Justice commerciale : comment fonctionne le nouveau TAE de Nanterre ?
De tribunal de commerce à tribunal des activités économiques. Depuis le 1er janvier 2025, douze juridictions ont changé leur dénomination. Cette transformation est prévue dans l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 et vise à expérimenter pendant quatre ans une nouvelle forme de la justice commerciale. En plus de l’élargissement des compétences, la réforme prévoit la création d’une contribution financière pour la justice économique. Le nouveau tribunal des activités économiques de Nanterre est opérationnel depuis le 1er janvier 2025. Sa présidente, Catherine Drévillon, décrypte les principales évolutions et les conséquences de cette réforme sur l’activité de la juridiction. Entretien.
Actu-Juridique : Quelles sont les évolutions depuis que votre juridiction est devenue le tribunal des activités économiques de Nanterre le 1er janvier 2025 ?
Catherine Drévillon : Depuis le 1er janvier, la transformation du tribunal de commerce en tribunal des activités économiques de Nanterre se traduit sur deux plans. D’abord, notre compétence pour les procédures collectives et les mesures préventives comme la conciliation et le mandat ad hoc s’élargit à pratiquement toutes les entreprises. Ensuite, dans le cadre d’un contentieux, une contribution financière sera demandée aux entreprises requérantes qui répondent à plusieurs critères définis dans le décret n° 2024-1225 du 31 décembre 2024.
AJ : Comment se traduit concrètement l’élargissement de vos compétences en tant que tribunal des activités économiques ?
Catherine Drévillon : Les procédures collectives et les dispositifs préventifs concernant les sociétés civiles, les professions libérales, les entreprises agricoles ou encore les associations seront traitées par le tribunal des activités économiques. Il y a une exception concernant les professions juridiques réglementées mentionnées à l’article L. 722-6-1 du Code de commerce qui correspondent aux professionnels non-éligibles pour devenir juges consulaires. Par ailleurs, l’extension de compétences concerne aussi les baux commerciaux en lien avec la procédure collective. Cette subtilité devrait donner lieu à des débats sur l’appréciation du lien avec la sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire. De mon point de vue, la question à se poser est la suivante : le litige concernant le bail commercial aurait-il lieu si la procédure collective n’avait pas été ouverte ? Par exemple, il peut y avoir une question concernant la résiliation d’un bail pour non-paiement des loyers avant ou après une procédure collective. Une fois la procédure collective déclenchée, un propriétaire ne peut plus résilier le bail. Auparavant, toutes ces compétences étaient traitées au tribunal judiciaire.
AJ : Vous avez évoqué une deuxième évolution avec l’instauration de la contribution financière pour la justice économique. Comment ce dispositif fonctionne-t-il ?
Catherine Drévillon : La contribution financière pour la justice économique, destinée au budget général de l’État, sera due pour certaines nouvelles affaires contentieuses enrôlées au 1er janvier 2025. Le décret n° 2024-1225 du 31 décembre 2024 définit les critères qui déterminent le paiement de cette somme. D’abord, les affaires concernées sont celles dont le montant du contentieux dépasse les 50 000 euros. Les entreprises en demande devront s’affranchir de cette contribution. Sont concernées les sociétés employant plus de 250 salariés. Leur chiffre d’affaires et leur résultat moyens sur les trois dernières années d’exercice permettent de déterminer le taux par rapport au montant cumulé de la demande initiale :
• Pour un chiffre d’affaires entre 50 millions et 1,5 milliard d’euros avec un bénéfice de plus de 3 millions d’euros, le taux est fixé à 3 % du montant de la demande, plafonné à 50 000 euros ;
• Pour un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros avec un résultat bénéficiaire, la contribution est de 5 % plafonnée à 100 000 euros.
La somme doit être versée au greffe avant la première audience pour qu’elle puisse se tenir. Les greffiers doivent vérifier en fonction des critères si la contribution doit être payée. Si elle est due, le greffe informe l’entreprise concernée. Si la somme n’est pas versée, la demande est irrecevable. Le but de cette contribution financière pour la justice économique est de responsabiliser et d’inciter les acteurs économiques à trouver des modes de règlement à l’amiable sans se lancer trop rapidement dans des procédures. Par rapport à cet objectif, la somme est remboursée en cas de désistement ou de demande de radiation de l’affaire suite à un arrangement trouvé entre les parties. En cas d’homologation d’un accord en dehors du champ judiciaire, aucune contribution ne sera demandée.
AJ : Comment réagissent les acteurs économiques par rapport à ces nouvelles dispositions ?
Catherine Drévillon : Dans l’immédiat, cette contribution est encore peu connue, l’information passera par les avocats, qui seront informés par le greffe du montant de la somme qui sera éventuellement due. Le temps que la somme soit versée par les grandes entreprises, cela prendra du temps, en raison des procédures administratives internes et des contrôles des dépenses. Nous sommes bien conscients que dans les premiers temps, la contribution ne sera pas payée avant la première audience, nous serons donc tolérants. L’irrecevabilité de la demande ne sera pas prononcée à la première audience. Quand les entreprises et les avocats se seront emparés de la mesure, le paiement devra se faire avant la première audience. La mise en œuvre de cette contribution, les difficultés pratiques feront partie des informations qui seront signalées dans le cadre de l’expérimentation, c’est tout l’intérêt de ce test. Cependant, nous pensons que certaines sociétés vont peut-être décider d’assigner devant une juridiction qui n’est pas concernée par le test pour éviter de s’acquitter de la contribution financière.
AJ : Quelles vont être les conséquences sur l’activité du nouveau tribunal des activités économiques de Nanterre ?
Catherine Drévillon : Nous avons travaillé avec le tribunal judiciaire de Nanterre pour estimer le volume d’affaires supplémentaires. Au total, moins d’une centaine d’affaires par an qui incombaient au tribunal judiciaire de Nanterre vont dorénavant être traitées par le TAE des Hauts-de-Seine. Une estimation faite à partir des affaires des trois dernières années. Ensuite, par rapport à la compétence sur les professions agricoles, une juge assesseure agricole a été nommée par la Chancellerie sur proposition de la chambre d’agriculture d’Île-de-France pour siéger en chambre de procédures collectives. Elle est rattachée à une chambre et siégera au moins une fois par mois pour se former à la matière. Cependant, notre juridiction sera très peu impactée concernant les entreprises agricoles. Nous comptons moins de 10 sociétés inscrites à la Mutualité sociale agricole (MSA) dans les Hauts-de-Seine. En revanche, les conséquences sont importantes dans d’autres territoires comme à Auxerre ou Saint-Brieuc. Ces deux juridictions pourraient voir le nombre de procédures collectives bondir de 50 %. Pour le traitement des litiges sur les baux commerciaux en lien avec une procédure collective, nous allons contacter l’École nationale de la magistrature pour suggérer de mettre en place une formation spéciale pour que nos juges soient opérationnels. Enfin, par rapport à la contribution financière pour la justice économique, le dispositif est en place depuis le 1er janvier. Le service de greffe s’organise, nous aurons tous à faire preuve de pédagogie.
AJ : Comment vivez-vous ces évolutions au sein du nouveau tribunal des activités économiques de Nanterre ?
Catherine Drévillon : Cette transformation est un défi que nous sommes tous prêts à relever au sein de la juridiction. Cette expérience est très intéressante du fait qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une expérimentation durant quatre ans. Nous avons cette chance de pouvoir être entendus dans les remarques que nous pourrions faire remonter. Cette réforme ne nous est pas imposée en bloc. Nous ferons un retour d’expérience et tirerons des leçons avant sa généralisation probable.
Référence : AJU016v5
