Attaque au couteau à Annecy : pourquoi le PNAT ne s’est-il pas saisi du dossier ?
Le 8 juin dernier, un homme a blessé six personnes dont quatre très jeunes enfants avec un couteau en criant le nom de Jésus Christ. Pourquoi le parquet national antiterroriste (PNAT) ne s’est-il pas saisi du dossier ? Parce qu’il a trop de travail ? Parce qu’un chrétien ne peut pas être un terroriste ? Éléments de réponses.
« Donc, celui qui attaque avec un couteau en criant Allah Akbar est un terroriste, mais s’il crie Jésus Christ, ce n’en est pas un » pouvait-on lire en substance sur les réseaux sociaux jeudi dernier, lors de l’attaque d’Annecy, en découvrant que le PNAT n’entendait pas se saisir de l’affaire à ce stade.
Voici un exemple de réaction :
Un prétendu musulman tue « au nom de Allah Akbar » = terrorisme
Un prétendu chrétien tue « au nom de Jesus Christ » = pas de terrorisme
🤷♂️ pic.twitter.com/wl7ufTDVej
— 🅹🅰🅺🅴🇵🇸 (@Jake_one_) June 8, 2023
Retour sur les faits. Jeudi 8 juin dans la matinée, un homme armé d’un couteau attaque des enfants dans le jardin de l’Europe, secteur du Pâquier, sur les rives du Lac d’Annecy. L’agression fait six victimes dont quatre enfants âgés de vingt deux mois à trois ans et deux septuagénaires. Quatre enfants et un adulte sont transportés à l’hôpital en urgence absolue, la sixième personne étant blessée plus légèrement. Alertés à 9 h 41, les secours interpellent l’homme quatre minutes plus tard. Abdalmasih H., 31 ans, est de nationalité syrienne, bénéficiant du statut de réfugié en Suède depuis dix ans. Sans domicile fixe, ce père d’une fillette de trois ans restée en Suède venait d’apprendre le rejet de sa demande d’asile en France. À l’administration, il avait déclaré être chrétien, ce que semble conforter une vidéo de l’attaque dans laquelle il invoque en anglais le nom de Jésus Christ. Toutes les victimes sont désormais hors de danger. L’homme a été mis en examen pour tentative d’assassinat et rébellion avec armes, c’est le parquet d’Annecy qui traite le dossier.
« Troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »
Ici le mode opératoire – attaque au couteau visant des victimes prises au hasard – a immédiatement suscité l’idée d’un acte terroriste dans l’esprit du public. Mais juridiquement, c’est plus compliqué. Pour comprendre ce qui permet au PNAT, créé en 2019 et placé sous l’autorité de Jean-François Ricard, de se saisir d’un dossier, il faut lire l’article 421-1 du code pénal qui définit le terrorisme :
« Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes » : l’atteinte la vie, le détournement d’aéronef, le vol…
Les mots importants ici sont mis en gras : intention, entreprise, trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
Dans l’affaire d’Annecy, ce n’est pas la mention du Christ plutôt que d’Allah qui a justifié l’absence de qualification terroriste, mais le manque d’éléments étayant cette analyse au regard des critères définis par le Code pénal. Preuve en est qu’en 2021, lorsqu’un Algérien a attaqué au couteau des policiers à Cannes, le PNAT n’a pas non plus pris le dossier. Pourtant, l’assaillant avait invoqué le Prophète. « Il y a plusieurs attaques par an de ce type dont le PNAT ne se saisit pas. Il est évident que certains éléments nous alertent : le mode opératoire, la cible ou les propos tenus au moment du passage à l’acte. Pour autant ces éléments ne signent pas à eux seuls le caractère terroriste de l’acte. Par ailleurs, « Allah Akbar » est une formule qui n’appartient pas à l’EI mais que celui-ci a dévoyée » explique une magistrate du PNAT.
C’est en raison du même défaut d’éléments que lorsque W. Mallet, 69 ans, a assassiné trois Kurdes en décembre 2022, le PNAT ne s’est pas saisi non plus. Et pour cause, il n’y avait ni idéologie derrière son acte, ni intention de changer la société par la terreur. Son crime obéissait à un motif purement personnel. W. Mallet avait été victime d’un cambriolage par des étrangers auquel il avait réagi en commettant des violences graves sur les auteurs, ce qui lui avait valu une condamnation judiciaire. Instable psychologiquement, fasciné par l’ultra-violence, désireux de mourir célèbre, il a décidé de se venger en tuant trois étrangers. L’affaire est terrifiante, le motif raciste, mais il n’y a dans son geste aucune intention de terroriser la société pour faire passer un message quelconque.
Pour trouver ces fameux éléments, les enquêteurs vont rechercher d’éventuels liens avec des groupes terroristes, explorer les réseaux sociaux, entendre l’entourage et collecter tous les indices accréditant l’hypothèse d’un projet individuel ou collectif visant à terroriser la société pour imposer une croyance, une idée. Évidemment, lorsqu’il y a un rattachement à une idéologie affichant ouvertement sa stratégie de terreur, par exemple celle d’Al Qaïda dans la Péninsule arabique (AQBA) ou de l’État islamique (EI), les faits sont plus faciles à caractériser. Dans les procès des attentats de janvier 2015, du 13 novembre ou encore de Saint-Étienne-du-Rouvray, les enquêteurs ont mis au jour, outre les liens avec ces organisations, des éléments démontrant la participation des accusés à un projet terroriste, par exemple : aide au financement, fourniture de moyens logistiques, radicalisation, voyages en Syrie, achats d’armes, fabrication d’explosifs…
Treize procédures initiées contre l’ultra-droite
Si le terrorisme islamiste occupe le devant de la scène en France depuis quelques années, il n’est pas le seul sur lequel travaille le parquet spécialisé. Ainsi, le PNAT s’intéresse-t-il actuellement à l’ultra-droite : treize procédures ont été initiées depuis 2017. Un dossier est également ouvert s’agissant de l’ultra-gauche. En revanche, et malgré le débat politique ravivé par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à l’occasion notamment des événements de Sainte-Soline en mars 2023 contre les mega-bassines, les actions écologistes n’entrent pas dans la catégorie des actes troublant « gravement » l’ordre public par la terreur. Le terme d’écoterrorisme, employé par les politiques, n’a pas d’existence juridique.
Reste une question, pourquoi tant de prudence de la part de ce parquet dans le choix de se saisir ou pas d’un dossier ? Cela ne dissimule-t-il pas quelque chose ? « Penser qu’il s’agirait d’éviter une charge de travail supplémentaire est inexact » rétorque un membre du PNAT. « Par ailleurs, l’absence de saisine du PNAT ne change rien à la qualité de l’enquête. Nos collègues des autres parquets sont confrontés à des affaires aussi complexes dans d’autres matières et travaillent avec le même professionnalisme, il n’y a pas de différence ». En réalité, si le PNAT se saisit avec parcimonie, c’est parce que les procédures de terrorisme sont très particulières : les gardes à vue sont plus longues, les moyens d’investigation très dérogatoires au droit commun, « notre devoir, dans un état de droit, est de limiter le recours à ces moyens au strict nécessaire défini par la loi », précise-t-on. Malgré ces précautions, il arrive qu’une affaire qualifiée à l’origine de terroriste soit requalifiée en cours de procédure. Ce fut le cas en septembre 2017. Un homme de 39 ans avait attaqué un militaire de l’opération Sentinelle au métro Châtelet en criant Allah. L’acte terroriste est retenu. Mais l’enquête allait révéler qu’en réalité l’agresseur avait sciemment arrêté son geste à quelques centimètres du cou du soldat, alors qu’il aurait pu le blesser gravement sans que celui-ci ait le temps de se défendre. En fait, l’agresseur avait l’intention non de tuer mais de se faire tuer. La qualification terroriste n’avait plus de fondement.
Référence : AJU372390