Précisions sur l’application de la convention de Lugano du 30 octobre 2007

Publié le 06/01/2025
Précisions sur l’application de la convention de Lugano du 30 octobre 2007
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L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 novembre 2024, destiné à la publication, présente deux intérêts. Il revient sur le champ d’application de la convention de Lugano et sur le régime de reconnaissance et d’exécution qu’elle instaure. Dans la continuité de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation confirme qu’une décision rendue par une juridiction de répression relève tout de même du régime simplifié de reconnaissance et d’exécution de la convention pour ses aspects civils. En outre, elle affirme que la convention ne subordonne pas la déclaration constatant la force exécutoire de la décision étrangère au caractère irrévocable de celle-ci. Effectivement, l’article 38 de la convention de Lugano exige seulement le caractère exécutoire de la décision dans son État d’origine.

Cass. 1re civ., 27 nov. 2024, no 23-13.795

Il n’est pas si fréquent que la Cour de cassation se prononce sur l’application de la convention de Lugano, aussi l’arrêt rendu le 27 novembre 2024 mérite que l’on s’y intéresse.

Il se prononce sur le champ d’application matériel de la convention ainsi que sur le régime de la reconnaissance et l’exécution des jugements rendus dans un autre État contractant.

Pour mémoire, la convention de Lugano du 30 octobre 2007, dite Lugano II, lie l’Union européenne et la Suisse, la Norvège et l’Islande.

En effet, au lendemain de l’adoption de la convention de Bruxelles le 27 septembre 1968, les États membres de la Communauté européenne se sont retrouvés dotés de règles uniformes de compétence et de reconnaissance et d’exécution des décisions, instituant ainsi un espace de libre circulation des jugements. Devant les avantages d’un tel instrument, des États tiers, membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE), ont souhaité s’y associer. Cela a conduit à l’adoption, en 1988, de la convention de Lugano qui reprenait pour l’essentiel les principales règles posées par la convention de Bruxelles. Lorsque celle-ci a fait l’objet d’une refonte et a été remplacée par le règlement n° 44/2001, dit règlement Bruxelles I, l’Union européenne et les États parties à la convention de Lugano ont négocié une seconde mouture de cette convention et ont donné naissance en 2007 à la convention de Lugano II dont le contenu est aligné sur celui du règlement Bruxelles I. Il faut cependant noter qu’alors que la convention Lugano II entrait en vigueur le 1er janvier 2010 pour l’Union européenne, le Danemark et la Norvège, le 1er janvier 2011 pour la Suisse, et le 1er mai 2011 pour l’Islande ; le règlement Bruxelles I allait être rapidement remplacé par le règlement Bruxelles I bis applicable depuis le 17 janvier 2015. Il en résulte donc un décalage avec les dispositions de Lugano II1, de sorte que si, au sein de l’UE, les décisions provenant d’autres États membres sont désormais directement exécutoires sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire2, il n’en va pas de même s’agissant d’un jugement émanant d’une juridiction d’un État tiers lié par la convention de Lugano II, tel qu’un jugement suisse. Dans ce cas, en effet, pour que la décision rendue en Suisse acquière force exécutoire en France, il est nécessaire de procéder à une requête en déclaration de force exécutoire auprès du directeur de greffe du tribunal judiciaire3. À ce stade, il n’y a pas de débat contradictoire, et l’autorité requise ne peut pas examiner les motifs éventuels de refus de reconnaissance et d’exécution qui sont listés sous les articles 34 et 35 de la convention de Lugano4.

La partie contre laquelle l’exécution est requise ne peut présenter ses observations que dans un second temps, si elle forme un recours à l’encontre de la décision du greffier.

C’est dans ce contexte qu’une partie condamnée par un jugement rendu en Suisse tentait de s’opposer à son exécution en France.

Un couple avait constitué une société en Suisse en 2001, laquelle avait par la suite créé un fonds de placement avec deux sociétés soumises au droit des îles Caïmans. Après quelques années, le fonds de placement puis les deux sociétés furent mises en liquidation judiciaire. Manifestement, les fondateurs n’étaient pas exempts de tout reproche car les deux sociétés les ont poursuivis devant les juridictions répressives suisses. La chambre pénale d’appel et de révision de la cour de justice du canton de Genève a reconnu la culpabilité des deux époux au titre de diverses malversations et a prononcé des sanctions pénales à leur encontre. Elle les a également condamnés, sur l’action civile, conjointement et solidairement, à payer certaines sommes aux sociétés.

Les sociétés ayant obtenu en France une déclaration constatant le caractère exécutoire de la décision suisse en ce qui concerne les chefs relevant de la matière civile sur le fondement de la convention de Lugano, l’épouse du fondateur a fait appel. Elle arguait, d’une part, que la convention de Lugano était inapplicable en l’espèce et, d’autre part, qu’en tout état de cause le jugement suisse ne pouvait être déclaré exécutoire en France, faute de n’avoir pas fait l’objet d’une notification ou d’une signification au défendeur car il n’était pas définitif.

N’ayant pas eu gain de cause devant la cour d’appel, l’épouse du fondateur se pourvoit en cassation. La Cour de cassation devait donc se prononcer sur le champ d’application matériel de la convention de Lugano de 2007 et sur les motifs de refus de reconnaissance et d’exécution prévus par le texte.

I – Retour sur le champ d’application rationae materiae de la convention de Lugano de 2007

Le champ d’application de la convention de Lugano est défini en son article 1er, paragraphe 1, comme couvrant la matière civile et commerciale, ce qui exclut la matière pénale. D’ailleurs, dans le cadre de la convention de Bruxelles, la CJCE5 avait affirmé qu’une affaire dans laquelle il y aurait « l’intervention d’une autorité publique agissant dans l’exercice de la puissance publique » ne relève pas de la matière civile et commerciale. Or, un jugement pénal fait intervenir une autorité publique dans le plein exercice de sa puissance publique, par conséquent, il devrait se trouver exclu du champ d’application de la convention de Lugano. Selon la demanderesse au pourvoi, la condamnation à payer des dommages et intérêts ayant été prononcée dans le cadre d’une instance pénale, la convention de Lugano n’était pas applicable à la demande d’exécution de l’arrêt rendu le 2 décembre 2010 par la cour de justice, chambre pénale d’appel et de révision de Genève.

Néanmoins, cette approche était vouée à l’échec. Qu’il s’agisse de la convention de Bruxelles ou du règlement Bruxelles I dont s’inspire la convention de Lugano II, la cour de justice a précisé que, même si une action civile se greffe sur une instance pénale, cette action exercée en réparation du préjudice causé par suite d’une infraction pénale conserve son caractère civil6. Effectivement, une telle action a pour objet de trancher un litige opposant des personnes privées quant à l’indemnisation d’un préjudice dont l’une s’estime victime à cause des agissements répréhensibles de l’autre. Le rapport juridique entre les litigants est un rapport de droit privé qui relève de la notion de matière civile et commerciale7.

Un argument vient d’ailleurs corroborer cette conclusion. L’article 5 qui énonce des règles spéciales de compétence prévoit en son quatrième paragraphe que, dans le cadre d’une action en réparation de dommage ou d’une action en restitution fondées sur une infraction, le défendeur peut être attrait devant le tribunal saisi de l’action publique, dans la mesure où, selon sa loi, ce tribunal peut connaître de l’action civile. Si une telle règle est concevable, il faut bien convenir que l’action civile dans le cadre d’une instance pénale relève bien du champ d’application de la convention.

La cour d’appel avait d’ailleurs étayé sa décision en invoquant cet article 5, paragraphe 4, ce que le pourvoi conteste car étaient en cause la reconnaissance et l’exécution d’une décision déjà rendue et non pas une question de compétence directe pour statuer sur une action civile liée à une instance pénale. La Cour de cassation considère que ce motif est surabondant. Certes, mais, en tout état de cause, ainsi que le souligne la Cour de cassation, l’article 1, paragraphe 1, qui définit le champ d’application matériel de la convention de Lugano n’opère pas de distinction entre son titre II, relatif à la compétence, et le titre III, relatif à la reconnaissance et l’exécution. En outre, l’article 1, paragraphe 1, précise clairement que, ce qui compte, c’est la nature civile ou commerciale de la question litigieuse, quelle que soit la nature de la juridiction saisie. Celle-ci peut donc très bien être une juridiction pénale.

La Cour de cassation approuve donc les juges du fond et se conforme à la position de la cour de justice. Elle confirme ainsi que la nature mixte d’une décision n’empêche pas l’application du régime simplifié de reconnaissance et d’exécution de la convention de Lugano aux seuls aspects civils.

À vrai dire, la Cour de cassation s’était déjà prononcée en ce sens dans un arrêt rendu le 30 janvier 20198 à propos d’une affaire dans laquelle un jugement suisse avait prononcé une condamnation pénale et alloué au demandeur une certaine somme au titre des frais de justice.

Dès lors que la convention de Lugano était applicable, le pourvoi dévoilait une dernière carte en se prévalant d’un motif de refus d’exécution.

II – Retour sur les motifs de refus de reconnaissance et d’exécution

À l’instar du règlement Bruxelles I, la convention de Lugano prévoit un contrôle très allégé de la décision rendue dans un État dans le cas où une partie tente de s’opposer à sa reconnaissance ou son exécution dans un autre État contractant.

Seuls certains motifs limitativement énumérés peuvent être invoqués.

Effectivement, en vertu de l’article 45 de la convention de Lugano, il n’est possible de révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l’un des motifs de non-reconnaissance énoncés aux articles 34 et 35, étant précisé que toute révision de la décision au fond est exclue.

Il en résulte que le jugement émanant d’un autre État partie ne pourra recevoir exécution :

• s’il est contraire à l’ordre public international de l’État requis ;

• s’il s’agit d’un jugement rendu par défaut lorsque l’acte introductif d’instance n’a pas été signifié en temps utile au défendeur défaillant, à moins que celui-ci n’ait pas exercé recours contre ledit jugement alors qu’il était en mesure de le faire ;

• s’il est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans l’État requis ;

• s’il est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État, qu’il soit partie à la convention ou non, mais qui réunit toutes les conditions pour être reconnue dans l’État requis ;

• et, de manière résiduelle, lorsque le juge d’origine s’est déclaré compétent en violation de certaines règles de compétence, principalement protectrices des parties faibles ou bien lorsque le défendeur à l’action est domicilié dans un état partie à la convention mais tiers à l’UE et que le juge d’origine s’est déclaré compétent sur le fondement de règles différentes de celles de la convention de Lugano.

En l’espèce, le pourvoi se prévalait de l’article 34, paragraphe 2, relatif au respect des droits du défendeur défaillant, alors qu’en réalité les juges du fond avaient constaté que la demanderesse au pourvoi avait été représentée à l’instance ayant donné lieu à la décision de condamnation en Suisse et qu’elle avait intenté plusieurs voies de recours contre cette décision. À vrai dire, cet article était plutôt le prétexte pour développer un autre argument. Le raisonnement était le suivant. Puisque le défendeur doit avoir pu exercer des voies de recours, il faut s’assurer que la décision rendue est exécutoire et définitive. Or, les juges du fond n’avaient constaté que le caractère exécutoire du jugement suisse alors qu’ils auraient également dû s’assurer de son caractère définitif.

Le pourvoi tentait maladroitement de faire feu de tout bois.

Sous couvert de motif de refus d’exécution, il s’agissait en réalité de remettre en cause la recevabilité de la requête en déclaration de force exécutoire et d’ajouter une condition, à savoir le caractère définitif de la décision rendue, en plus de son caractère exécutoire.

La Cour de cassation recentre donc le débat et rappelle que, selon l’article 38 de la convention de Lugano, la seule condition pour obtenir une déclaration de force exécutoire est, sous condition d’absence de motif de refus de reconnaissance et d’exécution, de produire un certificat, visé à l’article 54, émanant du juge d’origine et attestant de son caractère exécutoire dans l’état d’origine.

En effet, sous l’empire du système de Bruxelles I ou de Lugano II, il suffit que la décision soit susceptible d’exécution forcée dans son État d’origine, ce qui exclut les décisions frappées d’un recours suspensif d’exécution (mais ce n’était visiblement pas le cas d’espèce). Pour preuve, la convention de Lugano9 prévoit que la partie contre laquelle l’exécution est poursuivie peut demander, le cas échéant, au juge de l’État requis de surseoir à statuer dans l’attente de la confirmation de la décision du juge d’origine lorsqu’un recours ordinaire a été intenté à son encontre dans l’État d’origine.

Éventuellement, le pourvoi aurait pu tenter de contester le caractère exécutoire de la décision en suisse. De fait, sous l’empire du règlement Bruxelles I, la cour de justice a eu l’occasion de préciser à propos d’une déclaration de force exécutoire d’un jugement rendu par défaut que le certificat établi dans l’État d’origine n’avait qu’une portée indicative et que, au cas où le défendeur en conteste le contenu, il appartient au juge de l’État requis de vérifier la concordance entre les informations figurant dans ledit certificat et les preuves apportées par l’intéressé10.

Mais, en tout état de cause, ce n’est pas au juge requis de vérifier d’office que selon le droit de l’État d’origine la décision est bien exécutoire. On peine donc à comprendre l’objectif du pourvoi.

Notes de bas de pages

  • 1.
    À l’occasion de sa deuxième séance (le 25 septembre 2013), le comité permanent a examiné une adaptation éventuelle de la convention de Lugano à la nouvelle version du règlement Bruxelles I (n° 1215/2012), mais il n’a pas fait de recommandation ni arrêté de nouvelles démarches.
  • 2.
    PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, 12 déc. 2012, art. 39. V. aussi A. Benois et G. Brasier-Porterie, « Règlement n° 1215/2012 Bruxelles I bis : la suppression de la procédure d'exequatur », Gaz. Pal. 28 févr. 2015, n° 214w2, p. 13.
  • 3.
    CPC, art. 509-2.
  • 4.
    CJUE, 13 oct. 2011, n° C-139/10, Prism Investments c/ Jaap Anne van der Meer, pt 30 : Rec. CJUE 2011, p. I-9511.
  • 5.
    CJCE, 14 oct. 1976, n° 29/76, LTU Lufttransport unternehmen GmbH & Co. KG c/ Eurocontrol : Rec. CJCE, p. 1541, Rev. crit. DIP 1977, p. 772, note G. A. L. Droz.
  • 6.
    CJCE, 21 avr. 1993, n° C-172/91, Sonntag : AJDA 1994, p. 286, chron. H. Chavrier, E. Honorat et P. Pouzoulet ; Rev. crit. DIP 1994, p. 96, note H. Gaudemet-Tallon.
  • 7.
    CJUE, 22 oct. 2015, n° C-523/14, Aannemingsbedrift Aertssen NV et Aertssen Terrassements SA : Dalloz actualité, 2 nov. 2015, obs. F. Mélin ; RTD com. 2015, p. 781, obs. A. Marmisse-d'Abbadie d’Arrast.
  • 8.
    Cass. 1re civ., 30 janv. 2019, n° 17-28.555 : Dalloz actualité, 18 févr. 2019, obs. F. Mélin.
  • 9.
    Convention de Lugano, art. 46.
  • 10.
    CJUE, 6 sept. 2012, n° C-619/10, Trade Agency Ltd c/ Seramico Investments Ltd. : Procédures 2012, n° 12, comm. 353, C. Nourrissat.
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