Nathalie Massias : « Nous pouvons nettement améliorer nos délais de jugement »
Depuis le 1er mai 2024, Nathalie Massias a pris sa nouvelle fonction de présidente de la cour administrative d’appel de Versailles. Un retour sur un territoire qu’elle connaît bien. Entre 2016 et 2020, cette magistrate parisienne était à la tête du tribunal administratif de Versailles avant d’occuper la présidence de la juridiction administrative de première instance de Cergy-Pontoise durant quinze mois. Ces deux tribunaux, ainsi que le tribunal administratif d’Orléans, dépendent du ressort de la cour administrative d’appel de Versailles. Au total, la juridiction administrative de second degré de Versailles couvre quatre départements franciliens (Yvelines, Essonne, Val d’Oise et Hauts-de-Seine) et tous les départements de la région Centre-Val de Loire excepté l’Indre (Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Cher, Loiret et Indre-et-Loire). La nouvelle présidente s’est confiée sur les défis qui l’attendent comme cheffe de la cour administrative d’appel de Versailles. Rencontre.
Actu-Juridique : Pourquoi avez-vous choisi de postuler à cette nomination comme présidente de la cour administrative d’appel de Versailles ?
Nathalie Massias : Le ressort de la cour administrative d’appel de Versailles m’est bien connu puisque j’ai présidé pendant plus de cinq ans les tribunaux administratifs de Versailles et de Cergy-Pontoise, deux juridictions qui sont dans le ressort de cette cour. Quand j’étais présidente de chambre à la cour de Nantes, j’ai eu à connaître des contentieux relevant du tribunal administratif d’Orléans, donc de la région Centre-Val de Loire, qui relevaient à l’époque de cette cour et sont désormais traités par celle de Versailles. J’apprécie ce territoire et il était donc naturel qu’après avoir été présidente de la cour de Douai, j’aspire à rejoindre la cour de Versailles qui m’offre des perspectives stimulantes.
AJ : Quel regard portez-vous sur les territoires concernés par le ressort de votre cour administrative d’appel avec un total de neuf départements répartis entre la région Île-de-France et le Centre-Val de Loire ?
Nathalie Massias : Notre ressort est extrêmement varié. D’abord, les quatre départements franciliens présentent chacun de grands contrastes. D’une part, sur le plan de la fiscalité, en raison de la présence de sièges de sociétés importantes et de grandes fortunes personnelles, mais aussi de toute une mosaïque sociale. D’autre part, sur le plan de l’urbanisme, avec des zones urbaines denses et des territoires ruraux. Quant à la région Centre-Val de Loire, elle alimente la cour en divers contentieux agricoles et ruraux. Par ailleurs, elle est à l’origine de nombreuses affaires concernant les autorisations de parcs éoliens, contentieux très sensible que nous jugeons en premier et dernier ressort.
AJ : Que retenez-vous de vos deux expériences à la tête des tribunaux administratifs de Versailles et de Cergy-Pontoise ?
Nathalie Massias : En région parisienne, comme pour toutes les grandes métropoles, les juridictions de première instance doivent traiter des contentieux quantitativement importants relatifs notamment au statut des étrangers et aux aides et prestations sociales (RSA, droit au logement, emploi). À la différence des cours, elles sont confrontées à de nombreuses demandes à traiter en urgence, notamment en référé. Ces exigences imposent au chef de juridiction la mise en place d’une organisation et de procédures permettant une grande réactivité.
AJ : À Douai, vous avez exercé pour la première fois la fonction de présidente de cour administrative d’appel de 2021 à 2024. En quoi cette expérience va-t-elle vous servir pour votre nouvelle fonction ?
Nathalie Massias : La cour de Douai est de moindre taille que celle de Versailles mais les fonctions de leur président sont globalement les mêmes. Elles comprennent, comme en première instance, l’organisation de la juridiction et la gestion du personnel. Dans toute cour, le travail s’exerce sur un temps long et le président doit favoriser les réflexions juridiques et les innovations jurisprudentielles. Par ailleurs, les cours me paraissent un bon échelon, d’une part, pour entretenir des contacts réguliers avec les interlocuteurs institutionnels, barreaux, administrations et universités et, d’autre part, pour mieux faire connaître le juge administratif en participant à des colloques ou événements juridiques tels que la « Nuit du droit », par exemple. Le juge administratif n’est pas encore suffisamment visible et peut l’être davantage. J’ai beaucoup développé cet aspect à Douai et je compte reproduire la même démarche à Versailles.
AJ : Quelle orientation souhaitez-vous donner à votre présidence de la cour administrative d’appel de Versailles ?
Nathalie Massias : J’aimerais que la cour réponde plus vite à la demande de justice. Nous pouvons améliorer nettement nos délais de jugement. Il est vrai que tout ne dépend pas de la cour lorsque, par exemple, il est nécessaire de recourir à une expertise ou d’attendre une mesure de régularisation en matière d’urbanisme. Mon objectif prioritaire est de réduire drastiquement le nombre de dossiers enregistrés depuis plus de deux ans, qui, aujourd’hui, représentent 8 % du stock, soit 307 dossiers. L’objectif pour la fin d’année 2025 est de baisser cet indicateur à environ 5 % soit 150 à 180 dossiers. C’est la moyenne nationale des cours.
AJ : Quels sont les autres enjeux à la tête de cette juridiction ?
Nathalie Massias : Le déménagement de la cour administrative d’appel de Versailles constitue un objectif prioritaire. Ce projet est lancé depuis longtemps. D’une part, le bâtiment actuel ne présente pas l’aspect d’une juridiction ce qui nuit à la solennité de la justice. D’autre part, il est occupé par différents organismes, nous ne disposons que de certains étages et devons utiliser des badges pour passer d’un étage à un autre, ce qui ne favorise pas la cohésion de la communauté juridictionnelle. Il est prévu de construire le siège de la cour sur une partie de l’emprise actuelle du rectorat de Versailles avec lequel nous sommes en concertation. Un projet doit être retenu au mois de décembre 2024, avec un horizon d’emménagement 2027/2028.
AJ : Vous allez devoir mettre en place le projet CAP 2025 qui consiste en une réorganisation en passant de six à cinq chambres dès cet été. Comment appréhendez-vous ce réajustement ?
Nathalie Massias : Le passage de six à cinq chambres a été justifié par la diminution régulière du nombre d’affaires enregistrées depuis 2019. Le Conseil d’État nous a toutefois affecté des magistrats à titre pérenne afin de renforcer le pôle dédié à une grande partie du contentieux des étrangers, qui représente 58 % des 3 200 requêtes enregistrées au cours des douze derniers mois. De ce fait, les cinq chambres vont pouvoir traiter plus de dossiers des autres matières pour améliorer les résultats et atteindre notre objectif de réduction du stock d’affaires de plus de deux ans.
AJ : Comment évolue l’activité juridictionnelle durant ce premier semestre 2024 ?
Nathalie Massias : Depuis le 1er janvier 2024, nous connaissons une augmentation très sensible, à hauteur de 24 %, des enregistrements de requêtes, qui concerne tous les contentieux. Ceci est notamment dû à la hausse des affaires traitées par les tribunaux administratifs de Cergy‑Pontoise et d’Orléans.
AJ : Quel regard portez-vous en tant que présidente de la cour administrative d’appel sur la hausse de la conflictualité dans la société française ?
Nathalie Massias : La situation est paradoxale. Des violences ont été exercées contre les tribunaux administratifs de Nantes et de Bastia lors des émeutes de 2023, avec destruction de matériels. Mais par ailleurs, la juridiction administrative est plus que jamais sollicitée pour régler les litiges, ce qui traduit certes une hausse de la conflictualité mais aussi sans doute un recours accru à la solution pacifique des litiges et une confiance dans la justice administrative. J’ajoute que par le biais des procédures d’urgence, nous sommes directement en lien avec l’actualité.
AJ : Avez-vous le sentiment de subir des critiques comme c’est le cas pour la justice pénale ?
Nathalie Massias : Est-ce l’ambiguïté créée par son appellation qui peut faire croire que la justice administrative penche du côté des intérêts de l’administration ? Constatons d’abord que la très grande partie des affaires naît de la saisine croissante par les personnes privées, individus, associations ou sociétés, de notre juridiction ce qui semble révéler une solide confiance dans son impartialité. Il reste que la partie à qui on donne tort n’est jamais satisfaite, y compris la personne publique, quand elle perd le procès. Toutefois, il n’en reste pas moins que nous devons faire face à tout soupçon de partialité. Il y a parfois un écart entre notre décision et ce qui est compris par le public. Par conséquent, nous devons mieux faire comprendre la façon dont on juge et le sens de nos décisions. À cet effet, nous devons veiller à une meilleure lisibilité de nos décisions en elles-mêmes et mieux les faire comprendre par la diffusion de communiqués pédagogiques.
Référence : AJU014o3