Assises de Créteil : Douze ans de réclusion criminelle pour le viol d’une femme invalide
L’auteur du viol d’une femme atteinte de la maladie de Steinert s’est-il rendu compte du handicap de la victime au moment des faits ? C’est la question à laquelle la cour d’assises de Créteil devait répondre le 7 juillet 2020. (Lire la première partie de ce récit d’audience ici)
Une photo de la victime est projetée sur les écrans de télévision de la cour d’assise du Val-de-Marne. La femme a l’air perdue dans un large manteau noir qui ressemble à un plumage. Son visage aux traits tirés est orné de grandes lunettes rondes. Sur ses lèvres, comme un demi-sourire de fatalité… C’est le portrait d’une martyre. La photo a été prise au commissariat juste après les faits : dans la nuit du 18 décembre 2016, Mme L. a été violée à son domicile par Monsieur Y., qui reconnaît les faits. Elle était atteinte d’une maladie dégénérative des muscles, la maladie de Steinert.
« J’essaie de ne pas y penser »
Devant les policiers, Mme L. fait partie de ces victimes qui veulent oublier le choc au plus vite.
A la barre, l’OPJ, une femme, souligne ce paradoxe apparu dans les auditions : « Il y a des traces de blessures, mais cette violence n’apparaît pas dans le témoignage de Mme L.. Elle n’essaie pas d’en ajouter. Ça lui coute de parler de ça. » Lors de son dépôt de plainte, la policière lui demande :
« — Vous faisait-il peur ?
— Oui un petit peu. Vous savez quand vous avez quelqu’un en face de vous…
— Avez-vous consulté un psychologue ?
— Oui je vais le faire bientôt. Ce n’est pas facile, j’essaie de ne pas y penser mais je n’ai pas le choix. »
Par la suite, elle consultera en effet un psychologue, mais sans trop s’y attarder : trois séances au lieu des six prescrites. La défense le souligne, pour minimiser la gravité des faits.
L’avocate générale, qui a compris la stratégie, intervient : « Dès l’âge de deux ans, elle était dans la souffrance physique. C’est une vie de souffrances physiques. Quand le viol survient, elle est dans une suite de souffrances physiques. Oui, elle est dans une pudeur particulière. »
Si Mme L. n’est pas tout-à-fait absente, Monsieur Y., lui n’est pas tout-à-fait présent. Il sombre au fond de son box. Coudes sur les genoux, tête entre les épaules. Accablement, honte ou épuisement ? On ne sait pas.
La nuit du 18 décembre 2016 était-il conscient de l’état de Mme L.?
Elle était à cette époque invalide à 65 %. Un défibrillateur avait été implanté à proximité de son cœur pour la réanimer à distance en cas d’insuffisance cardiaque. A la barre, l’officier de police judiciaire qui l’a entendue explique qu’il a fallu à Mme L. 10 minutes pour parcourir au commissariat le chemin entre l’ascenseur et son bureau.
« — L’état de santé de Mme L est-il visible dès qu’on la voit ? demande l’avocat de la partie civile.
— Oui, répond l’OPJ. Elle a du mal à se déplacer. Sa voix est faible. Elle mesure 1,47 m et pèse 62 kg. C’est un tout petit bout de femme. On peut voir qu’elle est malade. »
Pourtant, quand le juge d’instruction a demandé à Mme L. si elle pensait que l’homme avait eu conscience de son état, elle a répondu : « Je ne pense pas, parce que je marche quand même. Et la lumière était éteinte. » Et quand la voisine veut montrer aux jurés à quel point la vie de son amie a basculé, elle raconte : « jusqu’à ce jour, elle arrivait à se déplacer. On allait au restaurant tous les mardis ensemble. »
Le Président se tourne vers M. Y. :
« — Est-ce que vous vous êtes rendu-compte à un moment ou un autre que cette personne était fragile au moment des faits ?
— Je demande que cette femme m’excuse. Je ne peux pas savoir qu’elle était malade, je n’ai pas vu. »
« Son infirmité n’a pu lui échapper »
Dans sa plaidoirie, Maître Karine Attoun, l’avocate de Mme et M. L., veut insister sur ce point : « Quand vous voyez Mme L., vous vous rendez compte de son état de vulnérabilité. »
Elle s’indigne de l’évaluation du préjudice par le médecin légiste qui a fixé trois jours d’ITT. « Soit on a un médecin incompétent, soit Mme L. va bien… ». Plus tard, l’expert psychiatre a diagnostiqué un syndrome post-traumatique, souligne l’avocate. « Lorsque son mari partait, elle avait peur. Chaque fois qu’il y avait un bruit elle avait peur… Je vous demanderais de prendre ces éléments en comptes et de faire qu’elle soit là au moment du délibéré. »
C’est au tour de l’avocate générale de requérir. L’accusé risque 20 ans pour le viol avec deux circonstances aggravantes – son état d’ébriété et la vulnérabilité de la victime -, et 7 ans pour le vol.
« Comment est-il rentré, nous ne le saurons jamais. Objectivement, cela importe peu. Quand bien même aurait-elle ouvert la porte, jamais elle n’aurait consenti à avoir une relation avec cet homme. Il l’a violée. D’abord par surprise : il a coupé l’électricité. Par violence : il lui applique une doudoune, elle dit « il s’est jeté sur moi ». Par menace : il lui intime l’ordre de ne pas crier, de se coucher. Les circonstances aggravantes sont établies : oui elle est une personne vulnérable. Son infirmité à 65 % n’a pas pu échapper à l’agresseur. Était-il en état d’ébriété ? L’accusé le reconnaît. La victime le dit. Le médecin aussi… »
L’avocate générale liste les séquelles : « le traumatisme, le sentiment de vide, de culpabilité, d’hypervigilance quelle ressentira toute sa vie. »
La magistrate voit en l’accusé « une attitude de ruse, une attitude de fuite. » Sa reconnaissance des faits « n’est pas pleine et entière ».
Elle requiert douze ans de réclusion criminelle, et une peine complémentaire : l’interdiction définitive de séjour en France.
« Par surprise et dans le noir »
Pour la défense, Maître Marc Montagnier s’attaque à la circonstance aggravante de la vulnérabilité de la victime : « Je reprends l’analyse de l’avocate générale. Les faits se sont faits par surprise, dans le noir. Comment par surprise et dans le noir, se rendre compte du handicap de quelqu’un ? Comme l’a dit la voisine, la Mme L. d’aujourd’hui n’est pas la Mme L. de 2016. »
Sur la peine, l’avocat invoque la jurisprudence : « entre 4 et 7 ans pour un viol simple, surtout sans aucun casier judiciaire. Une peine aussi forte que 12 ans, ce serait faire injure aux victimes de violeurs en série par exemple. » Quant à l’interdiction de séjour, elle constituerait « une peine de mort, compte tenu des risques qu’il encourt dans son pays. »
Avant que la cour et les jurés ne se retirent pour délibérer, Monsieur Y. répète une dernière fois : « Je n’ai pas vu qu’elle était malade. Tout ce que je demande c’est le pardon. Ce que j’ai fait, ce n’est pas bien. L’alcool, ce n’est pas une excuse. »
Douze ans de réclusion
Après trois heures de délibéré, la cour et les jurés reconnaissent l’accusé coupable de viol avec une circonstance aggravante, la connaissance de l’état de vulnérabilité de la victime. La circonstance aggravante de l’ivresse manifeste n’est pas retenue.
Il est condamné à 12 ans de réclusion criminelle et à une interdiction définitive de séjour en France.
Il devra verser 30 000 € à Mme L. et 10 000 € à son mari au titre des dommages et intérêts. Cette somme sera prise en charge par le fonds d’indemnisation des victimes.
Référence : AJU68794