13 novembre : quand les gendarmes écoutent les conversations des accusés avec leurs avocats

Publié le 20/01/2022

Le 11 janvier dernier, alors que débutait au procès des attentats du 13 novembre l’interrogatoire des accusés, le parquet a voulu faire verser au dossier un compte-rendu d’incident faisant état d’un échange entre une avocate et son client. Cela a suscité un tollé sur les bancs de la défense. Le récit et les explications de Me Julia Courvoisier, avocate de parties civiles. 

13 novembre : quand les gendarmes écoutent les conversations des accusés avec leurs avocats
Photo : ©AdobeStock/Pixarno

« On confie un secret à quelqu’un de notre choix parce qu’on le croit incapable d’en faire état mais, aussi, parce qu’on le pense susceptible de comprendre sans juger. On se met à nu et on attend de l’autre un minimum d’empathie » écrit Hervé Temime dans Secret défense*.

La société de la transparence la plus absolue dans laquelle nous vivons se heurte évidemment au secret professionnel de l’avocat qui se définit comme « un devoir pour tout avocat, qui en le respectant, garantit à tout citoyen l’absence d’ingérence des pouvoirs publics dans sa défense et ce quoi qu’il ait pu faire ». L’avocat est tenu à un secret « général, absolu et illimité » (articles 2 et suivants règlement interne national – RIN – des avocats).

Le secret est la base de la confiance, condition sine qua non d’une bonne relation entre un avocat et son client. Et finalement, comme dans toute relation, la confiance s’obtient en ne dévoilant pas les confidences de celui qui nous les fait.

« Si vous êtes innocent, pourquoi vous taire ? »

Et pourtant…

Le secret susurré dans l’oreille est devenu suspicieux.

Quant au petit mot glissé sous la table, il est nécessairement douteux.

Il faut dire pour qui l’on vote, si on est vacciné, si on est écolo, féministe… Il faut d’ailleurs prendre position sur tout, sur rien, avoir un avis dans tous les domaines et surtout, le rendre public. Si on n’est pas contre, on est pour. Si on ne dénonce pas, on cautionne !

Conserver le silence en garde à vue fait maintenant quasi automatiquement l’objet de la fameuse question : « si vous êtes innocent, pourquoi vous taire ? ». Ou « quand on n’a rien à se reprocher, on parle ! ».

Que signifie cette obligation de silence à laquelle les avocats sont tenus ?

D’abord, l’avocat ne peut pas révéler ce que lui dit son client.

Ensuite, les conversations entre un avocat et son client ne peuvent être écoutées et retranscrites que dans des cas extrêmement particuliers et, en toutes hypothèses, sous le contrôle d’un juge et dans un cadre procédural précis.

Enfin, la violation du secret professionnel constitue non seulement une sanction disciplinaire pour l’avocat, mais peut également donner lieu à des poursuites pénales.

Le secret professionnel est le socle de notre profession.

L’essence de notre métier.

Il est pourtant en danger. Si les avocats ont massivement manifesté en fin d’année dernière contre la réforme concernant leur secret, au quotidien, celui-ci est attaqué de toutes parts : les enquêteurs et les magistrats veulent tout savoir. Et qui en sait beaucoup ? Les avocats.

Il y a ainsi en France de plus en plus de perquisitions de cabinets, de plus en plus d’écoutes les concernant, mais aussi de plus en plus d’incidents en audience…

Le procès des attentats du 13 novembre 2015 ne pouvait malheureusement pas échapper à cette triste et dangereuse tendance.

Dans le box : « son avocate lui aurait répondu de se taire »

Mardi 11 janvier, alors que les auditions des accusés devaient enfin commencer, le Parquet national antiterroriste (PNAT) a communiqué aux débats des comptes-rendus d’incident. Les « incidents » ne sont pas nécessairement des infractions : ce sont plutôt des notes de comportement. Par exemple, l’un des accusés avait uriné dans sa cellule, après avoir attendu des heures pour aller aux toilettes en vain. Et hop là, un compte-rendu d’incident !

Et puis, au détour d’une de ces petites notes rédigées par certains gendarmes présents dans le box pour sécuriser l’audience, un échange entre l’un des accusés et son avocate. L’accusé aurait prononcé quelques mots vulgaires à l’arrivée de l’un des magistrats dans la salle d’audience et « son avocate lui aurait répondu de se taire ».

Les gendarmes présents derrière les accusés ont donc non seulement entendu (ou volontairement écouté) une conversation confidentielle, mais aussi et surtout rédigé et transmis un compte-rendu officiel au Parquet. Parquet qui, malgré la confidentialité évidente de cette rapide conversation, a décidé de communiquer ces notes dans le dossier.

Cela a, bien évidemment, déclenché un scandale du côté de la défense. Mais aussi du côté des parties civiles, par la voix de l’un de nos confrères intervenu en soutien de notre secret et de nos principes les plus fondamentaux.

Un client parle à son avocate. Elle lui répond. La conversation est confidentielle.

Ils ne sont pas sur écoute et aucun juge n’a ordonné aux gendarmes d’écouter cet échange et de le retranscrire. Le débat s’arrête là.

Tous les jours et dans toutes les salles d’audiences, des suspects dans le box échangent avec leurs avocats. Des conversations confidentielles sont ainsi susceptibles d’être entendues par des personnes extérieures. Nous le savons. C’est déjà particulièrement détestable mais nous, les avocats, faisons avec.

Des gendarmes autorisés à relater le contenu des conversations confidentielles au parquet ?

Mais que dire de certains de ces gendarmes qui ont décidé de faire état de cette conversation ? Peu importe par ailleurs le contexte, le contenu, ou l’importance des propos, contrairement à ce qu’a soutenu l’un des représentants du Parquet à l’audience. Comment diable est-il possible que des gendarmes puissent se croire autorisés à faire des comptes-rendus de conversations confidentielles entre un accusé et son conseil ?  Dans quel but ? Pour faire dire quoi ? Pour obtenir quoi ?

Ecoutent-ils des conversations dont ils font état au Parquet de façon officieuse ?

Doit-on estimer que les conversations de ces accusés-là avec leurs avocats sont moins confidentielles que d’autres ? Devrait-on céder pour ce procès parce que ces hommes sont accusés du pire ?

Je crois que toutes les parties présentes à l’audience sont attachées à ce que nous opposions à ces 20 accusés notre état de droit dans sa totalité. Opposer la Justice démocratique à la barbarie.

On a souvent dit que les terroristes voulaient attaquer ce que nous sommes.

Nous sommes le secret professionnel de l’avocat. Et nous entendons le rester.

Ce compte rendu d’incident a donc été retiré du dossier pénal et, officiellement, nous n’en parlerons donc plus… Il restera pourtant, pour beaucoup d’entre nous, comme un nouveau coup de couteau porté à notre profession et à notre Justice.

 

*Gallimard, septembre 2020.