Affaire Sollacaro : le rapport d’inspection charge les avocats
Remis au mois d’avril 2021 au Premier Ministre, le rapport de l’Inspection générale de la justice sur l’affaire Sollacaro est demeuré secret durant six mois. En voici le contenu.
C’est un document de 30 pages (hors annexes) adressé au premier ministre (en application du décret de déport qui lui transfert les dossiers susceptibles de conflits d’intérêt). L’inspection commence par évoquer la situation tendue au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence. Et pour cause. Outre un « léger déficit de postes budgétaires », la juridiction connait un taux de 19% d’absentéisme. A cela s’ajoute le fait que le tribunal se répartit sur 2 sites distincts de 5 kilomètres, ce qui complique la tâche de ceux qui y travaillent. Résultat, on dénombrait 3201 affaires en stock en mars 2021, dont 558 affaires non fixées. Dans ce tribunal, il n’y a pas de comparutions immédiates faute de salle disponible et le délai d’audiencement est de neuf mois. Par l’effet de la crise sanitaire et de la grève des avocats le taux de renvoi est passé de 15 à 25%, précise encore le rapport.
Une juridiction sous tension à cause de la grève de janvier 2020
La grève des avocats justement, elle est pointée comme un des facteurs de la crise ayant déclenché d’ailleurs un premier incident en janvier 2020. La juridiction avait alors refusé de renvoyer un important procès de stupéfiants. Les avocats avaient fait déplacer un huissier pour constater que la greffière ne voulait pas enregistrer l’appel de la décision de refus de renvoi, ce qu’elle dément ainsi que sa hiérarchie. Trois autres incidents sont évoqués, dont le refus du bâtonnier de mettre un masque en audience, le mouvement d’humeur d’un avocat ayant endommagé un lambris ou encore une contestation en présence du bâtonnier sur un renvoi.
A la page 13, le rapport en vient enfin à l’incident qu’il est chargé d’examiner. Le récit est déjà connu (voir à ce sujet notre article détaillé). On en apprend cependant davantage sur l’échange qui a précédé l’expulsion de Me Sollacaro, via la note d’audience. L’avocat accuse le magistrat de se « venger ». Il fait allusion à une vieille affaire en lien avec Antoine Sollacaro, son père, sur laquelle les deux hommes se seraient opposés. Puis il répète plusieurs fois qu’il ne sortira pas, qu’il veut que son bâtonnier vienne et lance « vous êtes indigne d’être président d’une chambre correctionnelle, d’être magistrat ». Alors qu’un de ses confrères demande au président de suspendre l’audience, celui-ci rétorque qu’il ne le fera qu’après la sortie de Me Sollacaro. Il précise que ce n’est pas l’avocat qu’il expulse, mais le fauteur de trouble. L’inspection note à ce sujet que ses propos l’auraient placé « hors du champ de son rôle de défenseur et dans une posture d’assistant au sens de l’article 404 du code de procédure pénale pouvant justifier une expulsion par la force publique ».
La mission reconnait du bout des dents que la suspension d’audience avec appel du Bâtonnier est une pratique de gestion des conflits usuelle à Aix-en-Provence, mais pour préciser immédiatement qu’elle n’est encadrée par aucune disposition qui en faciliterait la mise en œuvre. Cela sonne comme une manière dédoouanner le magistrat de n’y avoir pas eu recours.
L’épineux problème des prévenus jugés sans avocats…ou presque
La suite est connue, malgré les demandes de renvoi conjointes et répétées du bâtonnier et du procureur, le tribunal a maintenu son intention de juger le dossier et l’a fait en l’absence des avocats. A ce sujet, les auteurs du rapport écrivent :
« La mission constate que le tribunal interrogé dès la reprise de l’audience le jeudi après-midi par un prévenu ne bénéficiant pas d’avocat n’a pas sollicité du bâtonnier la désignation d’avocats commis d’office non seulement au bénéfice de ce prévenu mais également pour tous les autres prévenus dont les avocats n’assuraient plis la défense. Il a mené les débats sans connaitre l’intention des prévenus sur l’assistance par un avocat expliquant que selon lui les prévenus étaient toujours assistés par leurs conseils choisis ».
La mission souligne que les prévenus étant restés en contact avec leurs conseils à l’extérieur de la salle, cela a pu « entretenir une ambiguïté sur la réalité du désistement des avocats et de fait sur la nécessité de solliciter un avocat commis d’office ».
Il y a quand même un élément qui ne semble pas trouver d’excuses aux yeux des enquêteurs :
« alors qu’il est constant que le président s’est attaché tout au long de l’audience à rassurer et expliquer la situation aux prévenus, l’affirmation par ce-dernier en audience qu’un avocat ne pouvait pas abandonner la défense de son client en cours d’audience sans trahir son serment caractérise une appréciation des règles de déontologie de la profession d’avocat qui ne relève pas des attributions du tribunal ».
En clair, si la situation est tendue dans la juridiction, c’est en partie en raison de la grève de janvier 2020. L’expulsion de Me Sollacaro dans l’exercice de sa fonction de défense est présentée comme étant en partie de sa faute et juridiquement analysée comme celle d’un assistant et non d’un avocat. Même l’instruction de l’affaire sans les avocats serait en partie justifiée par l’ambiguïté qu’ils ont eux-mêmes créée en restant à proximité de leurs clients pour ne pas les abandonner.
De tout cela, le rapport conclut qu’il faut améliorer les relations entre avocats et magistrats en instituant une procédure de suspension d’audience avec appel du bâtonnier et peut-être aussi revoir la police d’audience. Pas un mot sur l’éventuelle responsabilité du président. Il existe un second document, qui se concentre semble-t-il sur la description des réformes à mettre en oeuvre pour éviter à l’avenir que de telles situations ne se reproduisent. Matignon a annoncé le 9 septembre dernier, à l’occasion d’une réponse à une question parlementaire, qu’aucunes poursuites disciplinaires ne seraient engagées contre le président.
Référence : AJU242960