Attentat contre la synagogue rue Copernic : un journaliste fustige une « enquête sabotée »

Publié le 03/04/2023

Près de 43 ans après l’attentat contre la synagogue rue Copernic à Paris, la cour d’assises spécialement composée juge à partir d’aujourd’hui in absentia Hassan Diab, soupçonné d’avoir posé la bombe. Le journaliste Clément Weill-Raynal publie le récit des errements politico-judiciaires dans l’une des pires affaires de terrorisme du XXe siècle.

Attentat contre la synagogue rue Copernic : un journaliste fustige une « enquête sabotée »

 

En 27 chapitres, suivis d’un calendrier répertoriant 50 dates capitales, l’un des chroniqueurs judiciaires de France Télévisions, Clément Weill-Raynal, expose en profondeur une enquête à multiples rebondissements et pas des plus glorieux. Il s’agit de l’instruction qui a suivi, durant quatre décennies, l’attentat visant la communauté juive rue Copernic (XVIe arrondissement) à Paris. Dès 10 heures ce lundi, et jusqu’à vendredi 21 avril, des magistrats examineront ce dossier sans pouvoir interroger l’accusé, que représentera son défenseur Me William Bourdon. Le Libano-Canadien Hassan Diab, 69 ans, professeur de sociologie à Ottawa (Ontario), a refusé d’assister à son procès pour assassinats et tentatives, destructions par l’effet d’une bombe, commis en bande organisée.

Vendredi 3 octobre 1980, 18 h 35, jour de fête de Sim’hat Torah

 La tragédie est si ancienne qu’il faut en rappeler les circonstances et les conséquences. Vendredi 3 octobre, 320 fidèles sont réunis à la synagogue du 24, rue Copernic. À la tombée de la nuit, c’est le début du chabbat mais aussi jour de fête de Sim’hat Torah, où sont lus des extraits du livre saint, entrecoupés de chants. Cinq adolescents célèbrent leur Bar et Bat-Mitsva, de nombreux jeunes de leur âge assistent aux cérémonies. L’auteur de Rue Copernic, L’Enquête sabotée 1980-2023* écrit que le sermon du rabbin dure 15 minutes de trop. Sans ce léger retard, les pratiquants auraient afflué sur le trottoir devant le lieu de culte. À 18 h 35, l’engin explosif composé de dix kilos de penthrite fixés sur une moto garée à l’entrée dévaste tout. Philippe Bouissou, un passant de 22 ans, Aliza Shagrir, une touriste israélienne, et Jean-Michel Barbé, un chauffeur de maître, sont tués. Le concierge Hilario Lopes Fernandez meurt deux jours plus tard. La verrière qui surplombe la synagogue s’effondre sur les fidèles, les voitures prennent feu et sur 150 mètres, les vitrines des magasins volent en éclats. Les secours dénombrent 47 blessés.

Des « milices néonazies » à « la piste moyen-orientale »

 Raymond Barre, Premier ministre, déplore « l’attentat odieux qui voulait frapper des Israélites et qui a frappé des Français innocents ». Une terrible maladresse qui précède celle du Président Valéry Giscard d’Estaing, parti le lendemain chasser en Alsace quand la France descend dans la rue. Cette France croit alors en « la fantasmagorie antinazie », précise Clément Weill-Raynal, « un délire collectif » d’abord né d’une revendication fantaisiste à l’AFP par les Faisceaux nationalistes européens, groupe d’extrême droite vite mis hors de cause. « L’histoire de l’attentat de la rue Copernic est aussi celle d’une gigantesque manipulation de l’opinion publique dont les effets perdurent », indique-t-il. La chasse aux néonazis et à « la bête immonde » est privilégiée dans un pays qui s’apprête à élire François Mitterrand. Le candidat socialiste sera, avec Simone Veil, alors présidente du Parlement européen, le seul représentant politique présent le 4 octobre à l’office qu’a organisé la communauté juive. « Le ver est dans le fruit », dit-il, pointant « les activistes d’extrême droite ».

L’auteur s’en prend vivement à la gauche, à ses relais, associations, presse, intellectuels qui ont répété l’« invraisemblable mot d’ordre » : « Les nazis ont posé la bombe ! » Pourtant, en quelques jours, la Brigade criminelle et les Renseignements « ont identifié une piste moyen-orientale qui conduira ultérieurement à un groupe terroriste palestinien ». Restituant le contexte de l’époque, Clément Weill-Raynal estime que la fausse piste des fascistes « arrangeait beaucoup de monde », le conflit israélo-palestinien relevant déjà du « dossier empoisonné ».

Le faux Chypriote et le vrai Libanais

 Au chapitre politique et médiatique, que l’on parcourt avec consternation tant « la fiction des nazis » sera longtemps entretenue, succèdent ceux que l’auteur consacre à l’enquête judiciaire. La scientifique déchiffre le numéro de série sur la moto porteuse de la bombe. L’engin a été acheté à Paris par un Chypriote, Alexander Panadriyu. Dans son hôtel et un supermarché, 13 personnes qui l’ont croisé brossent un portrait-robot. Cet élément, entre autres, entretiendra plus tard la suspicion envers Hassan Diab.

L’ouvrage, qui se lit comme un roman policier, recense précisément toutes les recherches. Dès décembre 1980, deux mois après le drame, la Direction de la surveillance du territoire (DST) reçoit des informations de collègues allemands du BKA, l’Office fédéral de police criminelle : l’attentat serait l’œuvre du FPLP-OS, la branche opérations spéciales du Front populaire de libération de la Palestine. Panadriyu n’existe pas, le passeport est faux, le Chypriote est libanais, « un Hassan bien connu à Beyrouth ».

Mais dans les années 1980, « aucune chance de retrouver les auteurs d’un attentat » sortis de France, l’espace Schengen n’existe pas, la coopération des polices est balbutiante, « il est inconcevable que des policiers français enquêtent au Liban ». Les investigations s’enliseront près de vingt ans…

L’arrivée du juge Marc Trévidic

 La DST continue de recevoir des informations, surtout lorsque s’ouvrent les archives de la Stasi, police secrète est-allemande obsédée par le fichage, qui recelait des millions de données. La criminelle poursuit ses efforts, le dossier n’est donc jamais refermé par le juge Jean-Louis Bruguière. Et la responsabilité du FPLP-OS est établie. Selon la DST, dans un rapport écrit en 1999, Panadriyu s’appelle Hassan Diab, il a posé la bombe de Copernic. En 1987, il a quitté le Liban pour les États-Unis, vit depuis 1995 au Canada. « Pourtant, à partir de cet hiver 1999, le dossier va subitement se figer (…) Comment expliquer une telle incurie ? », s’interroge le journaliste.

Il faut attendre l’année 2007 et l’arrivée du juge Marc Trévidic pour qu’il soit réactivé. Le magistrat a collaboré avec le FBI à l’occasion de la traque de Ben Laden. Il active son réseau. Les Américains fournissent les dossiers d’inscription universitaire de Diab. L’écriture est comparée à celle laissée à Paris sur la fiche d’hôtel de Panadriyu fin septembre 1980. Un expert les trouve « parfaitement compatibles », le second conclut à « de nombreuses concordances ». Quand les policiers mettent la main sur la photo de Diab, ils « ont le sentiment d’avoir peut-être trouvé ce qu’ils cherchaient depuis 28 ans ».

Le 5 novembre 2008, Marc Trévidic lance un mandat d’arrêt international contre le professeur de sociologie à l’université d’Ottawa. Mais la justice canadienne va étudier les charges pendant six ans…

« Il y a erreur sur la personne »

 Hassan Diab voit sa carrière s’arrêter. « Il y a erreur sur la personne », jure-t-il, se disant « victime d’une invraisemblable méprise. Il porte un nom et un prénom très courants au pays du Cèdre ». Toutefois, poursuit Clément Weill-Raynal, « les soupçons ne reposent pas sur d’hypothétiques indices ou de vagues témoignages », les charges sont « très lourdes », ce n’est pas « sans de sérieuses raisons » que les Canadiens ont accepté de l’extrader. Celles-ci et la personnalité de ses proches font l’objet de six chapitres.

Le professeur Diab est transféré en France le 15 novembre 2014. Il garde le silence. En 2016, il change d’avis. Entre-temps, Marc Trévidic a été muté. Richard Foltzer et Jean-Marc Herbaut ont hérité de l’affaire. Face à eux, M. Diab s’affirme innocent « d’un acte haineux et sauvage ». Il raconte sa vie. Des incohérences apparaissent en sa défaveur, une Américaine l’accable, un alibi surgit… Ainsi dévoilé, ce dossier s’apparente à un thriller.

La note blanche des Israéliens, « une démarche scandaleuse »

 Contemporaine, la suite est connue. Le 12 janvier 2018, les juges Foltzer et Herbaut rendent une ordonnance de non-lieu, considérant que les charges ne sont pas probantes. Le jour de sa libération, Hassan Diab s’envole vers Ottawa via l’Islande, bien que son nom figure sur la “no-fly list”. À Paris, c’est la consternation. Ce revirement est dû à cinq nouveaux témoignages « fragiles, douteux, imprécis, invérifiables et même contradictoires » selon l’auteur qui a eu accès au dossier.

C’est d’autant plus incompréhensible qu’une « note blanche » des services israéliens, répertoriant les révélations de six sources, recoupe des éléments à charge, l’implication du FPLP-OS qui désigne un de ses membres, Amer, comme étant le suspect Diab. Me Bourdon qualifie la note de « démarche scandaleuse », accuse Israël de « tirer les ficelles, de manipuler l’enquête ». Le dossier repart aux oubliettes. Clément Weill-Raynal fustige « 50 ans de lâchetés et compromissions », la mansuétude du pouvoir français envers des terroristes, dont le fondateur du FPLP Georges Habache.

Complaisance à l’égard de Hassan Diab ? La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris n’en manifestera pas le 27 janvier 2021 lorsqu’elle annule le non-lieu en faveur du sociologue canadien, « après une errance de trois nouvelles années », conclut le journaliste. Ainsi Hassan Diab est-il jugé, même en son absence, 42 ans et six mois après l’attentat au 24, rue Copernic. En l’état, 24 personnes physiques et morales se sont constituées parties civiles. Le juge Marc Trévidic, à qui les victimes doivent l’essentiel de l’instruction, sera entendu vendredi 7 avril.

* Rue Copernic, L’Enquête sabotée 1980-2023, par Clément Weill-Raynal, éditions de l’Artilleur, 304 pages, 20 €.

Plan
X