Justice malade : « Un seul greffier vous manque et tout est renvoyé »

Publié le 21/09/2023

Ce jeudi, les greffiers parisiens ont bravé la pluie pour protester, au pied du tribunal judiciaire de Paris, contre leurs conditions d’exercice, à l’appel du syndicat UNSA Services judiciaires. Cette journée nationale « Justice morte » intervient alors que des négociations sont en cours avec le ministère en vue d’obtenir une revalorisation du statut. 

 

Justice malade : "Un seul greffier vous manque et tout est renvoyé"
Manifestation des greffiers à l’appel de l’UNSA le 21 septembre 2023 sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris (Photo : @P. Cabaret)

 « Si même le roi Charles III nous met des bâtons dans les roues ! » plaisante le secrétaire général de l’UNSA Services judiciaires, Hervé Bonglet, en prenant le mégaphone pour s’adresser à ses collègues. Il fait allusion à la venue du roi d’Angleterre qui l’a contraint à modifier son organisation.  Il est onze heures. Plusieurs dizaines de greffiers sont regroupés devant l’entrée du Tribunal judiciaire de Paris, sous la pluie. Au milieu des robes noires, quelques teeshirts bleus rappellent que le syndicat est à l’origine de cette journée « Justice morte » organisée pour porter la parole des greffiers qui revendiquent depuis des mois plus de moyens et une revalorisation de leur statut.

Justice malade : "Un seul greffier vous manque et tout est renvoyé"
Photo : ©P. Cabaret

Une manifestation sauvée de justesse 

À Paris, la manifestation devait en principe se tenir sur les marches du palais de justice historique, mais les organisateurs ont appris la veille à 18 heures que le Préfet fermait l’ile de la Cité à la circulation et interdisait toute manifestation en raison de la visite du roi Charles III. Ils ont dû se replier en urgence au tribunal judiciaire, porte de Clichy. Et encore, la manifestation a-t-elle failli ne pas se tenir. Alors que le premier président de la cour d’appel de Paris Jacques Boulard leur avait, semble-t-il, donné carte blanche, le président du TJ Stéphane Noël n’a pas semblé aussi accommodant. « Le dialogue avec ce président était déjà difficile à Créteil sur le dossier de l’amiante,  ça ne s’est pas amélioré ici » regrette Brigitte Bruneau-Berchère, greffière et membre de l’UNSA. À ses côtés, Hervé Bonglet confirme la difficulté. « Ce matin quand j’ai appelé le président, il m’a répondu qu’il interdisait toute manifestation ». C’est l’intervention du Directeur des services judiciaires qui aurait permis de débloquer la situation. Mais les greffiers ont dû rester dehors, sous la pluie, avec interdiction formelle de faire entrer dans le tribunal drapeaux, banderoles et même, plus étonnant,  café et viennoiseries.

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Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris – Rentrée solennelle 20 janvier 2020 (Photo : ©P. Cabaret)

Question de sécurité

« Quand j’ai été informé par le secrétaire général de l’UNSA Hervé Bonglet ce matin, de son intention de manifester au tribunal, j’ai rappelé que je n’autorisais aucune manifestation dans ce bâtiment pour des questions de sécurité, explique  Stéphane Noël. Elle ne pouvait donc se tenir qu’à l’extérieur. On m’a aussi demandé des tables pour offrir le café aux participants, ce n’est pas mon rôle de fournir du matériel pour les manifestations syndicales, en particulier sur le parvis qui appartient à la mairie de Paris et qui relève de l’autorité du préfet ». Finalement, les greffiers sont quand même rentrés dans le tribunal pour s’abriter de la pluie. « Ils n’étaient qu’une quarantaine, je me suis assuré qu’il n’y avait ni drapeaux ni mégaphone ni perturbation dans la salle des pas perdus. Cela leur a permis de parler aux journalistes à l’abri et à 13h tout était terminé » précise le président.

Justice malade : "Un seul greffier vous manque et tout est renvoyé"
Photo : ©P. Cabaret

La colère des greffiers s’exprime sur les marches des palais depuis la fin du mois de juin. Les syndicats ont été les premiers surpris. Il y a deux jours, un mouvement spontané a mis plusieurs juridictions à l’arrêt, dont des cours d’assises. Selon la Chancellerie, le taux de grévistes n’aurait pas dépassé les 5,5%. Mais dans une institution éreintée par le manque de moyens, cela peut suffire à paralyser la machine.

Trois mille greffiers pourraient devenir fonctionnaire de catégorie A

Cette fois, pour la journée « Justice morte », c’est un syndicat qui est à la manœuvre.  Son objectif consiste à maintenir la pression sur la Chancellerie dans le cadre des négociations en cours. « Lors de la réunion qui s’est tenue hier, nous avons obtenu la confirmation de la création du A juridictionnel (NDLR : la création d’une catégorie A permettant une revalorisation des greffiers actuellement fonctionnaires de catégorie B). On nous a proposé de créer, dès 2024, 3000 A juridictionnels sur un effectif total de 11 000, au rythme de 1000 par an sur trois ans, explique Hervé Bonglet. À terme, si nous avons bien compris, tous les greffiers pourraient passer en catégorie A ». Les syndicats n’ont encore rien signé car il leur faut recueillir l’avis de leurs membres. Une prochaine réunion était prévue le 27 septembre au ministère mais pourrait être reportée en raison de la présentation du budget, dans le prolongement du conseil des ministres.

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Hervé Bonglet, secrétaire général de l’UNSA Services judiciaires au premier plan, derrière lui Me Charles Ohlgusser candidat UJA au conseil de l’ordre de Paris, et Me Tiphaine Mary (Photo : ©P. Cabaret)

Le soutien très apprécié de Julie Couturier et Vincent Nioré

12h45. Au pied du tribunal, la pluie qui était modérée s’intensifie soudain.  La bâtonnière Julie Couturier et le vice-bâtonnier Vincent Nioré traversent le parvis en robe depuis la Maison de l’avocat située en face, abrités sous d’immenses parapluies. Malgré leur agenda chargé, ils ont tenu à venir témoigner officiellement leur soutien. Hervé Bonglet leur tend le mégaphone. La bâtonnière accepte l’invitation à dire quelques mots aux manifestants.

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De gauche à droite : le vice-bâtonnier Vincent Nioré, Brigitte Bruneau-Berchère (UNSA) et Julie Couturier, Bâtonnière de Paris, à la manifestation des greffiers le 21 septembre 2023 (Photo : ©O. Dufour)

« Les greffiers sont des acteurs essentiels et incontournables de la chaine judiciaire. Avec Vincent (NDLR : Nioré), nous avons beaucoup mis l’accent sur la relation avocats-magistrats, mais elle n’existe pas sans les greffiers, les personnels de justice.  C’est une relation à laquelle nous sommes extrêmement attachés. Nous avons beaucoup milité pour que la justice devienne enfin un sujet prioritaire de l’État, nous avons le sentiment qu’il y a heureusement une prise de conscience depuis quelques mois, mais il reste beaucoup de travail à faire et c’est la raison pour laquelle nous sommes là ce matin, pour vous exprimer notre solidarité ».

La déclaration a été saluée par des « merci » et des applaudissements dans les rangs des manifestants.

En milieu de journée, la mobilisation semblait très suivie à Paris.

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Le rabat des robes de professionnels de justice est habituellement blanc. La couleur rouge est un signe de protestation.  (Photo : ©P. Cabaret)

 

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