaissaient les effets du droit étranger, sauf si ce dernier contredisait un principe fondamental de justice, une conception prédominante des bonnes mœurs ou une tradition profondément ancienne.

Les difficultés concrètes liées à l’ordre public du for. Il n’est pas un instrument inflexible, mais intrinsèquement fluctuant, ce qui donne lieu à des critiques. Pour certains, il apparaîtrait comme « un cheval indiscipliné qui entraîne vers des destinations imprévues »46. En effet, cette notion est source d’insécurité pour les parties aux contrats internationaux, puisque les règles changent d’un pays à l’autre. C’est un principe variable car les conceptions fondamentales évoluent avec le temps. Ses contempteurs soutiennent qu’il ne devrait pas restreindre l’autonomie des parties sur le choix de la loi applicable, par exemple dans la sphère de l’arbitrage commercial international qui doit être tributaire d’un ordre public d’application universelle et non nationale. De plus, cette notion peut être appliquée de façon arbitraire. Ainsi, le même contrat d’affaires peut être exécuté dans un tribunal et déclaré nul dans un autre, ce qui génère des distorsions dans l’application de la loi. Par ailleurs, l’ordre public fait parfois l’objet d’une interprétation trop extensive, dans la mesure où il inclut des principes juridiques et moraux parfois sans relation avec l’objet du contrat. Enfin, il peut entrer en contradiction avec le principe de liberté contractuelle.

Les valeurs fondamentales du for dans les pays de common law. D’un point de vue pratique, comme le soulignent les décisions américaines récentes, les clauses de choix de loi47 sont généralement reconnues48, tant qu’elles ne violent pas l’ordre public du lieu où le contrat est exécuté. Dans l’État de Californie, par exemple, c’est à la partie qui s’oppose à l’application de la disposition relative au choix de la loi de démontrer que la législation de l’État choisi est contraire à une valeur fondamentale de la Californie49.

Les clauses asymétriques : objectif commercial légitime ou ombre d’autonomie contractuelle ? Quoi qu’il en soit, ces clauses ne vont pas sans poser de nombreuses difficultés, surtout lorsqu’elles prévoient la possibilité pour une partie d’ester en justice uniquement devant une seule juridiction, tout en laissant à l’autre un éventail plus large. En effet, le cocontractant en situation de force peut imposer à l’autre le choix50 qui lui est le plus favorable. Étant précisé que le plus vulnérable51 peut soit ne pas négocier en raison de sa situation de faiblesse52, soit ne pas lire le contrat dans son intégralité. Il est prisonnier entre deux écueils : le Charybde de l’ignorance et le Scylla de l’acceptation forcée d’une disposition. Une clause d’élection de for peut être considérée comme abusive en raison du peu d’information fournie sur les conséquences de l’utilisation de cette dernière, ou lorsque la portée de ces clauses n’est pas explicitée avec clarté. Dans un contrat d’adhésion, la signature du contrat par l’une des parties ne signifie pas automatiquement qu’elle ait accepté la stipulation relative au choix de juridiction ou de loi. Le professeur Cachard souligne en ce sens que « l’autonomie de la volonté n’est plus qu’un paravent destiné à dissimuler les rapports de force »53. La Cour de cassation54 a reconnu la validité des clauses asymétriques, c’est-à-dire celles conférant plus de pouvoir à l’une des parties et qui ont un caractère unilatéral. Toutefois, elle s’oppose à celles qui ne contiennent « aucun renvoi à une règle de compétence en vigueur dans un État membre ni aucun élément objectif suffisamment précis pour identifier la juridiction qui pourrait être saisie, de sorte qu’elle ne répondait pas à l’objectif de prévisibilité »55. Quant aux pays de common law, les juridictions anglaises56 comme américaines57 n’invalident pas systématiquement ces clauses. En vertu de l’adage Pacta sunt servanda, un simple déséquilibre entre les cocontractants ne fait aucune différence pour l’exécution. En revanche, ces clauses ont été tantôt acceptées58, tantôt écartées par les tribunaux russes qui les jugent parfois ineffectives59. En Inde, la haute cour de Delhi a jugé que les clauses asymétriques étaient invalides60. En Chine61, les tribunaux sont assez réticents dès lors que le for choisi n’a pas une connexion réelle avec le litige62. Il est donc essentiel d’être vigilant et de vérifier que la clause de juridiction choisie est exécutoire en vertu de la loi applicable au contrat, et ce, singulièrement lorsqu’elles ont un caractère asymétrique.

Ainsi, il apparaît que le droit international des contrats met aux prises deux conceptions : l’une qui confère un large pouvoir de choix aux parties et l’autre qui privilégie une approche plus restrictive. L’économie mondiale semble évoluer sous l’impulsion d’une double concurrence : celle des entreprises et celle des ordres juridiques. Si l’harmonisation des règles du droit international paraît souhaitable dans une optique de meilleure prévisibilité des décisions de justice et de sécurité juridique des transactions, elle est encore loin d’être évidente en droit des contrats. Cette étude a démontré que le principe d’autonomie des parties dans le choix des lois applicables n’est pas universellement accepté selon les pays. Il peut encourager le forum shopping et entraîner une certaine iniquité. De plus, il se révèle incompatible avec l’identification de la loi la plus appropriée au litige. Malgré les avancées du droit européen et international, dans un souci de protection, la régulation des clauses d’élection de for63 et de lois applicables relève encore d’une approche casuistique. Et ce, d’autant plus que la validité et l’application de ces clauses apparaissent tributaires du droit de chaque juridiction en Europe comme outre-Atlantique.

Notes de bas de pages

  • 1.
    R. Cavalieri et V. Salvatore, An introduction to international contract law, avr. 2019, Giapicelli.
  • 2.
    J. Story, Commentaries on the Conflict of Laws, Foreign and Domestic, 1834, Hilliard, gray and company, Boston. J. Story était juge à la Cour suprême des États-Unis. Il est à l’origine du premier Restatement of conflict of laws (1934).
  • 3.
    J. Beale, What law governs the validity of a contract, vol. 23, 1909, Harvard Law Review, p. 260, § 261.
  • 4.
    S. Symeonides, « L’autonomie de la volonté dans les principes de la Haye sur le choix de la loi applicable en matière de contrats internationaux », Rev. crit. DIP 2013, p. 807.
  • 5.
    B. Ancel, « L’encadrement de la liberté contractuelle en droit comparé : vers une reconfiguration de l’office du juge », RLDC 2019, n° 172.
  • 6.
    P. Borchers, « Categorical Exceptions to Party Autonomy in Private International Law », 82 Tul. L. Rev. 1645, 2008.
  • 7.
    Cass. civ., 5 déc. 1910 : S. 1911, n° 1, p. 129.
  • 8.
    Sur l’autonomie des parties, v. conv. de Rome, 1980, art. 3(3) – Restatement of the Law (Second), 1971, § 187(2).
  • 9.
    C. Fountoulakis, « The Parties’Choice of “Neutral Law” in International Sales Contracts », European Journal of Law Reform, vol. VII, n° 3/4, 2005, p. 303 à 329.
  • 10.
    P. Hay, « Flexibility versus Predictability and Uniformity in Choice of Law : Reflections on Current European and United States Conflicts Law », vol. 226, in Collected Courses of the Hague Academy of International Law, 1991, 281.
  • 11.
    Vita Food Products Inc. c/ Unus Shipping Co, 1939, A.C. 277.
  • 12.
    L’article 7 de la convention de Mexico précise que « le contrat sera régi par la loi choisie par les parties. L’accord des parties sur ce choix doit être exprès ou, dans le cas d’absence d’accord exprès entre les parties, il doit résulter clairement de la conduite des parties et des conditions contractuelles prises dans leur ensemble ».
  • 13.
    Article 3 sur le choix de lois applicables.
  • 14.
    C. civ. québécois, art. 3111.
  • 15.
    C. civ. russe, art. 1210(5).
  • 16.
    L’article 7 du Tsûsoku-hô prévoit que la formation et l’effet des actes juridiques sont encadrés par la loi choisie par les parties.
  • 17.
    Rome I, art. 3, 1. Elles peuvent aussi modifier le choix de loi après la conclusion de l’accord (Rome  I, art. 3, 2).
  • 18.
    Cass. 1re civ., 17 déc. 1985, n° 84-16338. Sur les conditions de validité, v. Cass. com., 28 oct. 2008, n° 07-17149 – Cass. 2e civ., 7 juin 2012, n° 11-13105.
  • 19.
    V. aussi Cass. 1re civ., 25 nov. 1986, n° 84-17745, Siaci : Rev. crit. DIP 1987, p. 396.
  • 20.
    Cass. com., 18 sept. 2007, n° 05-21395.
  • 21.
    Vita Food Products Inc. c/ Unus Shipping Co, 1939, A.C. 277, 289-290.
  • 22.
    A. V. Dicey, A Digest of the Law of England with Reference to the Conflict of Laws, 1896, Stevens and Sons, p. 540.
  • 23.
    J. Beale, What law governs the validity of a contract, vol. 23, 1909, Harvard Law Review.
  • 24.
    Vita Food Products Inc. c/ Unus Shipping Co, 1939, A.C. 277.
  • 25.
    Spiliada Maritime Corporation c/ Cansulex Ltd, 1987, AC 460 – Perform Content Services Ltd c/ Ness Global Services Ltd, 2021, EWCA Civ 981.
  • 26.
    Compagnie D’Armement Maritime SA c/ Compagnie Tunisienne de Navigation, 1971, A.C. 572.
  • 27.
    Sonatrach Petroleum Corporation (BVI) c/ Ferrell International Ltd, 2002, All E.R. (Comm.) 627.
  • 28.
    Queen’s Bench Division, United Kingdom, 27 nov. 1989 : Lloyd’s Law Report, vol. 1, 1990, part. 5, p. 454.
  • 29.
    Royal Bank of Scotland plc c/ National Westminster Bank plc, 2013, EWHC 2642 – Deutsche Bank AG c/ Sebastian Holdings Inc., 2017, EWHC 2365 – Excalibur Ventures LLC c/ Texas Keystone Inc., 2017, UKSC 59.
  • 30.
    T. M. de Boer, « Party Autonomy and Its Limitations in the Rome II Regulation », in Yearbook of Private International Law, 2008, 9, 19 ; R. J. Weintraub, « Functional Developments in Choice of Law for Contracts », in Collected Courses of the Hague Academy of International Law, vol. 187, 1984,239, 271.
  • 31.
    J. Zachary Courson, « Yavuz v. 61 MM, Ltd : A New Federal Standard-Applying Contracting Parties’ Choice of Law to the Analysis of Forum Selection Agreements », 85 Denv. U. L. Rev. 597, 2008.
  • 32.
    Restatement of the Law (Second), 1971, § 187.
  • 33.
    Lloyd c/ Navy Federal Credit Union, 2018, WL 1757609 (S.D. Cal. 2018) – Viridis Corporation c/ TCA Global Credit Master Fund, LP, 721 Fed. Env. 865, R.I.C.O. Bus. Disp. Guide (CCH) P 12990, 11th Cir., 2018.
  • 34.
    Pour les débats sur la question, v. K. Minolta Bus, Solutions c/ Lowery Corp., n° 15-11254, 2016, U.S. Dist. LEXIS 160383 (E.D. Mich., 18 nov. 2016) – M.C. c/ Jiminy Peak Mt. Resort, LLC, n° 13-30119-MGM, n° 13-30108-MGM, 2016, U.S. Dist. LEXIS 116504 (D. Mass., 30 août 2016) – Fin. Cas. & Sur., Inc. c/ Parker, n° H-14-0360, 2015, U.S. Dist. LEXIS 148360 (S.D. Tex., 2 nov. 2015) – Folkening c/ Petten, 22 N.E.3d 818, 820 (Ind. Ct. App., 2014).
  • 35.
    V. de Oliveira Mazzuoli et G. Boger Prado, « L’autonomie de la volonté dans les contrats commerciaux internationaux au Brésil », Rev. crit. DIP 2019, p. 427.
  • 36.
    CA nationale commerciale, 22 juin 2005 : JDI 2008, p. 204.
  • 37.
    Chinese PIL Act, art. 41.3.
  • 38.
    Sonnar LTD c/ Norwind, 1987.
  • 39.
    Roby c/ Corporation of Lloyd’s, 996 F.2d 1353, Fed. Seconde. L. Rep. (CCH) P 97458, R.I.C.O. Bus. Disp. Guide (CCH) P 8307, 2d Cir., 1993.
  • 40.
    Stone c/ Fleet Mortgage Corp., 4th Cir., 1991 – Ingres Corp. c/ CA, Inc., Del, 8 A.3d 1143, Del, 2010.
  • 41.
    JDI 2011, p. 163.
  • 42.
    M. Pavlovi, Contracting Out o fAccess to Justice : Enforcement of Forum - Selection Clauses in Consumer Contracts, 62 MCGILL L.J. 389, 395, 2016 ; Castel & Walker : Canadian Conflict of Laws, 6th Edition, 2005 ; v. aussi Quebec Superior Court Argyle Medical Distributors Inc. c/ Salts Healthcare Limited, 2021 QCCS 4156.
  • 43.
    Douez c/ Facebook, Inc., 2017, SCC 33 (CanLII), 1 SCR 751.
  • 44.
    The Bremen c/ Zapat a Off-Shore Co., 407 U.S. 1, 15, 1972.
  • 45.
    A. Sinay-Cytermann, L’ordre public en matière de compétence judiciaire internationale, t. I, thèse, 1980, Strasbourg, p. 52 et s. et p. 88.
  • 46.
    J. Katzenbach, « Conflicts on An Unruly Horse : Reciprocal Claims and Tolerances in Interstate and International Law », 65 Yale L.R. 1087, 1956.
  • 47.
    Prestige Oilfiled Services, LLC c/ Devon Energy Production Company, L.P, 2019 WL 764669 (D.N.M 2019).
  • 48.
    Instructional Sys, Inc. c/ Comput. Curriculum corp, 130 N.J.324, 614 A.2d 124, 133 (1992).
  • 49.
    Tri-Union Seafoods, LLC c/ Starr Surplus Lines Ins., 88 F. Supp. 3d 1156, 1166 (S.D. Cal. 2015) – Wash. Mut. Bank, FA c/ Superior Court, 15 P.3d 1071, 1078-79 (Cal. 2001) – McKinney c/ Google, Inc., n° C 10-01177 JW, 2010 WL 11489027.
  • 50.
    Rencontre doctorale du CRDI, H. Gaudemet-Tallon (prés.), « L’efficacité des clauses attributives de for en droit international », 9 juin 2016, Université Paris II Panthéon-Assas.
  • 51.
    F. Mailhé, « Les clauses attributives de compétence asymétriques dans les relations d’affaires », RDIA 2018, n° 1, p. 422.
  • 52.
    B. Ancel, « Le dilemme de la violence économique en droit comparé : acceptation forcée du contrat ou mort financière ? », RLDC 2021/195, n° 6980.
  • 53.
    O. Cachard, Droit international privé, 2021, Bruylant, p. 113.
  • 54.
    Pour plus de détails sur les clauses d’élection de for asymétriques, v. Cass. com., 11 mai 2017, n° 15-18758 – Cass. 1re civ., 7 févr. 2018, n° 16-24497.
  • 55.
    Cass. 1re civ., 3 oct. 2018, n° 17-21309, SCI Saint-Joseph c/ Dexia Banque international.
  • 56.
    NB Three Shipping Ltd c/ Harebell Shipping Ltd, 2004, EWHC 2001 (Comm) – Law Debenture Trust Corporation PLC c/ Elektrim Finance BV, 2005, EWHC 1412 (Ch) – Lornamead Acquisitions Limited c/ Kaupthing Bank HF, 2011, EWHC 2611 (Comm) – Mauritius Commercial Bank Ltd c/ Hestia Holdings Limited, 2013, EWHC 1328 (Comm) – Barclays Bank PLC c/ Ente Nazionale, 2015, EWHC 2857 (Comm).
  • 57.
    Future Industries of America c/ Advanced UV Light (2011) ; pour déterminer la validité des clauses d’élection de for, les tribunaux américains se fondent sur les tests posés dans la décision Global seafood Inc v. Bantry Bay Mussels LTD USA (2011).
  • 58.
    Trib. fédéral d’arbitrage du district de Moscou, 22 déc. 2009, n° KG-A40/11983-09 – Trib. fédéral d’arbitrage du district de Moscou, 23 déc. 2009 n° KG-A40/13340-09 – Trib. fédéral d’arbitrage du district de Moscou, 12 janv. 2010, n° KG-A40/14014-09.
  • 59.
    ZAO Russkaya Telephonnaya Companiya (RTC) c/ Sony Ericsson Mobile Communications Rus, Resolution 831/12.
  • 60.
    Union of India c/ Bharat Engineering Corporation, 1977, ILR, 2 Del 57.
  • 61.
    W. Liang, « Unilateral Jurisdiction Clauses under Chinese law », 2015,JIBLR 341 345.
  • 62.
    V. aussi China Railway (Hong Kong) Holdings Ltd c/ Chung Kin Holdings Co Ltd, 2023, WL 1056.
  • 63.
    D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, 2017, PUF, Thémis, n° 858.
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