Insolite : quand les juges se rient des justiciables

Publié le 17/05/2023

La justice est une affaire sérieuse, mais il arrive que les juges se lâchent dans leurs décisions. Notre chroniqueur spécialiste de l’insolite partage avec nous quelques perles de jugement. 

Insolite : quand les juges se rient des justiciables
Photo : ©AdobeStock/Hen

Si vous êtes amateur de décisions de justice insolites, vous connaissez sans doute la célèbre décision de la Cour d’appel de Riom[1] moquant la faible intelligence des gallinacées : « Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois … ». Mais il arrive aussi que les juges poussent la taquinerie jusqu’à s’en prendre aux justiciables !

Par exemple en rappelant ironiquement que les juristes sont certes très savants, mais que ça n’en fait pas des voyants… Ainsi, la Cour d’appel de Besançon a-t-elle jugé : « Attendu enfin que la Cour, qui n’a quant à elle aucun don de voyance et ne raisonne que sur des documents très concrets, ignore comment quelqu’un qui prétend au fisc n’avoir aucun revenu ou presque, peut, ainsi que la Banque le précise, payer des mensualités de prêts pour le moins importantes, et ce pendant plusieurs années… »[2]. Mais aussi le Tribunal de grande instance de Bobigny, taclant les avocats : « Le profession d’avocat, exercée par la demanderesse, n’a pas pu avoir pour effet de lui conférer le pouvoir surnaturel de voir à travers les murs. »[3]

« Nul n’est besoin d’un dictionnaire pour savoir que le terme couilles désigne les organes sexuels masculins »

Une variante consiste à pousser l’argumentation des parties jusqu’à l’absurde pour en démontrer le mal fondé ; ce qu’a fait  la Cour d’appel de Lyon à propos d’un agent de la SNCF ayant abusivement usé de son droit de retrait au motif qu’aucun gilet pare-balles (qui ne lui était pas utile) ne lui avait été fourni : « à le suivre dans ses extravagances, on ne voit pas pourquoi [la SNCF] ne serait pas tenue de mettre à disposition immédiate des salariés un abri antiatomique, voire même une possibilité d’évasion vers une exo-planète ». C’est la même logique qui a guidé le Tribunal de commerce de Toulon[4] commentant le refus d’une société de rembourser l’incendie d’un véhicule au motif qu’il s’agissait d’une force majeure : « Sauf à ce qu’un astéroïde soit tombé sur le camion de transport, il semble que la combustion d’un véhicule terrestre à moteur est plus que prévisible de nos jours ».

Certains magistrats profitent d’un litige pour se livrer à des observations accessoires mais toujours amusantes. Par exemple la Cour d’appel de Montpellier[5]s’est amusée  à réaliser une analyse étymologique poussée du mot « couilles » : « Nul n’est besoin d’un dictionnaire pour savoir que le terme couilles désigne les organes sexuels masculins. Ce vocable ne peut revêtir un caractère injurieux que lorsqu’il vise de manière péjorative les caractéristiques de celles appartenant à son interlocuteur, ce qui n’est nullement le cas en l’espèce, puisque le salarié ne s’est plaint que du mauvais traitement des siennes. » Le juge des référés du TGI de Paris[6], qui visiblement n’était pas fan de Secret Story, en profite pour asséner quelques évidences : « Émilie et Léo sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de téléréalité intitulé par anti-phrase Secret Story (saison 3), où il n’y a ni secret ni histoire, mais cependant une observation des faits et gestes des jeunes gens qui y participent sous l’œil des caméras, où le téléspectateur finit par s’attacher aux créatures qu’il contemple, comme l’entomologiste à l’insecte, l’émission ne cessant que lorsque l’ennui l’emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse ».

« Un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane »

Enfin, il arrive, même si c’est rare, que les magistrats quittent le terrain de l’humour pour celui de l’injure. L’exemple le plus fameux est le jugement rendu par le juge de proximité du TGI de Toulon en 2004, cassé par la Cour de cassation car entaché de partialité… Le juge retenait « la piètre dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne constitue nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de malhonnêteté comme ici Mme X… dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane, ses préoccupations manifestement strictement financières et dont la cupidité le dispute à la fourberie, le fait qu’elle acculait ainsi sans état d’âme et avec l’expérience de l’impunité ses futurs locataires et qu’elle était sortie du domaine virtuel où elle prétendait sévir impunément du moins jusqu’à ce jour, les agissements frauduleux ou crapuleux perpétrés par elle nécessitant la mise en œuvre d’investigations de nature à la neutraliser définitivement ».

Autre exemple cassé pour le même motif par la Cour de cassation[7], un arrêt de la Cour d’appel de Lyon, où ne siégeait visiblement pas Champollion, dans lequel on peut lire  « qu’il importe de relever que l’une comme l’autre parties, dans leurs écritures respectives, ont libéré des flots torrentiels de sigles abscons indéchiffrables par de simples mortels et porteurs de mystères comme les antiques hiéroglyphes ; que la cour d’appel ne saurait se livrer à un travail de décryptage et d’interprétation de signes ou abréviations cabalistiques ou voulus comme tels ».

En revanche, condamner un chauffard alcoolisé et récidiviste à six mois d’emprisonnement avec sursis et un an de suspension de permis au motif que « la présence de six condamnations au casier judiciaire avant ces faits démontrent que le prévenu se trouve fortement ancré dans la délinquance, qu’il se rit des décisions de justice » n’est pas plus injurieux… que de qualifier les appartements au-dessus d’une boîte de nuit de « lieux de débauche servant aux clients »…

Bonsoir !

[1] 7 septembre 1995, n° 730/95.

[2] 12 septembre 2006, n° 565.

[3] 30 juin 2011, n° 09/16620.

[4] 24 février 2014, n° 2013F00151.

[5] 7 janvier 1998.

[6] 1er juin 2011, n° 11/53904.

[7] 22 février 2017, n° 15-17.509.

 

 

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