Le fil : « Je suis prêt à tout pour le sauver »
Le Fil, réalisé par Daniel Auteuil, est l’adaptation du recueil de nouvelles « Au guet-apens : chroniques de la justice pénale ordinaire » du regretté Me Jean-Yves Moyart. La magistrate Valérie-Odile Dervieux est allée voir le film. Récit de séance.
Il s’agit, pour reprendre l’exergue du blog de Me Mô, de la « chronique judiciaire, ordinaire et subjective » d’un féminicide, mais pas que (promis je ne spoile pas).
Une histoire vraie.
Des visages et des hommes, et des femmes ?
Me MO avait un visage à la Christophe Salengro.
Daniel Auteuil, a le profil d’un empereur romain.
Il campe l’avocat « prêt à tout » pour sauver son client dans un « qui perd gagne » d’une densité funeste.
Sorte de looser magnifique de la défense.
Son client, incarné par un Grégory Gadebois, avec ses yeux bleus et ronds à la Jacques Villeret, boit du lait, agite ses grosses mains, parait ployer sous sa stature imposante et finit par nous confondre dans un abime qui abime.
Accusés, on vous croit !
Est-ce parce que Me MÔ a besoin d’y croire, qu’il y croit, qu’il emporte avec lui cette conviction touchante et parfois éloquente de l’innocence « malgré tout » ?
Est-ce parce que, lors du procès aux assises dans cette salle sombre, où chaque acteur tient et garde sa place, Auteuil campe avec détermination voire brio mais sans emphase, l’avocat de la défense, que l’on se sent spectateur/acteur privilégié d’une justice juste qui va se rendre ?
Est-ce parce que les géométries visuelles et récurrentes des lieux – prison des Baumettes, tribunal judiciaire de Draguignan – répondent à celles des raisonnements judiciaires, du mobile caché et du « secret du délibéré » que l’on pense comprendre et savoir ?
Est-ce finalement parce que c’est avant tout une histoire de violence infra-familiale trop ordinaire, transfigurée par une manipulation magnifiquement banale dont la plupart des victimes apparaissent à la toute fin, dans un retournement tristement prévisible, que le spectateur rejoint Me MO voire s’identifie ?
On dirait le Sud
Tourné dans le triste hiver du sud de la France qui rappelle le décor de « Sans toit ni loi », le Fil, trame probatoire de l’histoire, nous relie surtout aux personnages : l’avocat, l’accusé, les enfants qui tentent de ‘s’en sortir’, l’ami/complice, l’avocate très générale, la présidente qui mime le contradictoire, et la sœur – toujours trop en colère – et enfin cette victime, égorgée sous alcool et « mauvaise mère » qui nous rappelle que « dans la vraie vie », les parties civiles paraissent souvent moins sympathiques que les accusés.
La manière de filmer, en gros plan, les visages, les nuques, les mains, les attitudes – raideurs et courbures -, les voix et les silences, transfigure pensées et instrumentalisations.
La manière de ne pas faire respirer l’audience des assises, corsetée dans ses rites, ses rythmes, ses impensés et ses avant/après, saisit.
La manière d’évoquer avec subtilité les questions que les réseaux sociaux et les télés en continue ratiocinent et malmènent, dans le rythme du « Prélude en Do mineur » de Johann Sebastian Bach, ne laisse que peu de répit.
Tout est bien là
Que ce soit le process judiciaire – entraves, garde à vue, détention provisoire, preuve, présomption d’innocence, secret professionnel, rôle et discipline de l’avocat, procès, oralité des débats, experts, suspensions, incidents, jurés, parties civiles, avocat général, police de l’audience, représentation des enfants et délibéré….
Que ce soit les questions de société : alcool, violences familiales, sexisme, protection des enfants…
Tout est bien là mais est-ce le plus important ?
Anatomie d’une erreur ?
Comme un contrepied à « Anatomie d’une chute », « le fil » déroule, durant près de deux heures, non pas l’histoire d’un couple qui se défait mais :
– celle d’une procédure criminelle qui finit par avoir raison parce qu’elle a pu être manipulée,
– celle de la vérité – pas la judiciaire, mais la « vraie » – , celle qui peut bouleverser jusqu’à faire vomir l’avocat de la défense dans les entrailles du tribunal et qui le décompose trois ans plus tard, face à son ex client.
– celle de la noirceur, celle qui saisit le spectateur et l’invite à revisiter in fine les faits sous un angle nouveau.
Esprit critique ?
La procédure pénale est un sport de combat dont le fil, parfois, se brise sur les réalités de la banalité du mal.
Est-ce qu’un bon avocat est celui qui survit à ses clients ?
Est-ce qu’une bonne justice est celle qui survit à ses certitudes ?
Peut-il y avoir des certitudes en la matière ?
Aller voir le film ? oui.
Et surtout, relire Me Mô*.
*Maître Mô « Au guet-apens : Chroniques de la justice pénale ordinaire » – La Table ronde 2011 et « Le livre de Maître Mô » – Les Arènes 2016.
Référence : AJU467470