Affaire Iquioussen : l’insupportable déferlement de haine contre son avocate

Publié le 07/09/2022

L’avocate d’Hassan Iquioussen, Me Lucie Simon, a révélé le 2 septembre dernier sur BFM TV qu’elle avait été victime de menaces, de même d’ailleurs que d’autres professionnels de la justice dans ce dossier. Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier constate avec inquiétude la montée de la violence à l’égard des avocats. 

Affaire Iquioussen : l'insupportable déferlement de haine contre son avocate
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Une avocate menacée de viol, traitée de « pute à bougnoule », c’est la triste affaire qui bouleverse en ce moment ma profession. Avec une dignité incroyable, Me Simon a révélé à la télévision recevoir de telles menaces et de telles injures en raison d’un dossier dans lequel elle est intervenue.

Peu importe l’identité de son client et ce qu’il a fait. Ce qui doit nous révolter c’est qu’une avocate soit aujourd’hui menacée pour avoir eu le malheur de plaider dans un dossier médiatique. C’est intolérable.

Je suis agacée, comme beaucoup, mais je suis surtout inquiète.

Un jour, l’un d’entre nous sera tué

Inquiète car un jour, peut être très prochain, ces menaces seront exécutées et l’un de nous sera attaqué, agressé et tué.

Je ne suis ni dans l’absurde, ni dans la peur : je suis réaliste.

La haine grandissante qui gangrène nos vies se reporte aujourd’hui sur une profession qui était, jusque là, globalement respectée. On peut évidemment critiquer un avocat, on peut argumenter contre lui, on peut dénoncer ce qu’il plaide. C’est notre lot quotidien.

Mais nous avons, je le crains, dépassé ce stade.

Comme me le faisait remarquer à très juste titre Maître Alain Jakubowicz, « les avocats ont de tout temps été insultés, menacés, et parfois agressés en raison de l’identité de l’un de leurs clients : ça ne les a jamais empêchés de se lever, d’assurer fièrement la défense dont ils ont la charge et de voir de nouvelles générations d’avocats prendre la relève ».

C’est vrai.

Mais à l’époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, ces insultes et menaces se proféraient dans les tribunaux ou à leur porte. Au pire, les agresseurs envoyaient des lettres anonymes mais ça n’allait jamais plus loin.

Les réseaux sociaux ont ceci de dangereux qu’ils transforment leurs usagers en meute assez rapidement.  Une horde d’anonymes, à la vie souvent banale et inconnus des services de police, crachent leur venin en quelques secondes : plus besoin d’aller à la poste pour envoyer une tête de souris morte dans une boite à chaussure à l’avocat du tueur d’enfant. Un tweet et c’est fait !

« Comment tu peux défendre un violeur ? »

La raison de cette haine démultipliée ?

Une relaxe. Une remise en liberté. Un client. Une prise de position. Une plaidoirie.

Si le métier d’avocat est de moins en moins respecté, c’est qu’il est de moins en moins compris.

« Comment tu peux défendre ce type qui a tué un de ses amis » ?

« Comment tu peux défendre un violeur ? »

Peut-on encore défendre ce que l’opinion publique qualifie d’indéfendable en France en 2022 ?

Je pourrais vous parler, pour la énième fois, de l’importance des droits de la défense dans une société démocratique, ou de la place essentielle de l’avocat pour que la justice soit équilibrée.

Je pourrais aussi, comme le font certains de mes confrères avec beaucoup de talent (je pense au superbe livre de Maître Mô), vous parler de mes clients, de ceux que tout le monde désigne comme étant des « monstres ». Mais je n’ai pas le talent de mes confrères écrivains et peut être que, finalement, j’ai envie de garder ces relations professionnelles si particulières entre eux et moi.

Mon métier ne consiste pas à participer à une justice de l’excuse, comme je l’entends souvent de certains politiques et commentateurs publics. Il n’est jamais question d’excuser un suspect. Jamais. Un petit tour dans n’importe quel tribunal permettrait à tous ces faiseurs d’opinions et racoleurs d’électeurs de s’en rendre compte. Et de cesser de parler de ce qu’ils ne connaissent pas.

On défend non pas un acte mais un homme

Si certains avocats défendent des clients parce qu’ils ont le même avis et que leur métier leur sert dans leur combat, c’est leur droit le plus absolu. Mais vous conviendrez aisément que peu d’avocats, voir aucun à ma connaissance, défendent des violeurs parce qu’ils prônent eux-mêmes le viol.

Mon métier consiste à comprendre.

Parce que comprendre, c’est défendre. Non pas un acte, mais un homme.

Mon métier m’a appris beaucoup sur l’humanité, sur la tolérance et sur le regard que l’on doit porter sur l’autre. Sur cet autre qui a transgressé la loi, mais qui n’est pas pour autant un renégat. Sur cet autre qui doit être sanctionné, mais qui doit aussi pouvoir revenir dans notre monde à nous.

L’humanité, la tolérance, la compréhension d’un avocat n’ont jamais tué personne.

Jamais.

En 13 ans de barreau, mon regard sur la société a beaucoup évolué. Et je l’assume.

Se confronter aux tribunaux, à la misère, à la haine, à la tristesse, oblige à cette humanité. À cette compréhension de l’autre. À cet autre qui a parfois commis l’irréparable.

Mon métier m’a appris à écouter la délinquance et la criminalité. Pas à la pardonner.

J’ai compris que la violence était en nous et qu’elle faisait partie intégrante de l’être humain.

Je ne l’excuse pas.

Je ne la partage pas.

Je ne la défends pas.

Je souhaite seulement qu’elle soit jugée à la hauteur de ce qu’elle est et en fonction de la personnalité de mon client.

C’est ça, être avocat.

 

À lire sur le même sujet  notre compte-rendu de l’audience devant le Conseil d’État lors de laquelle Me Lucie Simon a défendu Hassan Iquioussen et l’analyse de Me Patrick Berdugo sur la situation juridique de l’imam depuis qu’il a disparu. 

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