Crise sanitaire : Libérés, délivrés, démasqués partout sauf…au Palais !
Un décret du 12 mars a mis fin à l’obligation du port du masque. Malgré tout, il reste obligatoire dans les palais de justice. Me Michèle Bauer s’interroge sur les raisons pour lesquelles ce texte réglementaire est appliqué partout excepté dans les lieux de justice. Une situation qui a déjà donné lieu à au moins un incident à Saint-Brieuc.
Lundi 14 mars 2022, je rentre dans ma boulangerie favorite, la vendeuse arbore un sourire démasqué, lèvres maquillées pour cette occasion.
Quant à moi, je portais mon masque dans cette boutique vide à cette heure très matinale.
J’avais complétement oublié qu’en cette journée, le décret « bas les masques » avait était publié.
Comment ai-je pu occulter une information relayée par la presse à coups de micros-trottoirs, passant en revue les pour, les contre, les scandalisés pour qui c’est trop tôt, les angoissés qui continueront à le porter ?
Réalisant que le gouvernement, avant les élections présidentielles, nous donne une possibilité de respirer, je m’apprête à aller plaider au palais, visage entièrement découvert et sourire aux lèvres.
Fausse joie
Ma joie aura été d’une courte durée lorsque je lis le mail de notre Bâtonnière :
« Nous avons interrogé la Présidence du T.J. relativement au port du masque dans l’enceinte judicaire.
Le Secrétariat de la Présidence nous répond dans une note en ces termes :
« Le tribunal judiciaire reste dans l’attente d’information de l’administration centrale quant au port du masque à l’intérieur de la juridiction.
Dans cette attente, la juridiction conserve le protocole sanitaire antérieur c’est-à-dire le port du masque obligatoire » »
Ce mail me laisse sans voix, je ne comprends pas, le palais de justice serait-il un lieu à part et hors la loi, ou hors décret ?
C’est bas les masques dans les supermarchés parfois bondés et masques sur le nez dans les grandes salles des pas perdus ou encore devant le juge aux affaires familiales où nous ne sommes pas plus de 4 personnes ?
Je décide alors de me rendre au palais visage nu, je passe sans problème le poste de sécurité où les deux policiers sont masqués, je me sens comme une enfant bravant l’interdit, enfin l’interdit autorisé.
J’arrive au Tribunal Judiciaire et ne croise que des Consœurs et Confrères masqués, des magistrats masqués, je me sens mal à l’aise comme lorsque je rêve la nuit que j’arpente, nue, les rues de Bordeaux.
Me voici différente.
Sur la passerelle, une Consœur de Libourne m’interpelle, « Mais tu ne mets pas le masque toi ? ».
Elle me communique un mail de sa Bâtonnière qui transférant l’entier mail de la secrétaire générale de la chancellerie ; il y est écrit à l’intention des fonctionnaires qu’un protocole doit être mis en place et qu’en attendant, les règles sanitaires antérieures au décret restent applicables, statu quo donc.
Il est temps de rentrer dans la salle d’audience, beaucoup de monde au Pôle social et les membres du Tribunal sont tous masqués, je décide de mettre mon masque que j’avais au fond du sac.
Devant le juge aux affaires familiales, affaire tendue, compliquée, je mets le masque, le juge est le seul qui ne le porte pas, le dossier ne se prête pas à un éventuel incident.
Un incident pour non port de masque me direz-vous alors que le décret du 12 mars 2022 est clair, plus de masques partout sauf dans les transports en commun, les hôpitaux et les EPHAD ?
Expulsée de l’audience pour non-port d’un masque qui n’est plus obligatoire ?
A Bordeaux, quelques confrères ont été rattrapés par la patrouille, dès l’entrée on leur a demandé de porter le masque. Une Présidente de Chambre à la Cour a exigé le port du masque durant son audience en attendant les instructions de sa hiérarchie.
Une Consœur de Saint-Brieuc qui ne portait pas le masque a été sommée de le mettre, elle a refusé et a dû sortir d’une audience qui se tenait devant le juge des libertés et de la détention, audience où se réunissent généralement un juge, le mise en examen ou gardé à vue, une greffière et un procureur.
Un avocat commis d’office a été désigné à sa place, elle a interjeté appel en alléguant du fait que son client étant privé du libre choix de l’avocat, ce que nous rapporte le Télégramme.
A Meaux, la Bâtonnière s’est émue de cette circulaire censée aménager un décret.
A Saint-Brieuc le juge qui a « sorti » la Consœur invoque la loi et que des aménagements seraient possibles, un peu comme dans les entreprises avec les protocoles sanitaires et les FAQ du gouvernement, sauf que ces protocoles s’imposent aux salariés de l’entreprise qui sont liés par un lien de subordination. Le chef d’entreprise ayant par ailleurs une obligation de préserver la santé et la sécurité de ses salariés.
Les avocats et les justiciables n’ont aucun lien de droit avec les magistrats.
Les magistrats sont-ils juristes ?
C’est une question que l’on peut légitimement se poser.
La loi est la même pour tous
Quoiqu’on pense de la stratégie gouvernementale sur la levée des masques, quelques jours avant les élections présidentielles, et à l’approche du printemps, la loi est la même pour tous.
Les magistrats sont souvent choqués de l’intrusion du pouvoir exécutif au sein de leur pouvoir judiciaire.
En circularisant ou en ajoutant au texte, prétendant que le masques seraient obligatoires dans certaines circonstances, les juges ne se mettent-ils pas dans la peau du législateur, ne dépassent-ils pas leur pouvoir juridictionnel ?
La fameuse circulaire ou le fameux protocole est toujours attendu à ce jour, et même s’il était diffusé, aurait-il une plus grande valeur qu’un décret ? Kelsen devrait-il se masquer ?
A Bordeaux, une sorte de compromis a l’air de se mettre en place, les grandes salles d’audiences comportent une affiche précisant le contenu du décret (ouf) à savoir que le masque n’est plus obligatoire, mais qu’il reste recommandé lorsque l’on est fragile ou symptomatique…
Cette affaire de masques au sein des Palais de Justice est passée inaperçue car c’est une tempête dans un verre d’eau à l’heure où la situation internationale nous préoccupe bien plus que les restrictions liées une crise sanitaire passée au second plan des préoccupations.
Toutefois, cela reste une tempête qui peut inquiéter car elle est révélatrice des rapports que les magistrats entretiennent avec les avocats, rapports qui se sont considérablement dégradés au fil des années.
Un port civique et concerté du masque
Pourquoi les magistrats se sont-ils sentis obligés de nous communiquer une circulaire intéressant les fonctionnaires en nous invitant à garder les masques dans l’attente d’un protocole auquel nous ne serions même pas soumis ?
Ne pouvait-il pas y avoir une concertation ou une communication « en toute bienveillance » comme on dit aujourd’hui, entre le Barreau et le Président du tribunal Judiciaire et de la Cour d’appel bien avant le « bas les masques » ?
Il aurait pu être décidé d’un port « civique » du masque (dans les salles d’audiences bondées, en présence de personnes âgées, lorsque l’on est symptomatiques ou fragiles…).
Les magistrats doutent-ils de notre intelligence collective pour tant vouloir tout imposer de force et abuser de leur position ?
Finalement le port du masque ne les arrange-t-il pas ?
On sait combien nos masques sont « confortables », surtout les FFP2 qui parfois nous obligent à écourter nos plaidoiries.
Sans doute que nos juges ne sont pas si cyniques et que je leur prête de mauvaises intentions.
Il n’en demeure pas moins, que l’on peut s’inquiéter aussi et surtout que des hommes de lois ne sachent pas lire un décret.
Référence : AJU281690