Affaire Sollacaro : la décision de ne pas poursuivre le magistrat rallume l’incendie

Publié le 14/09/2021

Le 11 mars dernier, à l’occasion d’un procès pour trafic de stupéfiants, le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence a été le théâtre d’un affrontement d’une rare intensité entre le président de l’audience et les avocats de la défense. Or,  la Chancellerie a fait savoir le 9 septembre qu’il n’y aurait pas de poursuites disciplinaires contre le magistrat. Les avocats sont en colère !

Affaire Sollacaro : la décision de ne pas poursuivre le magistrat rallume l'incendie
Le bâtonnier de Paris Olivier Cousi et la bâtonnière désignée Julie Couturier lors de la manifestation du barreau de Paris organisée le 17 mars 2021 en soutien à Me Sollacaro

« Circulez, y’a rien à voir ». Telle est en substance la conclusion du Premier ministre Jean Castex dans l’affaire Sollacaro. En mars dernier, Me Paul Sollacaro avait été sorti manu militari par les forces de l’ordre de la salle d’audience du Tribunal correctionnel d’Aix alors qu’il assurait la défense d’un prévenu dans une affaire de stupéfiants. Par la suite, le conflit s’était envenimé et le président avait décidé de poursuivre le procès des onze prévenus sans leurs avocats (lire notre récit « Messieurs les policiers, faites évacuer Monsieur Sollacaro »).

« Absence de suites à caractère disciplinaire »

Un premier rapport provisoire a été réalisé dans les semaines suivantes par l’Inspection générale des services de la justice. Non publié. Le second, annoncé pour fin juin, tardait à sortir. C’est finalement une réponse à une question parlementaire du sénateur Jean Hingray le 9 septembre dernier qui a révélé les suites que le gouvernement avait décidé de donner à cette affaire, ou plus exactement, l’absence de suites :

« Après avoir pris connaissance de la totalité du dossier, du déroulement des faits et du comportement de tous les protagonistes, et tenant compte de l’apaisement de la situation, le Premier ministre a décidé de ne pas donner de suites à caractère disciplinaire. Le Premier ministre renvoie au garde des Sceaux la responsabilité d’apprécier l’opportunité des recommandations générales de la mission et le, cas échéant, les mettre en œuvre, l’objet du déport étant rempli par ailleurs ».

Si la réponse renvoie à la position de Matignon, c’est que l’affaire fait partie de celles dans lesquelles le ministre de la justice, en tant qu’ancien avocat,  est susceptible de se trouver en situation de conflits d’intérêts. Il a donc été décidé de transférer tous ces dossiers délicats au Premier Ministre. Et c’est à lui que l’inspection a remis ses deux rapports. Mardi 14 septembre, les deux documents n’étaient toujours pas publics. L’absence de transparence interroge dans les milieux judiciaires. Faut-il y voir la volonté d’apaiser la situation  ? Ou bien cette discrétion vise-t-elle à dissimuler d’importantes fautes commises par la justice ce jour-là ?

« La guerre aura lieu »

Question apaisement en tout cas c’est loupé. Interrogé par l’AFP, Me Paul Sollacaro  a mis en garde : «On crée les conditions de la guerre (NDLR : entre avocats et magistrats) et je pense que cette guerre aura lieu, je ne pense pas qu’on aille dans le sens de l’apaisement». Et l’intéressé d’ajouter : «On autorise l’arbitraire total, on passe du pays des droits de l’Homme à la Corée du Nord». En termes d’image, le fait de passer l’éponge sur un incident aussi grave accrédite en effet l’idée  qu’un magistrat peut légitimement faire expulser des avocats de l’audience, puis juger et condamner des personnes à des peines de prison ferme sans que celles-ci soient assistées de leurs défenseurs. Certes, c’est un moyen d’accélérer le traitement des dossiers. Mais un tel scénario est peu compatible avec les principes d’un état de droit.

Le bâtonnier d’Aix-en-Provence Philippe Bruzzo qui a tout tenté à l’époque pour apaiser la situation regrette de n’avoir pas eu connaissance des rapports alors qu’il a été auditionné. « Nous attendions  une réponse ministérielle d’une autre qualité que celle qu’on semble nous donner, confie-t-il. «J’ai tout fait pour que les avocats réagissent dans le plus parfait respect des règles et que nous soyons irréprochables. Et finalement, en face, personne ne semble prendre ses responsabilités ! ».

Du côté des syndicats de magistrats on secoue la tête avec résignation. Eux non plus n’ont pas eu accès aux conclusions de l’Inspection, mais ils ont pris l’habitude de découvrir ce qui les concerne par la presse. Quant aux instances nationales des avocats, elles ont appris comme tout le monde en lisant l’AFP le que le gouvernement renonçait à poursuivre.

« La commission libertés et droits de l’homme du Conseil national des Barreaux se réunit demain. Nous allons étudier plusieurs aspects du problème : l’absence de publicité des rapports de l’inspection, la conformité à la constitution du pouvoir de police à l’audience et le fait que jusqu’à présent l’avocat ne peut pas saisir le Conseil supérieur de la magistrature » confie sa présidente, Laurence Roques. Le projet de loi sur la confiance dans la justice pourrait offrir un véhicule législatif dans l’hypothèse où une ou plusieurs réformes apparaitraient nécessaires. Le président du CNB, Jérôme Gavaudan a exprimé la colère et l’inquiétude de sa profession sur Twitter, annonçant au passage l’adoption d’une position solennelle lors de la prochaine assemblée générale qui se tiendra vendredi.

Toute la journée de mardi,  la communauté judiciaire a cherché à obtenir communication des rapports, en vain semble-t-il.  Cela n’a fait qu’accroître la colère déclenchée pas la décision de ne pas engager de poursuites ni même afficher une condamnation de principe. A l’évidence, la stratégie du « circulez, y a rien à voir » n’a fait qu’attiser l’incendie…

 

 

Mise à jour 19h07 : Sollicitée concernant l’éventuelle publication des rapports, la Chancellerie répond que le décret de déport s’applique (renvoi au Premier ministre des dossiers susceptibles de conflit d’intérêts) et que c’est donc à Matignon que revient la décision de publier ou non les deux documents. 

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