Aux comparutions immédiates de Paris : comme il est difficile de juger !
Quiconque prétend parler de justice, en particulier chez les politiques, devrait auparavant s’imposer d’assister à une audience de comparutions immédiates. Là plus qu’ailleurs, on mesure la difficulté de juger. Récit d’une journée ordinaire à la 23-3 du tribunal correctionnel de Paris.
Lundi 23 octobre, 13h45. L’audience aurait déjà dû commencer, or, il ne se passe rien. Le tribunal est arrivé, le public remplit les bancs, mais tout le monde est immobile et silencieux. Un coup d’œil en direction du box éclaire les raisons de cette curieuse ambiance : on attend que l’escorte amène le premier prévenu. Fait inhabituel, c’est une femme. Les comparutions immédiates jugent à la file – d’aucuns parlent d’abattage – des bataillons d’hommes jeunes, en situation précaire, souvent victimes d’addictions et coupables de commerces illicites ou de menus larcins pour survivre.
« Vous risquez 20 ans en récidive ! »
Aussi, voir entrer dans le box sous escorte une jolie jeune femme aux longs cheveux noirs et aux cils de biche dans cet univers masculin rude et brutal surprend. Nous l’appellerons Virginie. Elle a 25 ans et l’insouciance de son âge. Le jour où elle a été arrêtée, elle conduisait sans ceinture, en téléphonant. Les policiers qui la contrôlent repèrent immédiatement l’odeur de cannabis qui émane de l’habitacle même si elle tente de dissimuler le joint. On trouve dans la voiture de la cocaïne, des amphétamines et du cannabis ainsi que 900 euros dans une « cache » située dans le volant. Elle a aussi un petit couteau sur elle dont elle assure qu’il sert à la défendre.
« — Vous allez à une fête et vous vous chargez de récupérer la drogue pour tout le monde. Vous trouvez que c’est une idée brillante, alors que vous avez déjà été condamnée ?
— Chacun avait sa mission, certains devaient rapporter à manger, d’autres à boire…
— Oui, mais aller chercher de la nourriture et de la drogue ce n’est pas pareil ! » s’exclame la magistrate.
La présidente est en colère et on la comprend : que vient faire au milieu des fracassés de la vie et des délinquants endurcis cette jeune femme qui semble avoir tout pour elle ?
Les policiers pensent qu’elle entendait vendre ses produits à la soirée, Virginie assure qu’elle avait simplement acheté pour tout le monde, à charge d’être remboursée. À la magistrate qui lui demande si elle sait ce qu’elle risque, elle répond 10 ans. « Non 20, vous êtes en récidive ».
Elle a une adresse et un travail
« Moi je ramène des cotillons et des ballons à une soirée, pas des drogues dures », tacle le magistrat du parquet qu’on peine à imaginer à cet instant précis soufflant dans une sarbacane bariolée. On nous dit : « Je n’allais pas revendre mais on allait me rembourser, c’est une cession » précise-t-il, autrement dit un délit. Pourquoi emmener 900 euros à une soirée où tout est payé ? s’interroge-t-il encore. Elle est en grande récidive (comprendre en récidive de tout) et sortait même d’une composition pénale à Nanterre, le jour des faits. Il requiert 15 mois de prison, son maintien en détention, l’annulation du permis, et la confiscation des scellés.
Virginie a des atouts dans son jeu et son avocate les fait valoir. Ses parents qui l’hébergent sont forcément au courant de la situation puisqu’ils ont subi une perquisition. Elle a aussi un travail. La prison en CI c’est pour les dangereux, les récidivistes et les gens sans domicile. Les autres ont une chance d’y échapper. Le tribunal rendra sa décision tout à l’heure, indique la présidente. La jeune femme repart dans les tréfonds du tribunal. Son destin ne tient qu’à un fil : elle peut dormir chez elle ce soir ou partir en prison pour longtemps.
« On n’est pas au tribunal du ciel »
Le prévenu suivant est un homme d’une trentaine d’années. Le 20 octobre, il s’est frotté contre les fesses d’une femme. Algérien en situation irrégulière en France, il n’a fait aucune démarche pour régulariser sa situation, constate la présidente à la lecture du dossier. Habituellement on offre au prévenu le choix entre être jugé tout de suite ou plus tard pour préparer sa défense. Avec le risque de devoir passer des mois en prison si on craint en le relâchant de ne jamais le revoir. Celui-ci n’a pas le choix, un délit sexuel impose une expertise psychiatrique qui n’a pas été réalisée. Il ne peut donc pas être jugé. Reste à savoir si on le libère d’ici là, ou s’il faut le maintenir en détention ? Cela dépend de nombreux facteurs : passé judiciaire, gravité des faits, possibilité ou non de fournir une adresse, etc. Le parquet rappelle qu’il a ses attaches en Algérie, une femme et un enfant, et qu’il n’a rien fait pour régulariser sa situation. Mais il apprend le français, souligne la défense : 1 h 30 de cours tous les soirs dans une paroisse. Il est aussi plombier. « Je ne veux pas perdre mon travail, j’envoie de l’argent à ma famille, j’en ai besoin » dit-il en arabe, son traducteur transcrit. Les policiers l’emmènent. Comme Virginie, il devra attendre la décision en cellule.
Voici qu’entre dans le box un géant brun avec un beau visage aux traits orientaux. C’est un Allemand. Il comparait pour un vol de sac avec violence. Le sac est cassé, mais la police a rapidement mis la main sur le voleur et la victime a récupéré toutes ses affaires. Son avocate demande un renvoi pour expertise psychiatrique, en s’entretenant avec lui elle s’est demandé s’il était responsable de ses actes. D’ailleurs le dossier mentionne qu’il souffre de schizophrénie. Le procureur n’y est pas favorable : le dossier est simple, les faits sont reconnus. Il est arrivé il y a deux semaines à Paris, explique-t-il « pour visiter et se faire des amis ». Il évoque une vieille adresse quand on lui demande où il habite, on comprend vite qu’il zone sans oser l’avouer. L’homme est doux, poli, répond avec empressement au tribunal. « Il y a de meilleurs moyens de se faire des amis que de voler un sac » ironise le parquet. Le dossier nous apprend qu’il a une femme et quatre enfants dont le dernier a deux mois. Le prévenu en guise de dernier mot demande pardon au ciel et aux hommes. « On n’est pas le tribunal du ciel, mais la décision sera rendue tout à l’heure pour ce qui est du tribunal terrestre » conclut la présidente. L’homme au beau visage et à l’esprit fragile repart dans les tréfonds du tribunal attendre d’être fixé sur son sort. Pourquoi est-il là, que va-t-il devenir ? On songe qu’il aurait besoin d’une prise en charge, mais la justice ne peut rien faire d’autre ici que son travail : traiter une infraction.
« Depuis vendredi, c’est un cauchemar »
Il est 14 h 31, voici la quatrième affaire. Elle est épique. Mohamed roule trop vite sur le périphérique, double à droite, bref, il fait le cacou. Le contrôle de police révèle que ce conducteur sans permis a consommé du cannabis. Un grand classique des CI. Ce à quoi les policiers ne s’attendaient sans doute pas, c’est à la suite. Mohamed s’enfuit à pied sur le périph, traverse les voies, tente d’ouvrir la portière d’une voiture avant de sauter en croupe sur un scooter en essayant de dégager son propriétaire, qui résiste ; les deux hommes roulent au sol, au milieu du trafic.
« — À l’origine on est juste sur une conduite sans permis et sous stupéfiants, je ne dis pas que c’est bien mais ce n’est pas un braquage, les risques que vous avez pris pour les autres et vous aussi ont aggravé la situation de façon considérable.
— J’ai été pris de panique. Depuis vendredi c’est un cauchemar, j’ai compris que j’avais failli me faire écraser, je m’en veux, j’ai fait ça sans réfléchir.
L’homme a un casier fourni, mais il assure qu’à 31 ans, il a décidé de se calmer. L’ennui, c’est que la justice a de quoi douter de ses belles promesses : entre son pedigree judiciaire et ses mensonges… Il confie que sa compagne est enceinte de deux mois, sa mère l’ignore. Il déclare qu’il travaille, sa mère assure que non. Elle dit aussi qu’il consomme du cannabis, le prévenu baisse la tête. On s’interroge, cette histoire de grossesse n’aurait-elle pas pour objet d’attendrir le tribunal ? C’est toute la difficulté de juger. Il raconte tant de bobards que la présidente sort de ses gonds. « Ne me racontez pas n’importe quoi ! ». Clinique, le parquet déroule son casier, long comme un avertissement relatif à la protection de la vie privée sur un site internet : 5 vols, 3 rebellions, 3 conduites sans permis. Il requiert 18 mois et le maintien en détention. « La réinsertion n’est pas un long chemin tranquille, plaide son avocat, il a eu peur. Il doit être puni mais la peine aura plus d’intérêt s’il peut poursuivre sa réinsertion ». La défense propose un placement sous bracelet électronique. Fin de l’examen du dossier, le prévenu est emmené par l’escorte.
« J’attends mon tour, tu vas le regretter vivement ! »
Un autre homme le remplace, la cinquantaine, un masque anti-Covid sur le visage. Il comparait pour avoir, entre janvier et juin dernier, harcelé de sms son ancienne compagne dont il a eu un enfant en 2015. Depuis quelque temps, un nouveau profil a fait son apparition aux CI, aux côtés des petits trafiquants et des voleurs de portables : le mari violent ou harceleur. La justice a pris le problème des violences familiales à bras-le-corps et elle tape fort en général. L’homme, dont on comprend qu’il travaille dans le monde de l’art, traque sans relâche son ex-compagne, contrainte de déménager régulièrement. Il dit qu’il cherche juste à revoir son enfant qu’il n’a pas vu depuis sept ans, bien qu’il paie la pension alimentaire, assure-t-il. Absente à l’audience mais représentée, son ex-compagne affirme quant à elle qu’il lui fait peur, qu’il ne paie pas la pension (400 euros par mois) et surtout qu’elle craint qu’il enlève l’enfant, dont elle a la garde exclusive. Il la harcèle de SMS faisant référence au Coran, l’accuse d’être une mauvaise épouse, la prévient qu’elle va payer : « Craignez votre seigneur, attends-toi à un revers », « Mauvaise mère, ça ne durera pas, j’attends mon tour, tu vas le regretter vivement ». Il faisait l’objet d’un mandat de recherche, il a été interpellé à Roissy. Dans le box, il se donne le beau rôle, celui d’un père privé de son fils, il assure qu’il a cessé de chercher où elle habitait, qu’il n’est plus violent, qu’il ne fait que lui écrire. Visiblement il ne comprend pas ou ne veut pas comprendre que ce qu’on lui reproche, c’est précisément de continuer de lui écrire. Ce d’autant plus qu’il a déjà été condamné pour des violences, tant sur la mère de l’enfant que sur une autre compagne. Cette dernière se serait enfuie de l’appartement et aurait malencontreusement chuté dans l’escalier. « Mais oui, Monsieur les gens tombent tout seul dans les escaliers, ça arrive tous les jours » s’emporte la magistrate. Il souligne qu’il n’y a pas eu de plainte et qu’il a fait appel. L’argument redouble la colère de la juge. « J’ai crié mon désarroi » se défend le prévenu quand on revient aux sms. « C’est une mère de famille en détresse qui demande de l’aide, elle est à bout, elle a changé plusieurs fois de domicile, elle se sent en danger, plaide son avocat. Elle ne veut rien de plus qu’un euro symbolique, mais elle demande une injonction d’éloignement, une interdiction de contact définitive. Elle a peur » explique l’avocat de la partie civile qui s’indigne au passage que l’homme dans le box se fasse passer pour la victime. Le parquet n’est pas tendre. « Monsieur est en récidive légale, il est temps qu’il lâche prise sur les ex-compagnes et sur ses compagnes qui tombent dans les escaliers ». Le procureur requiert 12 mois de prison avec maintien en détention et 3 ans d’interdiction de contact. Comme les autres, il repart sous escorte en attendant la décision.
« Un étranger en situation régulière ici, ce n’est pas courant »
Il est 15 h 40, voici la sixième affaire. Djibril entre dans le box. Le jeune malien doit répondre de violences sur la personne d’une femme qui a obtenu deux jours d’ITT. Ils habitent le même foyer, une nuit, la voisine du dessus fait vraiment trop de bruit au goût de Djibril qui tambourine à la porte, parvient à l’ouvrir, attrape la femme au cou, la projette au sol, pose le pied sur sa nuque, s’empare d’un cintre en plastique pour frapper. Il avait avoué en garde à vue, désormais il nie. Son dossier confirme que cet enfant de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) a souvent des problèmes de violence qui ne plaident pas en sa faveur. Le parquet rappelle que les traces de quatre doigts sur le cou de la victime ne sont pas arrivées là par hasard, ce qui met à mal les dénégations tardives du prévenu. Il requiert huit mois avec sursis. Avec beaucoup de tact, Me Florian Godest le Gall explique au tribunal qu’un étranger en situation régulière, ce n’est pas courant ici, qu’il a une formation de souffleur sur verre, décrochera bientôt un travail et que ce sera la garantie qu’il ne reviendra jamais devant le tribunal. « Je vous demande de ne pas faire figurer une condamnation au casier. Sinon, on refusera de renouveler son titre de séjour et il fera l’objet d’une OQTF. Ce serait détruire tout ce qu’il a fait pour venir en France et s’insérer. » Dans ces dossiers traités en quelques minutes sous prétexte qu’ils sont simples, l’intervention de l’avocat, quand elle est pertinente comme ici, s’avère précieuse, non seulement pour le prévenu mais pour la justice elle-même. Cela permet d’éclairer les raisons d’un acte par un parcours chaotique, de souligner un effort accompli, de proposer une garantie qui évitera la prison…
Les peines tombent
Le tribunal suspend l’audience pour délibérer sur ses six premiers dossiers. Quelques minutes plus tard, chacun est fixé sur son destin. Virginie ne dormira pas en prison, la justice lui laisse une chance : dix mois sous bracelet électronique, suspension du permis et confiscation des scellés. Elle sourit à son avocate, soulagée, radieuse. Le prévenu accusé d’avoir touché les fesses d’une femme n’a pas autant de chance : son dossier est renvoyé au 1er décembre pour procéder à l’expertise psychiatrique obligatoire ; il est maintenu en détention. « Mais j’ai besoin de travailler » s’écrie-t-il en arabe. « La décision est rendue, faites appel si elle ne vous convient pas. Au revoir Monsieur » rétorque sèchement la présidente qui poursuit la lecture des délibérés. C’est lui qui a une femme et un enfant à nourrir en Algérie. Le touriste allemand qui veut se faire des amis est condamné à quatre mois avec sursis, il ressort libre. On renvoie donc dans la rue un schizophrène sans suivi médical, sans ressources et sans domicile. Mais sa place n’était pas davantage en prison. Il incarne l’un de ces problèmes sans solution qui sont légion aux comparutions immédiates parce que personne ne songe à sortir de cette logique infernale. Le cow-boy du périphérique en revanche repart en prison pour 18 mois. Depuis le box, il adresse un salut résigné à sa famille et disparait avec son escorte. Le conjoint harceleur est condamné à 18 mois dont 6 avec sursis probatoire. Le tribunal renvoie au juge d’application des peines le soin de décider s’il exécutera sa peine en prison ou dehors. Il a aussi l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, sous peine de voir sa peine s’alourdir de six mois supplémentaires. Enfin, le jeune souffleur de verre malien écope de six mois avec sursis simple. La justice lui laisse une chance : non-inscription au casier. Précisons que le sursis n’est pas un blanc-seing, si dans un délai donné, l’intéressé commet une nouvelle infraction, le sursis se change en ferme et l’auteur exécute la nouvelle peine plus l’ancienne.
L’échec des sorties sèches
Il est 16 h 52 lorsque le septième prévenu fait son entrée dans le box : Adouche, 19 ans, aucun domicile connu. Il comparait pour deux vols de portable sur la ligne 1 du métro, port d’arme (des lames de cutter) et pour avoir craché sur un policier lors de son interpellation. Comme il a déjà été condamné pour les mêmes faits en mai, il est en état de récidive légale.
« — Pourquoi volez-vous ?
— Je suis sorti de détention, je n’avais pas d’argent, c’était pour revendre les téléphones afin d’acheter à manger et de dormir quelque part.
— Si en sortant de prison vous commettez des infractions, ce que vous allez surtout obtenir c’est de retourner en prison.
— Si j’y retourne, je vais être malade et foutre ma vie en l’air. »
En France depuis trois ans, il vit chez un ami, se plaint de n’avoir même pas trouvé un travail au noir, consomme du cannabis et du rivotril. Son casier comporte déjà neuf mentions. Il s’embarque dans un récit bizarre : un policier lui aurait tracé une croix dans la main. « Qui peut croire à cette folklorique accusation de tentative de conversion forcée ! » s’exclame le parquet qui n’a pas apprécié qu’il faille montrer les vidéos au prévenu pour qu’il reconnaisse les faits. « Monsieur a deux lames de cutter sur lui car, bien évidemment, c’est lui qui doit se défendre contre le monde extérieur » ironise-t-il. « J’espère qu’on n’aura pas le droit à l’état de nécessité pour nourrir son enfant alors qu’il s’achète une montre à deux cents euros » prévient le procureur à l’intention de la défense. Dénonçant un « véritable ancrage dans la délinquance », il requiert 15 mois de prison avec maintien en détention. L’avocate de la défense a reçu le message, et n’invoque pas l’état de nécessité mais dénonce à juste titre le problème des sorties sèches (sans accompagnement) concernant les personnes qui n’ont pas de famille en France. « C’est la preuve que quelque chose ne fonctionne pas », souligne-t-elle. L’avocate plaide pour un sursis probatoire.
« Évitez qu’il ne s’enlise »
L’homme repart sous escorte et laisse la place dans le box à Mohamed, 30 ans. Lui a une famille venue le soutenir dans la salle. Il a été arrêté parce qu’il a eu la bonne idée de rouler sans phare et de doubler une voiture de police. Contrôle. On trouve sur lui des flacons de cocaïne, 11,8 grammes, dont 5 grammes de produit (hors contenant) et trois cents euros. Comme bon nombre de prévenus, il a refusé de donner son code de portable, sous prétexte de photos intimes. Autant le dire tout de suite, les juges n’en peuvent plus de cet argument. Pas plus qu’ils ne supportent de s’entendre répondre, quand ils interrogent sur un bornage « j’avais oublié mon téléphone dans la voiture d’un ami ». Lorsque le téléphone oublié soi-disant dans un vide poche reste allumé un mois, forcément le doute s’installe sur la sincérité du scénario. L’homme reste quasiment silencieux, son avocat explique qu’il a honte devant sa grande sœur venue l’aider à se sortir de là. Le parquet ne se laisse pas attendrir : il requiert 12 mois dont 6 avec un sursis probatoire de deux ans assorti d’une obligation de soin, la révocation des 8 mois de sursis d’une précédente condamnation, le maintien en détention, l’annulation du permis et l’interdiction de le passer pendant deux ans, la confiscation du téléphone et de l’argent. Me Florian Godest Le Gall prend la parole et change soudain le regard que l’on pose sur l’homme dans le box. Ses parents étaient tous les deux toxicomanes, sa mère consommait déjà pendant sa grossesse, ce qui a nui à la croissance de l’enfant. Il n’a jamais été condamné, travaille en CDI dans la restauration, enfin et surtout, sa sœur se propose de l’héberger. « Évitez qu’il ne s’enlise, il a un environnement structurant avec sa sœur et son travail, un sursis probatoire complet, c’est la meilleure solution pour lui » négocie l’avocat.
Des destins au bord du gouffre
Il est 17 h 40, le dernier prévenu fait son entrée dans le box. Adama, 21 ans, originaire de Rouen, il a volé des sacs de bouteilles et une caisse enregistreuse dans un Carrefour Market. Le prévenu réclame un délai pour se défendre, il sera donc jugé plus tard. Le parquet entend le maintenir en détention jusqu’à la prochaine audience en invoquant ses 5 condamnations auxquelles s’ajoutent les trois nouvelles infractions qui lui sont reprochées. « La peine sera lourde » prévient-il. « Quand sa mère le chasse de chez elle, il commet des infractions pour survivre, éclaire Me Godest Le Gall. Mais il va travailler, et son frère propose de l’héberger, malgré son casier vous disposez d’éléments qui permettent de s’assurer qu’il se présentera, quitte à la placer sous un contrôle judiciaire très strict ».
Le tribunal se retire pour délibérer. Quelques minutes plus tard, il revient avec les décisions.
Adouche, est condamné à 15 mois avec maintien en détention pour le vol des portables, Adama sera jugé le 1er décembre, d’ici là, il reste en détention aussi. En revanche, Mohamed a une seconde chance : condamné à 12 mois avec sursis, il est invité à soigner sa dépendance aux stupéfiants, trouver un travail et s’abstenir de revenir en Île-de-France. Émue, sa sœur donne avec empressement ses coordonnées à la greffière depuis les bancs du public. Son petit frère ne dormira pas en prison. Elle est au bord des larmes, une proche la réconforte.
La journée se termine à 18 heures. C’est tôt. Les comparutions immédiates en général se prolongent la nuit. Voire s’achèvent au petit matin (lire notre article ici). Toutes les affaires s’y ressemblent, à de rares exceptions près. Toutes révèlent la difficulté de juger et l’inadéquation d’un système qui engendre dans bien des cas une spirale infernale : pauvreté, addiction, délit, prison, sortie, pauvreté, addiction, délit etc…Ce ne sont pas seulement des auteurs d’infraction qu’il s’agit de traiter en appliquant les textes. Ce sont des destins qui se présentent devant les juges. Il faut apprécier la faute, prendre en compte l’intérêt de la société, se souvenir que les prisons sont saturées, entendre les victimes, mesurer le risque de fuite, de pression, de réitération, mais aussi à l’inverse évaluer les chances de réinsertion, de sortie de la délinquance. Ne pas faire preuve de naïveté, mais se garder de faire basculer sans raison sérieuse ces vies déjà au bord du gouffre. Et tout cela dans un temps donné, avec une marge de manœuvre limitée, alors que cette délinquance essentiellement d’indigence nécessiterait la mise en œuvre d’un système bien plus sophistiqué de prise en charge que la seule alternative entre la prison et la liberté.
Référence : AJU397776