Et si renforcer les polices municipales renforçait l’État de droit ?

Publié le 21/05/2025 à 12h00

Faut-il élargir les compétences de la police municipale, comme le souhaite le président Emmanuel Macron ? Oui, répond Éric Maurel, procureur général près la cour d’appel de Basse-Terre. Conscient des nombreuses réticences et inquiétudes que soulève un tel projet, le magistrat déroule la feuille de route susceptible d’assurer le succès opérationnel et démocratique d’une telle réforme. 

French police control the street, Paris

(Photo : ©AdobeStock)

Le président de la République, Emmanuel Macron, a exprimé le mardi 13 mai 2025 son souhait de voir le gouvernement puis le Parlement engager un processus législatif tendant à l’élargissement des compétences des polices municipales. Il propose qu’elles puissent intervenir sur certains actes de constatation et procéduraux comme les saisines, les délits flagrants, les amendes forfaitaires délictuelles, et cela, désormais, sous le contrôle des procureurs de la République[i].

Depuis 2011, plusieurs tentatives de renforcement des compétences des polices municipales ont été engagées. Il en fut ainsi notamment de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure II ou, en 2020, la proposition de loi « sécurité globale », qui listait une série de délits pour lesquels les policiers municipaux auraient été autorisés à agir de manière autonome. Le Conseil constitutionnel a censuré ces textes en considérant qu’ils ne respectaient pas le principe de contrôle par l’Autorité judiciaire de l’action de la police judiciaire.

Cette volonté d’accroitre le rôle des polices municipales s’est aussi heurtée à des oppositions de toutes sortes, tant de parlementaires, d’universitaires, mais aussi au sein de la magistrature ou de la police nationale et des polices municipales. Ce sont surtout des maires, de différentes appartenances politiques, ou association de maires, qui ont pu exprimer soit cette opposition, soit une certaine défiance à l’égard d’une telle réforme. Certains élus locaux expriment la crainte que le renforcement des compétences de la police nationale se traduise soit par une recentralisation, soit par un désengagement de l’État sur le terrain. Cette crainte est infondée si l’on considère que l’objectif n’est pas de substituer un niveau d’intervention à un autre, mais d’en organiser la complémentarité. En juin 2024, dans une tribune signée par huit maires de petites villes, dont le président de l’Association des petites villes de France (APVF), ces élus s’inquiétaient d’une volonté de l’État de reprendre la main sur les polices municipales et demandaient que celles-ci « restent sous l’autorité du maire »[ii].

Les motifs de défiance ou d’opposition à cette réforme sont très divers : la sécurité est une responsabilité régalienne et la police judiciaire l’est plus encore, confier des actes de police judiciaire à des policiers municipaux suppose de la formation sinon des recrutements supplémentaires et les budgets des communes, particulièrement contraints, ne peuvent supporter cette nouvelle charge, la préservation des libertés individuelles et la défense de l’État de droit sont incompatibles une telle extension des pouvoirs du maire, le maire ne peut, en tant qu’élu, être placé sous le contrôle du procureur de la République… Pour l’Association des Maires de France, une telle évolution ne serait envisageable qu’à la condition de l’exercice d’un droit d’option par le maire, comme pour la création d’une police municipale ou de l’armement de celle-ci, et non par l’effet d’une compétence obligatoire.

En réponse, le Gouvernement a fixé le cadre de l’évolution des compétences et des moyens des policiers municipaux, comme devant se faire dans le plus strict respect du principe de libre administration des collectivités locales.

Le débat démocratique est donc engagé, tant avec le « Beauvau des polices municipales », qu’avec une succession et de propositions et de projets de loi qui tendent vers cet objectif d’un renforcement des compétences des polices municipales. C’est ce processus que vient soutenir le Chef de l’Etat.

Force est de constater que devant l’évolution de la délinquance dite du quotidien, de la criminalité de droit commun, face à la croissance exponentielle de la criminalité organisé et du narcobanditisme, au  regard de la sophistication de certaines formes de délinquance, comme la cyberdélinquance, mais aussi de manière plus traditionnelle la délinquance  économique et financière ou les atteintes à la probité et, enfin, compte tenu de l’apparition de nouveaux champs de délinquance, en particulier en matière environnementale et de santé publique, les services de police judiciaire, y compris les offices centraux dont les effectifs et les portefeuilles limitent les capacités opérationnelles, ne sont plus en mesure de traiter l’intégralité des infractions pénales (contraventions, délits et crimes). Par ailleurs, et de manière très légitime, la Gendarmerie nationale et la Police nationale, qui ont aussi des missions de police administrative, doivent assumer d’essentielles missions de sécurité face, notamment, au terrorisme, ou de contrôle, comme en matière d’immigration irrégulière.

Alors qu’elles n’ont pas été créées à cette fin, les polices municipales interviennent de plus en plus en matière de police judiciaire. Les agents de police municipale ont la qualité d’agents de police judiciaire adjoints (art. 21, 2 du Code de procédure pénale). Leur compétence couvre des contraventions dès lors qu’elles ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête. Ils peuvent constater des infractions dans leur sphère de compétence, en matière de circulation routière et de transports publics d’environnement, de violations des arrêtés municipaux. Mais, à la demande de certains maires, les policiers municipaux usent aussi des dispositions de l’article 73 du Code de procédure pénale qui permet à tout citoyen d’interpeller l’auteur d’un délit flagrant. Ils interagissent dans la recherche et la transmission du renseignement avec les services de gendarmerie et de police nationale. Enfin, s’ils ne peuvent procéder à des contrôles d’identité, les policiers municipaux exercent des missions accrues de police administrative dans le cadre de la surveillance et de la protection, dont les gardes statiques, depuis les vagues d’attentats qui ont frappé la France ou encore participent, voire assurent seuls, la protection d’évènements festifs ou manifestations culturelles et sportives. Ce faisant, les polices municipales répondent à une double attente des populations ; une attente de sécurité effective et une attente de visibilité des dispositifs de sécurité.

« La population des zones péri-urbaine et rurales n’est pas disposée à voir s’éloigner ou disparaître l’un des derniers services publics, la sécurité. Elle ne veut pas subir une inégalité territoriale supplémentaire »[iii]. Ne pas envisager la complémentarité renforcée de la Police municipale avec les services de police judiciaire nationaux, Gendarmerie et Police nationale, présente le risque de voir nos concitoyens exprimer une amertume, voire une colère face à l’insécurité réelle et à l’insécurité ressentie avec pour effet d’aggraver les brèches que d’aucuns se complaisent à creuser dans le fragile édifice de l’État de droit.

Le cadre d’une telle évolution est posé par le Conseil constitutionnel. Elle ne peut intervenir que dans le respect des principes de légalité et d’égalité. L’État de droit impose que toute extension des compétences policières respecte les règles de compétence, de procédure et de contrôle démocratique (Conseil constitutionnel, décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004), en vertu du principe de légalité tiré de l’article 1er de la Constitution. Le législateur reste le seul compétent pour modifier les missions des autorités administratives locales, en conformité avec les articles 34 et 72 de la Constitution. L’uniformité d’accès aux services régaliens, notamment de sécurité, est un corollaire du principe d’égalité devant la loi. Le Conseil constitutionnel a affirmé que la diversité de traitement entre collectivités territoriales ne doit pas conduire à une rupture de l’égalité (décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002). Un renforcement inégal des compétences municipales selon les ressources locales pourrait heurter ce principe.

Les Sages ont jugé que l’accroissement des compétences judiciaires des polices municipales ne peut se faire que sous le contrôle du procureur de la République ; ce qui est désormais le vœu du chef de l’État.

Un premier constat : une articulation croissante entre l’action de l’État et celle du maire

La Gendarmerie nationale, de par son organisation et ses méthodes de travail, semble parvenir, peu ou prou, à maîtriser les stocks de procédures pénales et, dans une certaine mesure, leurs délais de traitement. Néanmoins, la qualité des comptes rendus dans le cadre de la permanence, et même parfois celle des procédures, donne lieu de plus en plus souvent à des questionnements partagés par la hiérarchie militaire et les procureurs de la République. La Gendarmerie nationale qui remplit ses missions, tant dans des zones rurales qu’en zone péri-urbaine, et dont l’action de police judiciaire peut l’amener à intervenir en zone urbaine, y compris dans les agglomérations les plus importantes, a articulé, depuis plusieurs années, l’opérabilité de ses unités, compagnies et brigades, avec celle des polices municipales, inter-communales ou d’agglomérations.

Il a été de même pour la Police nationale qui, elle aussi, a développé les conventions entre les directions départementales ou territoriales, les circonscriptions de police nationale et les polices municipales, et ce d’autant plus qu’elle était confrontée au développement de services de polices municipales, dont les effectifs et les moyens pouvaient rivaliser avec ceux des policiers nationaux, voire, par endroits, tendre à leur dépassement. Cette indispensable articulation, comme par exemple dans l’utilisation des moyens de vidéosurveillance, le recours à des actions de contrôle combinée, le recueil et la transmission de renseignements, la constatation de délits, l’interpellation d’auteurs d’infractions, est un gage de plus grande efficacité dans la prévention et la répression de la délinquance, une meilleure couverture territoriale, un meilleur service au profit des populations, en particuliers dans les quartiers confrontés à une augmentation des faits délictueux.

Ce n’est pas tant dans le cadre des Contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (LSPD) que s’est construite une culture partagée de la sécurité entre édiles locaux, préfets, chefs des services de gendarmerie et de police nationale, procureurs de la République. Ce sont bien plus dans le cadre unifié mais adapté aux réalités locales des conventions entre maires, gendarmerie, police nationale, que des stratégies de complémentarité tactique ont été définies, sous le contrôle des préfets et des procureurs. « La diversification et l’intensification des menaces contraignent l’État à organiser les forces de sécurité avec une préoccupation accrue de l’efficience »[iv].

La Cour des comptes a souligné que dans l’échantillon des communes étudiées dans son Rapport de 2020 sur les polices municipales, les effectifs de police municipale avaient augmenté de 6 % entre 2014 et 2018, là où les effectifs affectés à la sécurité publique dans les commissariats et brigades dont dépendent ces communes avaient baissé de 2 %. Sur le plan des missions, elle a constaté un effet de substitution dans les communes dotées d’une police municipale étoffée et interventionnistes[v]. En 2022, selon une étude sur les enjeux financiers des polices municipales de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), qui cite le ministère de l’intérieur, les communes et intercommunalités emploient 27 097 policiers municipaux, auxquels s’ajoutent 657 gardes champêtres et 8 085 agents de surveillance de la voie publique (ASVP)[vi].

Un deuxième constat : une Police nationale engorgée

Nombre d’associations de victimes ont régulièrement fait état de ce que, dans certaines brigades de gendarmerie et, surtout, dans des commissariats, des plaignant(e)s étaient confronté(e)s à un refus de prendre leur plainte. Refus de plainte alors que les faits constituaient bien une infraction pénale. Après avoir parfois pu dénier cette réalité, la hiérarchie policière a engagé des actions pour y remédier. Si l’on peut espérer que de tels refus de plaintes ne soient plus que des situations isolées et de plus en plus rares, force est de constater que, pour des raisons diverses, dont celle bien entendu des effectifs disponibles, les commissariats de Police nationale sont engorgés, submergés par des masses de procédures qu’ils ne parviennent plus à traiter.

Comme l’a souligné un rapport de la Cour des comptes en 2019, Face à ces volumes, les conséquences judiciaires de l’activité de voie publique, de la flagrance et les violences intrafamiliales y sont traitées prioritairement au détriment d’autres contentieux et d’un stock d’affaires anciennes qui s’accumulent et ne sont pas traitées. La première priorité qui s’impose est celle du traitement en temps réel, c’est-à-dire la gestion des conséquences judiciaires de l’activité de voie publique et le traitement de la flagrance. La seconde priorité observée sur le terrain est celle du traitement des violences intrafamiliales, qui font désormais l’objet d’une judiciarisation systématique. C’est ainsi que dans nombre de circonscriptions de Police nationale des formes de délinquance ne parviennent plus à être traitées. Il n’est même pas question de la qualité des enquêtes, mais de défaut d’investigations. On pourrait croire qu’il s’agit essentiellement du spectre « bas » de la délinquance : dégradations, vols à l’étalage, une partie de la délinquance routière et même les usages de stupéfiants qui devraient pourtant donner lieu à un recours significatif aux amendes forfaitaires délictuelles par procès-verbal électronique. Mais les actions de « traitement en temps réel in situ » ont mis en exergue que des faits de vols avec effraction, de violence et même de viols pouvaient être en attente de traitement.

En effet, dans certains commissariats, les procureurs de la République ont pu constater l’existence de dizaines de milliers de procédures en souffrance, sinon à l’abandon, qui ne faisaient plus l’objet du moindre traitement depuis des mois ou des années. Dans certains services généralistes de la police, une part, parfois importante, des saisines est écartée par la hiérarchie, sur le motif qu’en l’absence d’éléments exploitables, les chances d’élucidation seraient nulles. Les affaires non traitées, et qui donneront lieu à un classement sans suite pour « vaines recherches », peuvent représenter jusqu’à plus de la moitié des saisines dans certaines circonscriptions. Le policier se substitue au procureur dans la réponse pénale. Les affaires dont la gravité n’a pas justifié la saisine de la permanence du parquet ne font souvent l’objet d’aucune diligence et restent archivées dans les locaux dans l’attente de la prescription ou d’un classement sur site à l’occasion du déplacement d’un magistrat.

Au titre de leur compétence dans la direction de l’activité de police judiciaire, des procureurs ont eu recours à des mécanismes de régulation permettant d’accélérer le circuit de traitement des procédures pour parvenir à un classement plus rapide et ainsi contenir la formation de stocks dans les commissariats. C’est le cas des classements « sans avis magistrat », en fonction du type d’infraction ou de seuil du préjudice, avec des instructions de politique pénale qui autorisent les officiers et agents de police judiciaire à ne pas enquêter sans en référer au parquet lorsque les conditions sont remplies ; ce qui conduira à un classement sans dit « ab initio ». C’est aussi le cas avec la politique initiée par des procureurs qui ont décidé, avant que ce ne devienne un mode d’action préconisé par la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces du Ministère de la Justice[vii], de se rendre dans les commissariats pour y traiter, aux côtés des officiers de police judiciaire, les procédures en déshérence, prendre des décisions de relance des investigations ou d’orientation vers une réponse pénale. Dans la très grande majorité des cas, les magistrats des parquets sont placés dans une situation qui les contraint à devoir classer sans suite des enquêtes que les policiers n’ont pas été en mesure de conduire à leur aboutissement.

Dans le même temps, d’autres contentieux ne sont presque plus jamais traités par les officiers et agents de police judiciaire. Leur hiérarchie prend argument, ce qui n’est pas illégitime, que nombre d’agents dans les administrations compétentes pour le contrôle, sont désormais habilités à procéder, non seulement à des constatations mais aussi à des interrogatoires. Il en est ainsi en matière de droit pénal de la concurrence droit pénal de l’environnement, de la fraude sociale, de l’urbanisme, du travail dont l’hygiène et la sécurité, d’infractions vétérinaires. Mais il est vrai aussi que des procureurs de la République ont pu s’exprimer sur la dépénalisation de ces contentieux qui constituent pourtant des enjeux majeurs pour nos concitoyens[viii]. C’est une même logique qui fonde les dispositions de la LOPMI du 24 janvier 2023 qui a prévu l’extension de l’amende forfaitaire délictuelle (AFD) à de nombreux délits. Aux délits routiers, à l’usage de stupéfiants, l’occupation illicite de certains terrains par les gens du voyage et de halls d’immeuble, le législateur a ajouté la vente à la sauvette, la filouterie de carburant, les tags, l’intrusion dans un établissement scolaire, les atteintes à la circulation des trains, etc.

La Police nationale n’est donc plus en capacité opérationnelle de traiter l’intégralité des dossiers qu’elle a en responsabilité. Le nombre d’enquêteurs consacrés à la police judiciaire ne permet plus un apurement de ces stocks. Dans un rapport d’information du Sénat en date de mars 2023, les rapporteurs considéraient que les effectifs dédiés au traitement de certains contentieux étaient insuffisants et que des équipes dédiées devaient être créées. C’était notamment le cas pour le traitement des contentieux en matière économique et financière, pour lesquels l’autorité judiciaire se trouve régulièrement en difficulté pour saisir un service spécialisé[ix]. Au mois de décembre 2024, selon un décompte de la Direction nationale de la police judiciaire, chaque enquêteur avait en moyenne 126 dossiers en portefeuille et le nombre d’infractions reçues par ETPT en police est toujours plus élevé que la gendarmerie, y compris dans les départements à dominante « gendarmerie ».

Le 8 novembre 2023, dans une réponse à une question parlementaire, M. Darmanin, alors Ministre de l’Intérieur et des outre-mer indiquait que près de 3 millions de procédures (pour 5 millions de plaintes reçues annuellement) étaient en attente de traitement dans les services de police judiciaire[x]. Et en effet, l’Inspection générale de l’administration (IGA), l’inspection générale de la justice (IGJ), l’inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) et l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) avaient été saisies par les ministres de l’Intérieur et des Outre-mer et le garde des Sceaux d’une mission d’évaluation et d’analyse du nombre de procédures en cours dans les services de police et les unités de gendarmerie. La mission avait pu établir que, fin 2022, ces stocks s’élevaient à 2,7 millions de procédures en Police nationale (dont 40 % depuis plus de deux ans) et à 0,4 million en Gendarmerie nationale (dont 2 % depuis plus de deux ans). Sans redressement des stocks, la situation allait s’aggraver selon le même rapport.

Nos concitoyens ont parfaitement conscience de cet état de fait. Il participe à la perte de confiance dans les institutions régaliennes que sont la Police nationale et la Justice. Il participe à un ressentiment qui peut faire le terreau d’opinions extrêmes contraires aux principes républicains. Il participe à l’érosion du contrat social. Il participe à la fragilisation de l’Etat de droit.

Un troisième constat : le maire est déjà officier de police judiciaire

Aux termes de l’article 16 code de procédure pénale (CPP), les maires et leurs adjoints ont la qualité d’officier de police judiciaire. L’article 19 du même code prévoit que « les officiers de police judiciaire sont tenus d’informer sans délai le procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance. Dès la clôture de leurs opérations, ils doivent lui faire parvenir directement l’original ainsi qu’une copie des procès-verbaux qu’ils ont dressés ; tous actes et documents y relatifs lui sont en même temps adressés ; les objets saisis sont mis à sa disposition ». Quant à eux, les agents de police municipale, outre leur obligation de rendre compte au maire, rendent compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance. Ils adressent sans délai leurs rapports et procès-verbaux simultanément au maire et, par l’intermédiaire des officiers de police judiciaire au procureur de la République (article 21-2 du CPP).

Rarement, des maires ont fait usage de leurs compétences d’officier de police judiciaire (OPJ). Ce ne fut pas toujours très heureux, faute pour eux, de maîtriser la procédure pénale. Mais que les maires recourent à ces compétences ou non, à notre connaissance, aucun procureur de la République ne s’est avisé de donner des instructions à un maire en sa qualité d’OPJ, de contrôler son action de maire en tant que chef des fonctionnaires ayant la qualité des agents de police judiciaire en vertu de l’article 21 du code de procédure pénale (policiers municipaux et gardes champêtres). De la même façon, il ne semble pas que juges d’instruction aient pu délivrer des commissions rogatoires à l’attention d’un maire, pris en sa qualité d’OPJ. On peut rappeler que le maire est aussi un officier de l’état-civil et qu’à ce titre il reçoit régulièrement des instructions de faire, ou de ne pas faire, du procureur de la République ; ce qui, à de rares exceptions (comme le contentieux des mariages des étrangers en situation irrégulière) n’a guère donné lieu à difficultés dans les relations maire-procureur.

Dans sa décision du 20 mai 2021[xi], le juge constitutionnel s’est référé à l’article 66 de la Constitution qui fait de l’autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle. Il a rappelé qu’il découle de cet article que la police judiciaire doit toujours être placée sous le contrôle et la direction de l’autorité judiciaire. Selon lui, « cette exigence ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d’enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition d’officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes ».

Certes, le législateur a prévu que le procureur de la République se voit adresser « sans délai » les rapports et procès-verbaux établis par les agents de police municipale et les gardes champêtres, par l’intermédiaire des directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale. Mais selon le Conseil constitutionnel, ce même législateur « n’a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale. Notamment (…) ne sont pas prévues la possibilité pour le procureur de la République d’adresser des instructions [à ces derniers], l’obligation pour ceux-ci de le tenir informé sans délai des infractions dont ils ont connaissance, l’association de l’autorité judiciaire aux enquêtes administratives relatives à leur comportement, ainsi que leur notation par le procureur général ». Par ailleurs, « si les directeurs et les chefs de service de police municipale doivent, pour être habilités à exercer leurs missions de police judiciaire, suivre une formation et satisfaire à un examen technique selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État, il n’est pas prévu qu’ils présentent des garanties équivalentes à celles exigées pour avoir la qualité d’officier de police judiciaire ». L’évolution vers plus de compétences suppose donc une évolution de la formation initiale et continue des chefs de service de police municipale afin de pouvoir obtenir l’habilitation d’officier de police judiciaire.

Sur quoi porte le débat ? Quels sont les enjeux ?

Face à la montée des incivilités, à la recrudescence des violences urbaines et à l’engorgement des forces régaliennes de sécurité, le débat relatif au renforcement des compétences des polices municipales connaît une actualité renouvelée. L’évolution des équilibres territoriaux en matière de sécurité interroge cependant un pilier fondamental de notre ordre juridique : la compatibilité de ces transferts de compétences avec les exigences de l’État de droit.

Par État de droit, on entend un système juridique dans lequel la puissance publique est soumise au droit, ce qui implique la soumission des décisions administratives et politiques au principe de légalité, la garantie des droits fondamentaux, la séparation des pouvoirs, et l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif (voir not. M. Troper, La philosophie de l’État de droit, PUF, 2011). Comme le rappelait Monsieur Jean-Marc Sauvé, Carré de Malberg définissait l’Etat de droit comme « un Etat qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques »[xii].

Sans revenir sur les évolutions historiques de ces sujets de société que sont dorénavant la place et le rôle de la police municipale dans le « continuum de sécurité », le débat sur un élargissement des prérogatives de la police municipale tend à voir confier aux policiers municipaux certaines compétences de police judiciaire. En l’état actuel, il est ainsi envisagé d’habiliter les directeurs ou chefs de police municipale, sur décision du conseil municipal, en tant qu’officiers de police judiciaire, ce qui conduirait de facto à ce que les agents placés sous leur autorité soient en partie sous le contrôle d’une autorité judiciaire et non plus sous celle, exclusive, du maire. Dans ces conditions, les policiers municipaux pourraient constater toute une série de délits et d’infractions qu’ils ne peuvent traiter aujourd’hui.

Mais pour qu’une telle extension des compétences ne se heurte pas aux principes constitutionnels, le principe de légalité, corollaire de l’État de droit, impose que toute extension des pouvoirs du maire relève du domaine de la loi, conformément à l’article 34 de la Constitution. Et le Conseil constitutionnel veille à ce que toute modification des compétences des collectivités respecte les exigences de clarté, de précision et de proportionnalité[xiii]. En outre, le renforcement des polices municipales risque de créer des “sécurités à deux vitesses”, entre collectivités riches dotées de moyens policiers importants et communes plus démunies. Cette fracture heurterait le principe d’égalité devant la loi (article 1er de la Constitution ; CC, déc. n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002). La sécurité étant un droit fondamental (DDHC, art. 2 et 12), son accès ne saurait dépendre de la richesse fiscale locale. Le Conseil d’État a d’ailleurs souligné le danger d’un morcellement de l’action publique en matière de sécurité[xiv]. En l’absence d’un cadrage étatique fort, un transfert massif de compétences vers les communes pourrait engendrer une dispersion des normes, une rupture de la chaîne hiérarchique et une dilution des garanties démocratiques.

Face à une montée en complexité et en intensité des phénomènes de délinquance et de criminalité, le débat sur l’organisation des forces de sécurité publique doit s’affranchir des oppositions idéologiques pour aborder une question essentielle de gouvernance : celle de la répartition des compétences entre forces nationales et forces municipales. Il s’agit moins d’un partage formel que d’une stratégie d’optimisation des fonctions de sécurité, dans laquelle la police nationale, dotée de nouvelles prérogatives et recentrée sur ses missions cœur, serait renforcée dans son efficacité opérationnelle.

Le Code de la sécurité intérieure distingue clairement les attributions des forces nationales (police et gendarmerie) et des polices municipales. Toutefois, dans la pratique, le morcellement des interventions, les chevauchements de périmètre et l’accumulation de tâches secondaires pèsent lourdement sur les forces nationales, au détriment de leur efficacité dans le traitement des infractions graves. La doctrine d’emploi de la police nationale tend pourtant à une concentration sur les missions régaliennes : investigation judiciaire, maintien de l’ordre public, lutte contre les réseaux structurés et les menaces de haute intensité. En parallèle, les polices municipales ont connu ces dernières années une montée en puissance significative, tant en effectifs qu’en champ de compétences. Dès lors, une meilleure répartition fonctionnelle s’impose : la gestion de proximité peut être assurée par des agents municipaux formés et assermentés, ce qui permettrait à la police nationale de se concentrer sur les contentieux complexes, la criminalité organisée ou les atteintes graves aux personnes.

Un renforcement de la place et du rôle des polices municipales suppose une montée en compétence des policiers municipaux et une reconnaissance statutaire accrue de leur rôle dans la coproduction de sécurité. La sécurité publique ne peut être assurée durablement sans une répartition rationnelle des charges, adossée à des outils juridiques partagés et à une doctrine d’emploi commune. En définitive, renforcer les compétences de la police nationale ne revient pas à marginaliser les forces locales mais à structurer une architecture globale de sécurité plus cohérente. C’est reconnaître la nécessité d’une spécialisation, d’une coordination accrue et d’un pilotage renforcé de la sécurité publique, au service de l’intérêt général.

En conclusion, renforcer la police nationale apparait comme étant une urgence de cohérence et d’efficacité afin de permettre de la recentrer sur ses missions essentielles. En dégageant du temps opérationnel et en concentrant les effectifs nationaux sur les tâches les plus critiques, on améliore les délais d’intervention, la qualité des enquêtes, la capacité de renseignement territorial. Recentrer ne signifie pas un désengagement. Il ne s’agit pas de concurrencer les forces locales, mais d’optimiser leur complémentarité. C’est là le gage d’une efficacité accrue grâce à une chaîne de sécurité mieux organisée. Mais cela suppose aussi de repenser l’articulation avec les polices municipales, la mutualisation de certaines formations, interopérabilité des systèmes d’information, la désignation de référents territoriaux. Ce type de synergie permettrait de dépasser une gestion cloisonnée de la sécurité au profit d’une approche plus fluide, où chaque force conserve sa spécificité mais agit dans un cadre stratégique partagé.

L’attente des Français est claire. Nos concitoyens souhaitent, sinon exigent, une présence visible, une réponse rapide, une action efficace contre toutes les formes de délinquance. D’une part, donner à la police nationale les moyens, les effectifs et les compétences d’agir avec précision et réactivité et, d’autre part, donner à la police municipale le traitement de la sécurité dans un cadre de proximité est de nature à satisfaire cette attente des populations. C’est mettre en œuvre une sécurité à la hauteur des enjeux de notre temps. C’est alors assurer, très concrètement, la défense de l’Etat de droit.

En définitive, concevoir l’évolution des compétences policières en maîtrisant démocratiquement les contours de ce renforcement, en anticipant ses effets sur les libertés individuelles et les droits fondamentaux, tout en assurant la cohérence nationale et locale du dispositif par des mécanismes adaptés de contrôle, de coordination et d’évaluation, c’est là le rôle du législateur républicain représentant la souveraineté nationale. C’est préserver, dans toutes ses dimensions et toutes ses perceptions l’État de droit.

 

Références normatives 

Code général des collectivités territoriales (CGCT) :

Articles L2212-2, L2213-4-2, L2573-18

Code pénal et Code de procédure pénale :

Articles 21 et 21-2, R. 15-33-29-3 et R.15-33-29-4

Code de la sécurité intérieure (CSI) :

Articles L132-1, L132-2, L132-3, L511-1 à L533-5, R511-1 à R511-34, R515-1 à R515-21, R521-1 à 522-4, R531-1 à R533-3

Loi « LOPMI » n° 2023-22 du 24 janvier 2023 : Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur qui met l’accent sur la coordination entre services nationaux et locaux

Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 (« Sécurité globale préservant les libertés ») qui autorise l’armement généralisé des polices municipales, élargit leurs prérogatives (PV électroniques, participation à la sécurité dans les transports, accès à la vidéoprotection…)

Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 (« Engagement et proximité ») qui renforce les moyens d’action des maires et des polices municipales

Décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 : Port de l’uniforme et identification.

Décret n° 2019-497 du 22 mai 2019 : Expérimentations de polices municipales armées en coopération renforcée

Décret n° 2000-43 du 20 janvier 2000 : Conditions d’agrément, de formation et d’équipement des agents de police municipale

Arrêté du 3 août 2007 : Armement des policiers municipaux

Proposition de loi n° 628 (AN, janvier 2024) portée par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot : prévoit une gouvernance territoriale partagée et une meilleure coordination des forces de sécurité

 

Sources documentaires

Rapport d’activité de l’IGA 2023

Sénat – La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite – Rapport d’information n° 387 (2022-2023), déposé le 1er mars 2023

Rapport public thématique de la Cour des comptes sur La gestion des ressources humaines au cœur des difficultés de la police nationale – novembre 2021

Rapport de la Cour des comptes – Les moyens affectés aux missions de police judiciaire – exercices 2017 – 2022

Les dispositions relatives à la police municipale de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés – Jean-Claude Zarka, maître de conférences HDR à l’université Toulouse 1 Capitole – Actu-juridique – 16/07/2021

Sénat – Les polices municipales – Étude de législation comparée n° 38 – mai 1998

 

[i] Intervention du Président de la République sur TF1 le 13 mai 2025

[ii] Le Monde 3 juin 2024 – La police municipale doit rester sous l’autorité du maire

[iii] Les polices municipales et la coproduction de sécurité par Xavier LATOUR Professeur de droit public – Université Côte d’Azur CERDACFF (EA 7267) Secrétaire général de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense

[iv] Les polices municipales et la coproduction de sécurité par Xavier LATOUR op. cit.

[v] Cour des comptes -Rapport sur les polices municipales – 2020

[vi] L’effectif de la gendarmerie est de 98 155 personnels militaires. La Police nationale compte 150 000 personnels.

[vii] Rapport de politique pénale du Garde sceaux 2022 – Le 31 mai 2021, dans une circulaire commune au directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale, et au directeur des affaires criminelles et des grâces, des instructions générales ont été adressées aux parquets afin que puisse être dressé un état des lieux précis des procédures en stock. Prenant en considération l’ancienneté, la nature et la gravité des faits dénoncés, cet état des lieux devait permettre aux parquets, selon des priorités de politique pénale tenant compte des capacités de traitement des services d’enquête et d’absorption des juridictions, de décider des suites à donner à ces dossiers, notamment en privilégiant le traitement simplifié de certaines procédures, des classements sans suite et des orientations vers des alternatives.

[viii] En novembre 2021, la conférence nationale des procureurs de la République (CNPR) a proposé de dépénaliser certaines infractions dans les domaines de la presse, l’urbanisme, l’environnement ou encore les infractions routières afin de « limiter l’intervention des parquets et des juridictions pénales aux faits qui occasionnent les préjudices les plus importants et portent le plus sérieusement atteinte au pacte social ».

[ix] Sénat – La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite – Rapport d’information n° 387 (2022-2023), déposé le 1er mars 2023

[x] Publiée dans le JO Sénat du 09/11/2023 – page 8043

[xi] Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 – Loi pour une sécurité globale préservant les libertés

[xii] Intervention de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, à l’Institut d’études judiciaires de l’Université Panthéon-Assas sur le thème « Justice administrative et État de droit », 10 février 2014.

[xiii] Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003

[xiv] Conseil d’Etat – Rapport public 2020 – Les forces de sécurité intérieure : pour une clarification des responsabilités

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