« Le mal au féminin » : L’énigme Monique Olivier, par Agnès Grossmann

Publié le 14/03/2025 à 16h48

Écrire, d’une très belle plume, un livre passionnant sur Monique Olivier relevait a priori de la gageure. La journaliste Agnès Grossmann l’a tenue avec brio. De son portrait de la complice du tueur Michel Fourniret, l’on apprend beaucoup sur « la banalité du mal » qu’a théorisée Hannah Arendt au procès du nazi Adolf Eichmann. Comme lui, « elle a choisi de ne pas penser » ; « elle n’a pas fait qu’obéir, elle a fait du zèle ».

« Le mal au féminin » : L’énigme Monique Olivier, par Agnès Grossmann
Couverture du livre sur Monique Olivier

 

En dépit des trois arrêts de cours d’assises, de sa condamnation à vie, tout n’a pas été dit sur Monique Olivier, qui valait bien une enquête. Celle qu’a menée Agnès Grossmann est remarquable pour trois raisons. D’abord, elle sort définitivement Monique Olivier de l’ombre de son ex-mari Fourniret, où elle s’est tant complu pour tenter d’échapper à ses responsabilités. Puis, elle révèle les ressorts successifs, intimes, d’une existence qui aurait pu la conduire à sauver plutôt qu’à provoquer la mort : elle se rêvait médecin ! « Il fallait que je soigne. Je n’ai jamais eu de plaisir à faire souffrir », assure la criminelle, prouvant sa dualité. Enfin, la journaliste, par ailleurs écrivain et réalisatrice, raconte avec talent (bienvenu) sa plongée dans les ténèbres de l’âme humaine. Il y a, dans ce document, une expression romanesque inattendue qui n’embellit pas le personnage mais trahit sa duplicité.

« Le mal au féminin », titre l’éditeur (1). Dans son propos liminaire, Agnès Grossmann explique que penser la violence des femmes n’est en aucun cas nier le fait qu’elles sont le plus souvent victimes des hommes – 81 % dans le monde. Mais voilà, il en existe aussi qui, ni folles ni sous le joug « d’un ordre patriarcal », portent en elle « une force agissante » au service de la destruction. L’autrice a voulu se concentrer sur la plus célèbre des figures françaises du crime en écoutant un jour l’avocat général Francis Nachbar, qui a étudié durant cinq ans son parcours : « Elle a trahi la cause de toutes les mères et de toutes les femmes. ». « Cette phrase m’a frappée. Quelle est cette cause féminine ? » En quoi consiste la trahison ? » Le magistrat lui a répondu : « Une femme donne la vie, elle ne peut pas donner la mort. »

À l’exception Olivier, l’autrice a donné sa juste place : « Sa place pleine et entière. »

« Elle est celle qui a rendu le mal possible »

Le livre en quatre actes commence par l’horreur qu’il convient de rappeler aux lecteurs qui ignorent le « parcours » de la prisonnière à perpétuité. Ce 11 décembre 1987, à Auxerre, le temps est glacial. Isabelle Laville, 17 ans, regagne sa maison. Aussi, lorsqu’une automobiliste perdue lui propose de monter dans sa Peugeot 304 verte, elle accepte ; ses pieds sont gelés. Plus loin, la conductrice prend un auto-stoppeur muni d’un jerrican d’essence. Un homme « plutôt chétif, sec et nerveux », avec « des mains énormes ». La ruse des Fourniret est en phase de rodage.

Isabelle ne réapparaîtra pas. « Dix-sept ans sans savoir. Et puis un jour, on n’espère plus. » Jusqu’à l’appel des gendarmes, en 2004. Monique Olivier vient d’avouer que son mari, Michel Fourniret, a tué Isabelle. Elle a été sa complice.

L’adolescente « fait partie d’un chœur tragique de dix jeunes filles, peut-être plus, violées et assassinées par un couple de tueurs en série », souligne la journaliste. Son corps sera retrouvé en 2006 dans un puits de l’Yonne, à 30 mètres de profondeur. Ses parents l’identifieront à ses bottines blanches intactes.

Pour les Laville, Monique Olivier, « par sa présence féminine rassurante », est « la première responsable. Elle est celle qui a rendu le mal possible ». Qui a piégé par la suite Fabienne, Marie-Angèle, Elisabeth, Jeanne-Marie, Joanna, Natacha, Céline, Mananya et Estelle.

Facilement, car Monique Olivier « n’a l’air de rien ». On ne se méfie pas de l’ordinaire. Lorsqu’elle entre dans le box des accusés, que ce soit dans les Ardennes (2008) ou dans les Yvelines (2018 et 2023), « elle étonne par son insignifiance ». Agnès Grossmann la décrit joliment : « Elle ressemble aux personnages qui apparaissent sur les négatifs des photos argentiques (…) Elle fait penser à un paysage de neige, pas le jour de la chute quand tout est immaculé et éclatant, le lendemain quand la neige est en partie fondue et devenue beigeasse. »

« Moi qui n’aime pas la routine… »

En épigraphe, elle a choisi l’extrait d’une lettre de Monique Olivier à son futur époux : « Nous formons un duo étrange, tu ne trouves pas, ce qui est loin de me déplaire, moi qui n’aime pas la routine, je ne risque pas de tomber dedans. » Autre citation en exergue, de Hannah Arendt : « Ceux qui optent pour le moindre mal tendent vite à oublier qu’ils ont choisi le mal » (2). L’esprit de l’ouvrage est ici parfaitement résumé. Si comparaison totale ne serait pas raison, elle offre un trait commun avec Eichmann : elle est incapable de ressentir sa culpabilité « puisqu’il lui aurait fallu penser ses actes, imaginer, se mettre à la place des victimes. » En y renonçant, elle s’est préservée de toute empathie.

La criminelle a toujours accepté de se laisser photographier, filmer, même à 75 ans, en 2023, lorsqu’elle apparaît comme « une chiffe molle » : elle « a voulu se montrer. Elle veut être vue. Elle veut exister pour les autres » car cela fait 20 ans qu’elle est en prison. À son dernier procès, pour complicité du meurtre de la petite Estelle Mouzin, 9 ans quand elle a disparu, et pour les meurtres de Joanna Parrish et Marie-Angèle Domèce toutes deux âgées de 21 ans, elle a fait face, seule, à la cour ; son ex-mari Michel Fourniret est mort en mai 2021. « Le seul enjeu de ce procès était sa parole », rappelle la journaliste. « Je regrette tout ce qui s’est passé », a dit l’accusée. « “Écoutez, tout ça, c’est…” Elle s’arrête là, au milieu du gué. On se doute qu’elle veut dire “tout ça, c’est bien embarrassant”. » Terrible, même, mais « Monique Olivier n’a pas les mots ».

Elle est pourtant dotée d’une grande intelligence. Dans son introspection, Agnès Grossmann retrace l’enfance, l’adolescence et la maturité d’adulte d’une « solitaire » qui a toujours eu « besoin d’amour ». En cela, l’ouvrage est captivant. « Son histoire commence à Tours le 31 octobre 1948 dans une France d’après-guerre où la femme n’a le droit de vote que depuis quatre ans. » Monique Olivier naît sous la IVe République, « la télé existe, une chaîne en noir et blanc, dans de très rares foyers. On écoute la radio et on danse dans les bals populaires. »

Elle est la petite dernière d’une fratrie de trois garçons, elle « remplace » le petit Georges décédé à cinq mois auprès « d’une mère en deuil » et d’un père « qui néglige sa fille ». Il lui interdira les études de médecine, lui verra un destin de secrétaire ; elle finira mariée à « un diable », mère de ses deux enfants dont elle perdra la garde, puis auxiliaire de vie auprès d’une dame handicapée.

« Une correspondance qui va accoucher d’un monstre à deux têtes »

 C’est là, au mitan d’une existence de recluse dans un appartement nîmois, que la falote Monique, néanmoins « très belle » selon ses anciens proches, connaît le frisson. Elle entretient une relation épistolaire avec un détenu, coupable de violences sexuelles, qui « l’épate » : 217 lettres, de quatre à dix pages chacune. Lui, encore inconnu, est « imprégné à l’excès de recherche d’idéal », un « grand romantique » en quête du graal : des jeunes vierges. Le pacte est signé. « Neuf mois d’une « correspondance qui va accoucher d’un monstre à deux têtes », écrit la biographe. Et Monique, dont l’idéal masculin est Lino Ventura, nous apprend-elle, se contentera de cet homme d’1,68 mètre et de 60 kilos : Michel Fourniret.

Il sera son « Sher Kahn » (orthographié sans e) ; elle sera sa « princesse aux pieds nus », « la « symphonie pastorale de mes yeux » : « Tu es la valse de mes bras, l’allegro de mon âme, le prélude de mon corps, la fugue de mes rêves », etc. À quoi tiennent, parfois, les passions meurtrières…

Le récit revient sur « la carrière » criminelle du couple, aussi sur « la fin de partie », l’enquête, l’arrestation puis le jugement, le premier à Charleville-Mézières, et à « ce qu’ils en disent » : le vieux père de Monique Olivier, ses frères, son ex-mari, ses fils ; l’ex-compagne de Fourniret, ses enfants. Dont les jumelles « qui souffrent terriblement de la situation » à tel point qu’une d’elles se suicide en 2006, à l’âge de 33 ans. « Un choc monumental », aussi, pour le fils des diaboliques – ils s’en servait comme appât lorsqu’il était bébé – et qui a « appris leurs crimes par la télévision ».

Subsiste « l’énigme » : Monique Olivier, femme soumise ou rôle moteur ? Les recherches d’Agnès Grossmann, ses capacités de documentariste, son suivi des trois procès, lui permettent de trancher. Autre certitude : elle est la légataire de l’intégralité des secrets du duo assassin. Ceux déjà révélés, ceux qui font l’objet d’enquêtes. « Elle peut encore naître au monde. C’est à elle de décider », conclut l’autrice. Tout révéler « la fera véritablement exister, s’incarner véritablement. Être ou ne pas être, telle est la question. Shakespeare a toujours raison. »

 

(1) Le Mal au féminin : Monique Olivier, Éditions Les Presses de la Cité, 208 pages, 20 euros

(2) Responsabilité et jugement, Éditions Payot, 2005

 

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