Réglement Bruxelles II bis : compétence fondée sur la présence de l’enfant sur le territoire d’un État membre
En matière de responsabilité parentale dans un contexte international, l’article 13 du règlement Bruxelles II bis (repris à l’article 11 du règlement Bruxelles II ter applicable depuis le 1er août 2022) prévoit une règle de compétence subsidiaire fondée sur la seule présence de l’enfant dans l’hypothèse où il se révèle impossible d’établir l’État dans lequel se trouve sa résidence habituelle. La Cour de cassation a précisé que ce texte ne vise pas seulement l’absence de résidence habituelle dans un État membre. Pour qu’il s’applique, il faut véritablement que l’enfant n’ait aucune résidence habituelle, ce qui se justifie pleinement au regard du caractère subsidiaire de cette règle de compétence.
Cass. 1re civ., 1er juin 2023, no 21-18257
Le règlement Bruxelles II bis relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale ainsi que son successeur, le règlement Bruxelles II ter, applicable aux instances introduites à compter du 1er août 2022, prévoient des règles de compétence en matière de responsabilité parentale conçues pour assurer une certaine proximité avec l’enfant et, partant, mieux protéger ses intérêts1. Ainsi, l’article 8.1 du règlement Bruxelles II bis2 accorde une compétence de principe aux juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant réside habituellement au moment de la saisine du juge.
Cependant, compte tenu d’un contexte de mobilité croissante au sein de l’Union européenne, le règlement prévoit l’hypothèse d’un changement de résidence habituelle. Dans ce cas, il résulte de son article 9 que les juridictions de l’État de l’ancienne résidence restent compétentes pendant trois mois à compter du déménagement pour modifier une décision sur le droit de visite rendue avant le déménagement dans cet État.
Malgré tout, il arrive que certaines situations soient plus complexes. Effectivement, il reste envisageable qu’un enfant quitte un État vers un autre mais que sa présence dans ce nouvel État ne soit pas encore suffisamment stabilisée pour que l’on puisse considérer qu’il y a acquis une nouvelle résidence habituelle au moment où le juge est saisi. Dans une telle hypothèse, l’article 13 du règlement Bruxelles II bis pose une règle de compétence résiduelle fondée sur la seule présence de l’enfant sur le territoire d’un État membre. Néanmoins, cette compétence subsidiaire n’est concevable que sous conditions. C’est sur ce point que la Cour de cassation a dû se prononcer dans son arrêt du 1er juin 2023.
En l’espèce, un couple se marie en Espagne en 2006. Deux enfants naissent de cette union. La famille se fixe au Costa Rica avant que le couple ne se sépare en 2018. Le mari s’installe en France, tandis que l’épouse part vivre aux États-Unis avec les enfants.
Le 26 juin 2019, Monsieur saisit un juge aux affaires familiales (JAF) d’une demande de divorce en France. Ce dernier statue sur la question de la résidence des enfants communs. L’épouse soulève alors une exception d’incompétence qui est rejetée par les juges du fond. Devant la Cour de cassation, la mère des enfants invoque le règlement Bruxelles II bis, précisément l’article 13 en vertu duquel, lorsque la résidence habituelle de l’enfant ne peut être établie et que la compétence ne peut être déterminée sur la base de l’article 12, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes. Or en l’espèce, les enfants étant présents en Espagne depuis dix-huit mois, la cour d’appel aurait dû considérer que les juridictions espagnoles étaient compétentes et, partant, décliner sa propre compétence.
Pour suivre l’argumentation du pourvoi il convient de rappeler que l’article 17 du règlement Bruxelles II bis impose au juge de vérifier sa compétence et de se déclarer d’office incompétent s’il constate que les juridictions d’un autre État membre sont compétentes.
Néanmoins, la Cour de cassation rejette le pourvoi qui repose sur une interprétation erronée de l’article 13. Pour la haute juridiction, « l’article 13 prévoit ainsi une règle de compétence subsidiaire fondée sur la seule présence de l’enfant dans l’hypothèse où il s’avère impossible d’établir l’État dans lequel se trouve sa résidence habituelle », peu important qu’il s’agisse d’un État tiers ou d’un État membre. Par conséquent, « ayant constaté que les enfants avaient leur résidence habituelle aux États-Unis au moment où le juge aux affaires familiales avait été saisi, la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche sur l’application de l’article 13 du règlement Bruxelles II bis » et elle approuve les juges du fond qui ont rejeté l’exception d’incompétence internationale de la juridiction française en application de l’article 14 du règlement. À notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce sur l’application de cette disposition. Elle en rappelle le caractère subsidiaire et les conditions d’application (I). Par ailleurs, l’arrêt permet de revenir sur le champ d’application résiduel des règles de droit international privé français lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est susceptible d’être compétente (II).
I – Subsidiarité de la compétence fondée sur la présence de l’enfant
À vrai dire la demanderesse au pourvoi tentait de faire feu de tout bois. En effet, elle se prévalait aussi de la règle de principe de l’article 8, paragraphe 1 du règlement, lequel fonde la compétence des tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel l’enfant à sa résidence habituelle. Elle soutenait que les juges du fond avaient constaté que la résidence habituelle des enfants se situait désormais en Espagne et qu’ils y étaient présents depuis dix-huit mois. Une telle affirmation aurait été pertinente si l’article précité ne précisait pas que la résidence habituelle s’apprécie au moment de la saisine de la juridiction. Si, postérieurement à cette saisine, l’enfant acquiert une nouvelle résidence à l’étranger, cela n’a aucune incidence. Or à cette date, la résidence habituelle des enfants était fixée aux États-Unis. En outre, même s’il est incontestable que les enfants sont présents sur le territoire espagnol, la seule présence physique ne suffit pas à caractériser une résidence habituelle3. Effectivement, la résidence habituelle de l’enfant doit être constatée en considérant tous les facteurs susceptibles de traduire une intégration dans un environnement social et familial. Il convient donc de prendre en compte de multiples critères tels que la scolarisation de l’enfant, l’acquisition d’un logement par les parents, les rapports familiaux dans l’État… En tout état de cause, il s’agit d’une appréciation de fait qu’il n’appartient pas à la Cour de cassation de juger. En l’espèce, au jour de la saisine du juge aux affaires familiales, la cour d’appel a considéré que les enfants résidaient de manière habituelle aux États-Unis.
Dès lors, il restait une dernière carte à jouer, à savoir invoquer la compétence fondée sur la présence physique des enfants sur le territoire espagnol. Toutefois, ce chef de compétence subsidiaire prévu par l’article 13 du règlement Bruxelles II bis implique de vérifier deux conditions.
La première concerne l’absence de résidence habituelle et la seconde tient à l’absence de prorogation de compétence qui pourrait être déterminée sur la base de l’article 12.
S’agissant de l’absence de prorogation de compétence, elle ne faisait aucun doute en l’espèce. Pour mémoire, l’article 12 du règlement Bruxelles II bis laisse une place à la volonté des parties dans deux hypothèses. D’une part, le texte permet de regrouper devant le juge du divorce – dont la compétence est régie par l’article 3 du règlement Bruxelles II bis – les conflits connexes sur la responsabilité parentale et, d’autre part, en dehors de toute procédure de divorce, l’article 12 admet la compétence des juridictions d’un État membre avec lequel l’enfant a un lien étroit du fait, en particulier, que l’un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle ou que l’enfant est ressortissant de cet État membre. Mais encore faut-il que cette prorogation de compétence soit expressément acceptée par les intéressés et qu’elle soit dans l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’espèce, il est manifeste qu’il n’y a eu aucune acceptation de la part de la mère qui, au contraire, a soulevé une exception d’incompétence4.
Ce qui posait un problème dans l’affaire commentée était la condition d’absence de résidence habituelle. Deux interprétations de l’article 13 sont envisageables.
Si l’on adopte une conception extensive du champ d’application du règlement Bruxelles II bis, on pourrait considérer que, dans la mesure où le texte prévoit une compétence de principe aux juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle, en l’absence de résidence habituelle dans un État membre, il faut appliquer l’article 13 dès lors que l’enfant est simplement présent sur le territoire d’un État membre, et ce afin de fonder la compétence des juridictions de cet État. C’est manifestement le point de vue du pourvoi. Néanmoins, cela aurait pour effet d’européaniser un litige qui, initialement, est extracommunautaire. En outre, une telle solution ne prend aucunement en considération l’intérêt supérieur de l’enfant. Or précisément, les règles de compétence établies par le règlement Bruxelles II bis sont conçues pour servir l’intérêt de l’enfant. À cette fin, le critère de proximité induit par la résidence habituelle est primordial5. Toute dérogation à cette règle de principe doit donc être strictement appréciée.
Dès lors, une autre interprétation s’impose. Ce n’est qu’en l’absence de résidence habituelle, quelle que soit sa localisation, que subsidiairement on se contente de la simple présence de l’enfant sur le territoire d’un État membre. C’est cette interprétation que la Cour de cassation fait prévaloir. Elle a en outre le mérite de s’en tenir à la lettre du texte.
La solution vaudrait également sous l’empire du règlement Bruxelles II ter qui consacre la même règle subsidiaire en son article 11.
En l’absence de compétence d’une juridiction d’un État membre, il convient alors d’en revenir aux règles de compétence de droit commun ainsi que le prévoit l’article 14 du règlement Bruxelles II bis.
II – Compétence résiduelle des juridictions françaises fondée sur le droit commun
La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir rejeté l’exception d’incompétence en application de l’article 14 du règlement Bruxelles II bis.
En définitive, l’article 14 prévoit « que lorsqu’aucune juridiction d’un État membre n’est compétente en vertu des articles 8 à 13, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État ». En d’autres termes, si la juridiction d’un État membre considère que sa compétence n’est pas fondée en application du règlement mais qu’aucune autre juridiction d’un État membre n’est susceptible d’être compétente, alors la juridiction saisie n’est pas obligée de se déclarer incompétente, elle vérifie sa compétence en fonction des dispositions de sa loi nationale.
S’agissant du juge français, il y a lieu de souligner qu’en l’absence d’exception d’incompétence, ce dernier peut (et non pas doit) d’office décliner sa compétence (territoriale) en matière contentieuse dans les litiges relatifs à l’état des personnes6.
En l’espèce, la mère des enfants ayant soulevé une exception d’incompétence, les juges du fond étaient tenus de vérifier leur compétence en application des règles de droit international privé commun.
Or, en matière de compétence internationale, il est acquis, depuis les arrêts Pelassa7 et Scheffel8, que les règles de compétence internationale procèdent de l’extension des règles de compétence territoriale interne à l’ordre international.
S’agissant de la responsabilité parentale, en droit commun, on admet que lorsque le juge français est compétent pour statuer sur un divorce à dimension internationale, il l’est aussi pour statuer sur les questions connexes relatives à la garde des enfants9. À cet égard, il convient de préciser qu’en matière de divorce international, la jurisprudence a étendu l’article 1070 du Code de procédure civile, de telle sorte que les juridictions françaises sont internationalement compétentes si la résidence de la famille se trouve en France, à défaut, lorsque les époux sont séparés, si l’époux qui habite avec les enfants mineurs réside en France dès lors qu’il exerce l’autorité parentale, seul ou en commun avec l’autre époux et, enfin, à défaut si ces conditions ne sont pas remplies, si l’époux qui n’est pas à l’origine de la demande réside en France10. En l’espèce, aucun de ces critères n’étant rempli, il ne restait plus qu’à appliquer subsidiairement l’article 14 ou l’article 15 du Code civil11, lesquels donnent compétence aux juridictions françaises lorsque le demandeur ou le défendeur sont français. Ainsi, c’est probablement sur le fondement de la nationalité française du demandeur ou du défendeur que le JAF avait été saisi.
La solution était donc imparable. Il n’en reste pas moins que la mère pourra par la suite saisir le juge espagnol pour modifier la décision sur la garde des enfants, si tant est que ces derniers acquièrent une résidence habituelle en Espagne.
Notes de bas de pages
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1.
Guide pratique pour l’application du règlement Bruxelles II bis, p. 23, § 3.2, https://lext.so/RX5OIn.
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2.
V. aussi Cons. UE, règl. n° 2019/1111, 25 juin 2019, dit Bruxelles II ter, art. 7.1.
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3.
CJUE, 17 oct. 2018, n° C-393/18 : AJ fam. 2018, p. 680, note C. Roth ; Dr. famille 2019, comm. 69, obs. A. Devers ; RTD eur. 2018, p. 759, note V. Egéa.
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4.
On soulignera à cet égard que les juges du fond ne se contentent pas du fait qu’aucune des parties n’a soulevé l’exception d’incompétence pour considérer qu’il y a eu prorogation de compétence. Il faut véritablement une acceptation expresse ou tout du moins non équivoque. En ce sens : CA Nîmes, 13 mai 2009, n° 07/00559.
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5.
Cons. UE, règl. n° 2201/2003, 27 nov. 2003, préambule, cons. 12.
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6.
CPC, art. 75.
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7.
Cass. 1re civ., 19 oct. 1959 : Bull. civ. I, n° 415 ; D. 1960, p. 37, note G. Holleaux ; Rev. crit. DIP 1960, p. 215, note Y. Loussouran.
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8.
Cass. 1re civ., 30 oct. 1962, n° 61-11306 : D. 1963, p. 109, note G. Holleaux ; Rev. crit. DIP 1963, p. 387, note M. Francescakis.
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9.
Cass. 1re civ., 6 janv. 1987, n° 85-13621 : Rev. crit. DIP 1988, p. 337, note Y. Lequette ; D. 1987, p. 467, note J. Massip.
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10.
Cass. 1re civ., 13 janv. 1981, n° 79-10693 : Rev. crit. DIP 1981, p. 331, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1981, p. 360, note A. Huet.
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11.
Cass. 1re civ., 19 nov. 1985, n° 84-16001 : JDI 1986, p. 719, note A. Huet ; D. 1986, p. 362, note J. Prévault.
Référence : AJU009j9