Il faut sauver les cours d’assises !
Parmi les projets de réformes en cours dont hérite le nouveau garde des sceaux Eric Dupond-Moretti figurent les tribunaux criminels départementaux appelés à remplacer les cours d’assises. Dans son discours de prise de fonctions le 7 juillet, il n’a pas abordé le sujet. Dominique Coujard, magistrat honoraire et ancien président d’Assise s’inquiète pour l’avenir d’une institution qui se situe au cœur de notre démocratie.
Une fois dans sa vie, un électeur français avait de bonnes chances d’être tiré au sort comme juré d’assises. Expérience rare, parfois redoutée, mais toujours enrichissante pour des citoyens confrontés à une justice dont ils n’avaient parfois qu’une vague idée et sur laquelle les préjugés vont souvent bon train.
Ce temps est quasiment révolu.
Au nom du peuple français
Profitant du confinement sanitaire du printemps, les pouvoirs publics ont en catimini, dans la nuit du 14 au 15 mai 2020 et parmi un fatras de mesures diverses, décidé, sans attendre son évaluation, d’élargir l’« expérimentation » décidée pour trois ans, le 23 mars 2019 des cours criminelles sans jurys populaires pour les crimes passibles d’un maximum de 20 ans de réclusion criminelle, soit 57 % des affaires criminelles.
Aux sept départements initialement prévus pour la création de ces cours criminelles (Ardennes, Calvados, Cher, Moselle, Réunion, Seine-Maritime, et Yvelines, auxquels s’étaient ajoutés l’Hérault et les Pyrénées-Atlantiques), vont maintenant s’ajouter trente autres !
Les arguments de coût, bien sûr, puis d’urgence liée à l’épidémie de COVID-19, ont été présentés comme incontournables à une représentation nationale qui n’en demandait pas tant.
Il faut dire qu’au pays de Montesquieu qui conçut le principe universellement respecté de la séparation des pouvoirs, les représentants élus ont toujours vu d’un mauvais œil les juges rendre jugements et arrêts « au nom du peuple français ».
« Nos concitoyens sont sérieux, réfléchis, consciencieux et intelligents »
À ceux-là s’ajoutent d’autres qui considèrent que les affaires criminelles sont trop complexes pour être confiées à des non spécialistes. L’expérience démontre pourtant que nos concitoyens sont sérieux, réfléchis, consciencieux et intelligents : les délibérations des cours d’assises n’ont rien à envier à celles des magistrats professionnels.
Il ne va, certes, pas toujours de soi, alors qu’on n’avait rien demandé à personne, d’être appelé à concourir à l’œuvre de justice.
Qui mesure réellement, en s’inscrivant sur les listes électorales, la contrepartie de cette initiative citoyenne ? Et qui plus est, lorsque cela advient, pour assister à des scènes souvent pénibles et prendre des décisions lourdes de conséquences, déterminantes pour la vie d’hommes et de femmes jetés en pâture devant soi.
Pourtant, passés ces quelques moments d’appréhension, très rares sont les jurés qui regrettent d’avoir participé à l’aventure collective et beaucoup en resteront pour longtemps marqués positivement.
L’argument ultime de l’allongement insupportable des délais de jugement est avancé par ceux que ne choque pas la réalité d’une justice démunie et impuissante, éloignée du niveau requis par un État de droit. Ceux-là préfèrent la voir fonctionner au rabais plutôt que de lui redonner les moyens qu’elle requiert et la perspective d’une administration judiciaire éclusant les affaires grâce à l’intelligence artificielle semble être leur horizon.
Une relation de confiance
Si Nicole Belloubet avait été reconduite dans ses fonctions à l’occasion de la formation du nouveau gouvernement, nul doute que la fin de l’état d’urgence sanitaire prétexte à cette extension n’aurait pas entrainé la fin de l’expérimentation. Pire, sans doute celle-ci se serait-elle encore élargie et son domaine d’application se serait-il étendu bientôt au-delà des crimes les moins graves et même en appel. La nomination d’un maitre incontesté des Assises Place Vendôme changera-t-elle le donne ? Il est permis de l’espérer.
À la question inquiète posée par une radio nationale : la justice française finira-t-elle par ne plus être rendue au nom du peuple français ? La réponse ne peut pas, ne doit pas être affirmative.
La justice criminelle française est enviée à travers le globe. Le Japon, après une minutieuse préparation des esprits l’a intégrée avec succès.
En France elle demeure l’exemple emblématique de la soumission d’une institution d’État à la décision du peuple, hors des échéances électorales.
Cette expérience unique de travail en commun permet au juge professionnel de vérifier l’adéquation de sa vision de l’action pénale avec la demande commune et d’affermir une relation de confiance indispensable avec ses concitoyens
Au moment où l’on s’inquiète légitimement du gouffre qui s’élargit entre la société réelle et l’État, supprimer les cours d’assises constituerait une erreur impardonnable.
Référence : AJU67966