EFB : C’est la rentrée pour les 1 566 élèves de la promotion D. Simonnot !

Publié le 06/01/2023

Une salle comble au Palais des congrès de Paris et, face aux jeunes gens venus prêter leur « petit serment » d’élève avocat, une femme menue au tempérament d’acier : Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et marraine de la promotion 2023-2024 de l’École de formation des barreaux (EFB). Une personnalité pour qui « respect et dignité ne sont pas des concepts abstraits ».

EFB : C'est la rentrée pour les 1 566 élèves de la promotion D. Simonnot !
La bâtonnière Julie Couturier à la rentrée solennelle de l’EFB le 5 janvier 2023 (Photo : ©P. Cabaret)

« Chère Dominique, ton courage, ton implication, ta voix, sont des qualités particulièrement précieuses, par les temps qui courent… » Aucun besoin d’expliquer ce que sous-tendent les propos de la bâtonnière de l’Ordre des avocats de Paris, Me Julie Couturier, à l’adresse de Dominique Simonnot. Ils résument autant les vertus de la nouvelle marraine de l’EFB que « l’air du temps » où « la présomption de culpabilité n’est plus un bon mot mais un mouvement politique ». Si, aujourd’hui, il s’agit toujours de conseiller et défendre lorsque l’on endosse la robe, il faut aussi lutter contre le recul des libertés, le tribunal de l’opinion, le règne de la vengeance. S’armer de force afin de préserver l’Etat de droit.

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La bâtonnière Julie Couturier (Photo : ©P. Cabaret)

Pour toutes ces raisons, le choix de Me Couturier et de son vice-bâtonnier, Me Vincent Nioré, s’est instinctivement porté sur la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, une combattante qui fera profiter de son expérience les 1 566 lauréats de sa promotion. Dans 18 mois, ils passeront les épreuves du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat et prêteront serment, le vrai, consacrant leur vie au service de la justice. Mais, en cette rentrée solennelle qu’ont organisée, jeudi 5 janvier, l’EFB et son directeur, le magistrat Gilles Accomando, c’est le « petit serment », dit « provisoire », qu’ils prononcent debout d’un tonitruant « je le jure », main droite levée. Représentée par son premier président Jacques Boulard et son procureur général Rémy Heitz, la cour d’appel de Paris donne acte de l’engagement.

« La surpopulation carcérale atteint un niveau inégalé »

 Avant de céder la parole à Dominique Simonnot, Jacques Boulard salue la décision de placer la promotion 2023 sous les auspices de la CGLPL : « Elle revêt une importance toute particulière quand la surpopulation carcérale atteint, malheureusement, un niveau inégalé. Son regard sans concession sur l’état de nos prisons a le mérite d’amener chaque acteur judiciaire à s’interroger sur la dimension systémique de cette situation. » Le président de la cour d’appel engage les élèves avocats à « investir le champ du droit de la peine », insistant sur l’enjeu du procès pénal : le débat judiciaire sur la culpabilité, oui, mais surtout « la détermination de la juste peine ». Il dit attendre des avocats qu’ils « proposent aux juridictions correctionnelles des solutions crédibles en termes d’alternative à l’emprisonnement ».

M. Boulard invite enfin les élèves à respecter durant les stages « la foi du palais, qui n’est pas une notion désuète. Elle est le ciment de la confiance qui doit unir l’ensemble des membres de notre communauté judiciaire ».

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Le premier président de la Cour d’appel de Paris Jacques Boulard  (Photo : ©P. Cabaret)

 « Conserver en tout et toujours le secret professionnel »

 Déontologie, dignité, probité, délicatesse, transparence, autant de conseils qui sont prodigués en cette rentrée solennelle. Le procureur général, Rémy Heitz, rappelle que « chacun, à notre place et en nos rôles respectifs, mais de manière indissociable, nous défendons au quotidien l’Etat de droit. Ce moment vous inscrit dans une œuvre collective ». Il accueillera d’ailleurs « avec plaisir » des candidats au Capa en stage au parquet de Paris.

Le magistrat évoque l’importance des devoirs qui leur incombent, celui – notamment – de « conserver en tout et toujours le secret professionnel » et de « le faire primer sur tout autre intérêt, quel qu’il soit ». Les avocats des barreaux du ressort de la cour d’appel de la capitale, présents et en robe, marquent leur approbation tant « leur secret » a pu, parfois, être chahuté au cours de ces dernières années.

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Le procureur général  de la Cour d’appel de Paris Rémy Heitz (Photo : ©P. Cabaret)

Rémy Heitz suggère à chacun « d’adopter le juste positionnement avec les magistrats et greffiers, de trouver cette juste distance nécessaire à l’œuvre de justice décrite par Paul Ricœur, celle qui offre d’exercer avec rigueur et passion nos missions. Nos déontologies croisées doivent se rapprocher du fil d’une toile que l’on tisse ensemble, et non des fers que l’on croise pour se combattre », conclut-il, paraphrasant un ancien magistrat de la Cour de cassation.

En conclusion, il loue la valeur de Dominique Simonnot, « depuis toujours mobilisée aux côtés des invisibles auxquels elle donnait vie dans le passé » quand elle était journaliste à Libération et au Canard enchaîné. Il lui adresse ces mots : « Sachez, Madame, notre engagement contre toutes les atteintes à la dignité des personnes. Soyez convaincue que je mobilise les forces et les intelligences pour identifier les causes et remèdes à la surpopulation carcérale qui a atteint en Île-de-France un niveau inacceptable. »

« Un univers de chair et d’os, où l’humain occupe la place centrale »

 En sa qualité de présidente du conseil d’administration de l’EFB, Me Julie Couturier souhaite à tous une belle année 2023, « une bonne rentrée » dans « un univers fait de chair et d’os, où l’humain occupe la place centrale, où l’autre ne doit jamais être nié, effacé, oublié ». D’où la chance d’être guidé par Dominique Simonnot, pour qui « respect et dignité ne sont jamais des concepts abstraits ». A son tour, elle fustige la politique carcérale alors que s’exprime, au même moment à la Chancellerie, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti (notre article ici). « Deux chiffres, annonce la bâtonnière. Au 1er décembre 2022, 72 836 personnes étaient détenues dans les prisons françaises alors que l’Administration pénitentiaire déclare 60 698 places opérationnelles. Donc, 12 138 hommes et femmes dorment sur des matelas au sol, ne bénéficient d’aucune intimité, pas d’un instant pour s’écouter penser. »

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Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (Photo : ©P. Cabaret)

Le directeur de l’EFB Gilles Accomando félicite « la promotion Dominique Simonnot. Votre nom est désormais associé à celui d’une femme engagée, une femme d’action dont le rôle est essentiel ».

La CGLPL clôture la cérémonie par un discours qui lui ressemble : grave, drôle. Un mot sur sa « fierté de marraine » et quelque dix minutes sur les comparutions immédiates, ces sortes de séances d’abattage qu’elle exècre autant que les avocats. Les exemples sont cruels, même lorsqu’elle y mêle l’humour ; et à la fin, c’est toujours le prévenu qui perd. Standing ovation.

En quittant le Palais des congrès, des centaines d’élèves, mines réjouies, se disent qu’ils ont beaucoup de chance. Puisse-t-elle longtemps leur sourire.

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Les élèves-avocat prêtent serment (Photo : ©P. Cabaret)

 

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Bâtonniers et vice-bâtonniers du ressort de la cour d’appel de Paris, qui s’étend d’Auxerre (Yonne) à Pontoise (Val-d’Oise) en passant par la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine, notamment, ont assisté jeudi à la rentrée solennelle des élèves avocats. Parmi eux, les nouveaux élus du barreau de Meaux (Seine-et-Marne), en fonction depuis le 2 : Me Florence Fredj-Catel, bâtonnier, et son vice-bâtonnier, Me Jean-Christophe Ramadier.
(Photo : ©P. Cabaret)

Dominique Simonnot, CGLPL : « On ne peut pas traiter les détenus tels des poulets en batterie »

 Marraine de la promotion 2023 de l’EFB, Dominique Simonnot a exhorté ses filleul(e)s à assister aux comparutions immédiates, qu’elle fustige. La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté va sensibiliser les élèves avocats à l’état des prisons. Lors de la rentrée solennelle, le 5 janvier, elle était accompagnée d’André Ferragne, secrétaire général de l’autorité administrative indépendante.

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Dominique Simonnot et son secrétaire général, André Ferragne.

 

Actu-juridique : Que vous inspire l’honneur qui vous est fait ?

Dominique Simonnot : De la fierté. Je ne m’y attendais pas. De l’émotion, aussi, car mon oncle fut parrain de l’EFB.

AJ : Vous jugez rudement les procès en comparution immédiate, qui se multiplient. Selon vous, ont-ils une incidence sur les peines ?

D.S. : Oui, je sens la justice plus sévère. Récemment, une procureure m’a dit : “Nous avons contre nous l’opinion publique. Que faire ?” Je réponds que si on laisse l’opinion juger, c’est le Far West, et on n’a plus besoin de magistrats. Nous vivons dans un pays qui ne trouve pas d’alternatives à l’emprisonnement, comme si c’était la seule peine qui vaille ! L’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas proposent des réponses pénales hors les murs.

AJ : Pourquoi n’applique-t-on pas ces modèles en France ?

D.S. : Je ne sais pas, sauf à y voir une passion farouche d’enfermer les gens. D’infliger un châtiment corporel à ces hommes et femmes, bouffés par les cafards et punaises de lit, à trois dans un espace vital d’un mètre carré par personne, 21 heures sur 24… Un exemple, que tout le monde comprendra : la difficulté d’aller aux toilettes devant des inconnus. Des détenus confient avoir frôlé l’occlusion, leur honte ressentie lorsqu’ils se relâchent. D’autres se privent de promenade pour se soulager, disposer d’un peu d’intimité. Certains mangent le moins possible pour éviter de trop évacuer. Dans ces conditions, où se situent les possibilités de réinsertion que la prison doit à la société ? On ne peut pas traiter les détenus tels des poulets en batterie (à ce sujet, notre article du 6 octobre 2022 ici).

AJ : Est-ce une situation générale ?

D.S. : Dans les maisons d’arrêt, oui. Dans des petites structures en centre-ville, il y a des situations indignes mais l’ambiance est plus familiale que dans les établissements neufs avec douche en cellule mais où ça reste très inhumain. Il faut rappeler que les condamnés sortent un jour. Alors autant tout faire pour améliorer leur comportement. Nous avons embauché une juge de l’application des peines qui, à Lille, plaçait des maris violents en foyers où ils effectuaient des stages d’apprentissage, ça fonctionnait bien – je ne parle pas de ceux qui blessent gravement une conjointe. La société doit aller au-delà de la vengeance : punir, d’accord, mais préparer les gens à revivre normalement. Sinon, cela ne sert à rien. Et cela nous coûte cher : 110 euros par détenu chaque jour.

AJ : Le garde des Sceaux promet encore une hausse du budget, pourtant les magistrats, greffiers, personnel judiciaire manquent de moyens et la pénitentiaire, de places. Où va l’argent ?

DS : Une grande partie sert à rembourser les PPP [les partenariats public-privé pénitentiaires, Ndlr] et finance la sécurité. En 2017, Emmanuel Macron a promis 15 000 places supplémentaires, que ses prédécesseurs avaient déjà annoncées ; on en est à 2 000… Et le dernier-né des centres, ouvert fin 2021 à Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin), est déjà rempli à 200 %.

AJ : Constatez-vous cependant quelques améliorations ?

D.S. : Oui, la prison s’est ouverte. Il y a des activités culturelles, sportives, l’accès à l’enseignement. Hélas, la surpopulation vicie absolument tout.

André Ferragne : Et cela ne marche pas dans les maison d’arrêt. Il y a aussi de gros problèmes, sur le plan humain, dans de grands établissements loin de tout, ces déserts où même les surveillants ne veulent pas aller. Je pense au centre de détention de Villenauxe-la-Grande (Aube) où il a fallu fermer un bâtiment à cause du sous-effectif. Les familles ont des difficultés pour rendre visite aux détenus et l’environnement offre peu d’activités.

AJ : Votre mission n’est-elle pas décourageante ?

D.S. : Pas du tout, au contraire ! D’abord parce que la colère est un moteur formidable. Ensuite, je reste résolument optimiste : si je serine les choses, ce que je n’arrête pas de faire, cela finira par bouger. C’est déjà le cas même si ce n’est pas le Grand soir. Chacune de nos visites fait avancer les droits, y compris dans les hôpitaux psychiatriques. Partout où nous passons.

 

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