Hauts-de-Seine (92)

Geneviève Nicolas, conciliatrice de justice : « Quand la porte s’ouvre, je ne sais jamais ce que l’on va me demander » !

Publié le 26/01/2023

Geneviève Nicolas est présidente de l’Association des conciliateurs de justice de la cour d’appel de Versailles. Ancienne juriste dans le milieu bancaire, elle a prêté serment comme conciliatrice de justice en 2014 et nommée à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine (92). Auxiliaire de justice bénévole, elle a pour mission de trouver une solution amiable à un différend entre une ou plusieurs parties, qu’elles aient ou non déjà saisi un juge. Rencontre.

Actu-Juridique : Quel est votre parcours et pourquoi êtes-vous devenue conciliatrice de justice ?

Geneviève Nicolas : Je suis juriste de formation, avec un Master en droit. J’ai travaillé pendant 42 ans dans une très grande entreprise, Crédit Agricole SA, où j’étais spécialisée en droit bancaire et financier. J’ai également été enseignante à l’université Panthéon-Assas (Paris 2). À la fin de ma carrière, j’ai obtenu un Master 2 en psychologie et sociologie. Lorsque je suis arrivée à la retraite à 62 ans, j’ai cherché une occupation pour me rendre utile. Je me suis souvenue que j’avais demandé une aide à la conciliatrice de justice de ma ville et qu’elle m’avait bien aidée. J’ai alors eu l’idée : pourquoi ne pas devenir conciliatrice ?

Actu-Juridique : Quel était le processus de recrutement ?

Geneviève Nicolas : Il y a des vérifications de moralité et de compétences. Il faut un diplôme ou une expérience juridique. J’ai eu un entretien avec un commissaire de police de ma ville, ce qui implique un petit délai pour être nommé. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Après la prestation de serment, nous sommes nommés dans un ressort de tribunal, souvent d’un tribunal de proximité où l’on a des permanences qui sont dans une ou plusieurs communes. Personnellement, j’ai été nommée à Montrouge. Souvent, nous ne sommes pas nommés dans nos communes pour des raisons de liberté laissée au conciliateur et pour éviter de tomber sur des connaissances qui pourraient remettre en cause notre impartialité. Nous ne sommes pas rémunérés, mais très modestement défrayés. Nous recevons 650 euros par an au titre du défraiement forfaitaire de nos « menues dépenses ».

Actu-Juridique : Comment expliqueriez-vous l’objectif de de la conciliation de justice ?

Geneviève Nicolas : Notre mission est de faire cesser les différends, en mettant les parties en face à face, en présentiel dans toute la mesure du possible, et de mener un entretien pour les inciter à faire des compromis, si possible réciproques, de façon à arriver à un accord de conciliation. Nous constatons cet accord. L’accord n’est pas nécessairement écrit s’il n’y a pas de renonciation à un droit. Dans le cas contraire, il est écrit et c’est nous qui le rédigeons en expliquant le différend très sommairement. On explique à l’issue du processus ce à quoi s’engage chacune des parties. Les parties renoncent à toute action, elles signent et nous contresignons l’accord. Cela devient un constat d’accord.

Actu-Juridique : Par quels moyens êtes-vous sollicitée ?

Geneviève Nicolas : Concrètement, les demandeurs viennent me voir et ensuite je cherche à faire venir les défendeurs. N’importe qui peut faire appel à un conciliateur de justice, à condition que ce soit un différend relevant des tribunaux judiciaires, sauf pour ce qui est du droit de la famille qui est du ressort du juge aux affaires familiales. Là, c’est hors de notre compétence. Idem pour les affaires relevant du pénal. Pour ce qui relève du tribunal administratif, j’oriente vers le délégué du Défenseur des droits.

Actu-Juridique : Cela n’a donc rien à voir avec ce que vous faisiez dans le milieu bancaire ?

Geneviève Nicolas : Ça change complètement de ce que je faisais avant. Ce qui me plaît, c’est le côté humain des affaires. Quand la porte s’ouvre, je ne sais jamais ce que l’on va me demander ! Il y a quelques secondes de grande curiosité… Dans la mesure où j’ai une formation juridique, c’est assez confortable. Mais je ne dis pas le droit, je ne tranche pas comme un juge. Ma formation en psychosociologie me permet d’aider un peu plus sur ce registre-là.

Actu-Juridique : Cela vous prend-il beaucoup de temps ?

Geneviève Nicolas : Pendant longtemps, j’avais une permanence d’une journée par semaine et je traitais 150 affaires par an. Là, comme je préside une association de conciliateurs, je réduis mes permanences mais les demandes arrivent aussi par mail, donc j’en suis quand même à 120 affaires par an ! C’est un véritable engagement qui tient du volontariat. Comme cela n’avait rien à avoir du point de vue juridique avec ce que je savais de mon expérience professionnelle, j’ai tout repris : le bornage, l’émergence de bruit, des notions de droit du travail… C’est une formation sur le tas et sur le tard ! Au bout de sept ans, il y a des affaires dont je ne maîtrise pas encore parfaitement le droit. C’est un champ de compétences très large.

Actu-Juridique : Combien êtes-vous de conciliateurs sur le territoire qui relève de la cour d’appel de Versailles ?

Geneviève Nicolas : Nous sommes 150 pour les quatre départements : 92, 78, 95 et 28. Sachant que, dans l’idéal, il faudrait un ou une conciliatrice pour 20 000 habitants, ce qui n’est pas suffisant ! Mais d’un autre côté, comme nous ne faisons pas beaucoup de publicité sur notre existence et les services que l’on peut rendre, nos interventions sont gérées. Il peut cependant y avoir des secteurs critiques, parce que l’on n’arrive pas à recruter. Il y a des zones où, quoique la justice fasse, il n’y a pas de candidats. Le turn over est assez important, tous les cinq ans et demi. La cause principale est que nous sommes des personnes âgées, car bénévoles. Les départs sont liés à une possible maladie, un départ en province, l’arrivée de petits-enfants ou tout simplement la fatigue. Il y a quelques jeunes, mais rarement. Ils ne restent pas très longtemps. Il y a aussi des personnes de milieu de vie, des mères avec une formation juridique qui, avant de rechercher un travail, deviennent conciliatrices. Les personnes qui s’engagent en plus de leur travail doivent souvent être disponibles le samedi matin, ce qui n’est pas idéal. Il est dommage de ne pas pouvoir faire appel à des conciliateurs encore en activité professionnelle.

Actu-Juridique : Comment expliquez-vous que ce service ne soit pas rémunéré ?

Geneviève Nicolas : Nous sommes les héritiers lointains des juges de paix. Le principe fondamental est que la conciliation soit gratuite pour les deux parties, et donc que le conciliateur soit bénévole. Nous sommes des « sages » et j’insiste sur les guillemets. Dans une société rurale, c’était celui qu’on venait voir pour résoudre les différends de voisinage. Maintenant, les sociétés sont moins rurales et de proximité, donc on garde cette idée et cette posture de personne capable d’aider à résoudre un différend, mais les affaires que nous traitons ont changé.

Actu-Juridique : En quoi ont-elles changé ?

Geneviève Nicolas : Ce ne sont plus uniquement des affaires de voisinage, mais également du droit de la consommation, pour des achats sur internet ou des litiges avec les fournisseurs d’accès à internet, ou encore des artisans. Le Covid a été propice aux différends avec les compagnies aériennes ou les agences de voyage. Nous avons également une compétence en matière de contrat de travail, pour des litiges entre associés ou encore des problèmes de copropriété. Je dirais que nous sommes omni-compétents.

Actu-Juridique : Nous sommes donc bien loin des clichés véhiculés par les récents reportages à la télévision avec des voisins qui se déchirent. TF1 a en effet diffusé récemment un reportage sur les modes amiables de règlement des différends. Que pensez-vous de ce coup projecteur ?

Geneviève Nicolas : Les reportages télévisés insistent sur les différends entre voisins, surtout quand il y a un peu de violence. C’est l’effet cathartique de voir une bataille dans laquelle le conciliateur essaye de faire quelque chose. Parfois il y arrive, parfois moins… Alors que c’est loin d’être la majorité de nos affaires… Bien sûr, les affaires dépendent du lieu où l’on exerce. Les problèmes de bornage, c’est à la campagne ; les problèmes de nuisance sonore du voisin du dessus, plutôt en ville. Mais ce n’est pas que ça. Ce sont aussi les problèmes de baux d’habitation, du bailleur vis-à-vis du locataire, et inversement. Nous intervenons par exemple pour des travaux à faire ou pour un retard dans la restitution du dépôt de garantie. Selon moi, 25 % de mes affaires relèvent du droit de la consommation : des travaux mal faits, des livraisons qui n’arrivent pas, les garanties qu’on a du mal à mettre en jeu. Vous avez aussi des conflits entre proches : des gens qui se séparent, qui ne sont ni mariés ni pacsés et qui n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la répartition en commun des biens, voire des successions avant le passage devant le notaire. Et puis tout le reste…

Actu-Juridique : Y-a-t-il une affaire qui vous a le plus marquée ?

Geneviève Nicolas : J’ai en tête une belle image. Il s’agissait de deux ex-associés d’une société SARL, en désaccord sur l’attribution des fonds du compte courant d’associés. Ils étaient d’anciens amis. Je rapproche leurs points de vue, ils tombent d’accord. Pendant que je rédigeais le constat, j’entends qu’ils sont sur le point d’équilibre, je me retourne et je les vois se serrer la main. Ils avaient retrouvé une posture de considération, voire d’amitié l’un vis-à-vis de l’autre. Il y a également cette belle réussite sur un problème de nuisance sonore entre deux appartements. Je me rends sur place avec l’accord des personnes. Les deux maris parlaient sans se regarder. Je leur ai demandé de se regarder. Je suis restée une heure à les faire parler, à s’expliquer. J’ai senti qu’ils s’étaient rapprochés. Lorsque je suis partie, ils sont arrivés à un entendement mutuel : j’avais obtenu l’installation d’une moquette épaisse et les enfants de l’appartement du dessus devaient être couchés à une certaine heure du soir.

Actu-Juridique : Vous est-il déjà arrivé de ne pas trouver de solution ?

Geneviève Nicolas : Oui, certaines affaires me prennent au dépourvu. Comme cette fois où un propriétaire se plaint parce que son voisin a construit une maison qui empiète de six centimètres au-dessus de son propre immeuble. Une construction de plus de 30 ans autorisée par le père du plaignant. Le plaignant demandait purement et simplement la destruction de la maison d’à côté. Du côté du demandeur, c’était la destruction sinon rien. J’ai suggéré d’aller voir un notaire. Je ne voyais pas comment conduire une conciliation dans ce cas-là.

Actu-Juridique : Comment se porte la profession ? A-t-elle été touchée par le rapport :« Rendre justice aux citoyens », publié en avril 2022 ou la création d’un Conseil national de la médiation ?

Geneviève Nicolas : Les conciliateurs de justice n’ont pas été cités dans ce rapport, ou alors très à la marge en comparaison avec les médiateurs : les conciliateurs ont considéré que cela manquait de reconnaissance, qu’on nous oubliait un petit peu… Du fait d’être des bénévoles retraités, nous n’avons pas fait de communication vers les pouvoirs publics ou le public. Or nous sommes présents et nombreux : 2 600 personnes en France travaillent et ont une utilité sociale très nette. Avoir un poste d’observateur au sein du Conseil national de la médiation pourrait être une idée.

Actu-Juridique : Quelles sont les relations avec les autres métiers du droit ?

Geneviève Nicolas : Nous sommes bien sûr en lien avec les tribunaux dont on relève. Tous les conciliateurs sont nommés par les premiers présidents de la cour d’appel. Il y a également dans chaque tribunal judiciaire un magistrat spécialement chargé des conciliateurs pour le recrutement et le suivi de leur vie dans leur métier. Le juge du tribunal de proximité, dont on dépend, est disponible pour nous aider. Les juges nous délèguent parfois une conciliation, mais la majorité de nos affaires sont issues de demandes spontanées par le public. On oriente parfois les demandeurs vers les notaires. Pour les avocats, les rapports sont bons, ou plus exactement, ils comprennent de mieux en mieux l’utilité de concilier, y compris pour eux-mêmes. Au niveau de l’Association de conciliateurs de justice de la cour d’appel de Versailles, j’ai commencé une démarche de prise de contact avec les bâtonniers du ressort. Le bâtonnier, qui ne connaissait pas notre mission, a été très intéressé. Nous avons préparé une note démontrant que les conciliateurs peuvent être des alliés précieux pour les avocats et réciproquement.

Actu-Juridique : Est-il selon vous nécessaire de redéfinir le statut du conciliateur de justice ?

Geneviève Nicolas : Oui et non. Le statut de conciliateur de justice peut sembler à la croisée de plusieurs choses, on est non rémunéré, mais une grande technicité est demandée, la question de délégation de la justice ou de son indépendance… Mais ce statut fonctionne bon an mal an depuis 1978. Le nombre de conciliateurs augmente tout doucement. Cela intéresse toujours, surtout au moment du départ à la retraite. Ça peut être une belle transition. Si on changeait le statut, il faudrait veiller à ne pas construire une usine à gaz qui ne réponde plus aux besoins de la population, ni même des candidats. Il y a cependant certainement des améliorations réfléchies à mettre en place.

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