L’affaire Julian Assange racontée de l’intérieur par Me Antoine Vey

Publié le 25/06/2024 à 12h49

Incarcéré dans une prison de haute sécurité près de Londres depuis 2019, Julian Assange vient d’être libéré après avoir conclu avec la justice américaine un accord de plaider coupable sur un seul chef d’accusation « complot pour obtenir et divulguer des informations relevant de la défense nationale » qui devrait lui valoir 62 mois de prison, une peine qu’il a déjà purgée. Cet accord doit signer en principe la fin de près de 14 ans de procédure. Dans « Julian Assange, la plaidoirie impossible », Me Antoine Vey raconte cette incroyable affaire. 

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Connaissez-vous le lawfare ? Ce terme, issu de la contraction de « law » et de « warfare » art de faire la guerre a été inventé en 2001 par le général Américain Charles Dunlap. La guerre par le droit donc…Le concept appartient à l’univers des conflits armés. Mais ne serait-il pas en train d’apparaître en matière judiciaire après avoir investi le champ économique ? C’est en tout cas la thèse que soutient l’un des avocats de Julian Assange, Me Antoine Vey, dans son ouvrage « Julian Assange, la plaidoirie impossible » (Plon mai 2024)*.

S’il est un personnage clivant, c’est bien cet informaticien génial de 52 ans, australien, qui pour les uns a inventé les bases d’un nouveau journalisme en créant wikileaks, un site qui diffuse de manière anonyme et sécurisée des documents dont le contenu est jugé d’utilité publique, tandis que pour les autres il est délinquant qui met en danger les États. Rendu célèbre par la diffusion d’informations secrètes sur le comportement des États-Unis en Irak et en Afghanistan, le site n’a eu de cesse d’être traqué et son dirigeant aussi, jusqu’à son arrestation en 2019 à l’ambassade d’Équateur à Londres où il était réfugié depuis 2012.

« L’affaire est délibérément rendue illisible, incompréhensible et inintelligible… »

La plaidoirie impossible, c’est celle d’un avocat aux prises justement avec le lawfare, cette guerre du droit menée à son client par deux états parmi les plus puissants de la planète, les États-Unis et la Grande-Bretagne.  « L’objectif est d’éteindre la parole et l’expression des opposants par une pression procédurale constante et intenable. Le but est de leur faire jeter l’éponge, de les rendre inaudibles et de saper les moyens de leur défense » note l’auteur. Au fil des pages, il emmène le lecteur dans cette folle aventure judiciaire par laquelle  « Des états démocratiques ont décidé de lancer des procédures tous azimuts contre un seul homme pour le réduire au silence ». On le suit dans la prison de haute sécurité près de Londres dont les contrôles d’accès emprunts d’absurdité administrative ne sont pas sans rappeler le procès de Kafka, mais aussi à travers les méandres judiciaires qui l’ont mené puis maintenu là. « La justice américaine a plongé Assange et ses avocats dans un labyrinthe normatif dont nul n’entrevoit la sortie. En multipliant les procédures et les actes d’accusation, l’affaire est délibérément rendue illisible, incompréhensible et inintelligible. Tout a été orchestré pour que la défense s’enfonce dans un dédale sans fin et bute sur des impasses » analyse l’avocat.

Quand le droit n’est plus une protection, mais une arme

Cela s’est traduit par trois actes d’accusation sans compter l’épopée de la demande d’extradition par les États-Unis. Le livre vaut bien sûr pour l’éclairage qu’il apporte sur ce contentieux aussi épique qu’incompréhensible vu de l’extérieur, mais aussi pour la mise en lumière de ce nouveau type de guerre judiciaire, dans lequel le droit n’est plus une protection mais une arme. On songe bien entendu en France aux procédures baillons destinées à faire pression sur les journalistes pour les faire taire. C’est cela que décrit Me Antoine Vey, mais à une échelle infiniment supérieure et parfaitement inquiétante.

Et si Julian Assange n’était pas seulement le symbole d’un nouveau journalisme mais aussi celui d’un phénomène de dérive judiciaire qui ne fait que commencer ?

 

*Antoine Vey – Julian Assange, la plaidoirie impossible – Plon mai 2023, 139 pages, 16 euros.

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