Les pénalistes serrent les rangs autour de Me J. Cohen-Sabban et Me Xavier Nogueras

Publié le 06/02/2023

Suite à l’émotion suscitée jeudi par les réquisitions très lourdes du parquet à l’encontre de deux ténors du barreau parisien accusés de complicité de tentative d’escroquerie au jugement, leurs confrères sont venus en nombre les soutenir au premier jour des plaidoiries de la défense ce lundi.

Les pénalistes serrent les rangs autour de Me J. Cohen-Sabban et Me Xavier Nogueras
Inscription sur l’un des murs du Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

 « Ce n’est pas le procès des avocats, ni de la défense pénale. Et ce n’est pas le procès d’un supposé antagonisme entre les avocats et les magistrats du parquet » a assuré Éric Serfass au début de ses réquisitions jeudi dernier. Seulement voilà, quand les avocats ont compris en lisant la presse ce week-end qu’ils pouvaient être poursuivis pour tentative d’escroquerie au jugement en transmettant à leur insu un faux document reçu de leur client, ils ont considéré que si, c’était bien le procès de la défense pénale. Alors ils sont venus en masse ce lundi 6 février pour le premier jour des plaidoiries. Ils sont même si nombreux que le tribunal va décider d’ouvrir une salle de retransmission des débats.

Les pénalistes sont venus en masse soutenir leurs confrères

Sont-ils là pour intimider les magistrats ? Pas du tout. Quand les avocats viennent protester en audience, ça arrive, ils sont debout, nombreux, bruyants, électriques. Ici on ne les discerne dans le public que parce qu’ils sont en robe. Silencieux, disciplinés, ils n’ont pas l’intention de troubler les débats ; ce n’est pas du tout le moment de crisper les magistrats, l’heure est trop grave et ils le savent.

Ils se sont déplacés pour deux raisons. Soutenir leurs confrères d’abord, qui sont poursuivis pour complicité de tentative d’escroquerie au jugement et violation du secret professionnel et contre lesquels le parquet a requis respectivement trois ans et deux ans de prison ainsi que cinq ans d’interdiction d’exercer avec exécution provisoire. Le premier c’est  Joseph Cohen-Sabban, 69 ans, 45 ans de barre, le boss. Taille moyenne, chauve, un bras en écharpe, c’est un spécialiste du grand banditisme qui a formé des générations entières d’avocats avec lesquels il entretient à l’évidence des relations d’une intensité et d’une fidélité affective rares. La fameuse famille des « pénaleux ». Sa marque de fabrique : la loyauté vis-à-vis des juges. Le deuxième c’est Xavier Nogueras, 42 ans, cheveux gris, yeux bleus transparents, il affiche une ressemblance troublante avec le Jean Gabin des débuts, celui de La belle équipe. Du haut de ses 11 ans de barre, le brillantissime (dixit une de ses consoeurs venue le soutenir) 11e secrétaire de la conférence (toute la lignée des 11e est sur les bancs du public) a été poussé par le destin dans la défense des terroristes. Il est intervenu dans tous ces procès et surtout dans le plus gros d’entre eux, celui du 13 novembre. Sa signature à lui, expliquera Me Christian Saint-Palais au cours de l’audience, c’est l’élégance dans la défense.

La défense en danger

Si leurs confrères pénalistes avaient le moindre soupçon qu’ils aient pu fauter, ils ne seraient pas là. Au contraire, ils se réjouiraient dans leurs cabinets que la justice les débarrasse de deux bêtes malades qui abiment la robe et faussent la concurrence. Seulement voilà, ils savent que ce sont deux excellents professionnels, qu’ils ont travaillé comme ils travaillent tous, dans l’urgence, sous pression, avec des clients difficiles voire dangereux et que s’ils ont éventuellement commis des erreurs, ils n’auraient jamais tenté sciemment de tromper la religion des juges. Alors ils ont peur, peur que la justice se fourvoie et, en les condamnant,  ne condamne avec eux la défense pénale toute entière. C’est la deuxième raison de leur présence dans la salle : comprendre ce qui a bien pu se passer pour qu’on se trompe à ce point sur leur métier.

C’est précisément la ligne de défense qu’ont choisi les quatre avocats de Joseph Cohen-Sabban, chacun dans son style : opposer la réalité du terrain aux accusations « hors sol » du parquet.   « L’accusation feint qu’il n’y ait pas de problème. Quand dans une salle d’audience il y a un éléphant, il faut le nommer. L’éléphant, c’est que de l’avis de tous, aucune des personnes jugées dans cette affaire n’avait conscience ou connaissance de la fausseté du document produit. Ce défaut initial, pervertit toute la pensée du parquet » commence Me Eric Najsztat, un des nombreux « apprentis » de Me Cohen-Sabban.  Il rappelle que deux magistrats au moins ont témoigné du fait que les avocats ne savaient rien du document. « Puisqu’on vous a dit qu’il s’était abaissé aux pires sournoiseries, cet avocat qui en a formé des dizaines, à quel moment sur un dossier après plus de 40 ans de carrière, ils se serait transformé en Dark Vador du barreau ?» pointe-t-il.   Et de conclure, « Si j’ai une demande c’est que ces mots restent une plaidoirie et ne soient jamais une oraison funèbre ». Ses larmes d’émotion à la suspension expriment mieux que tous les discours l’attachement qu’inspire Me Cohen-Sabban à ceux qu’il a formés et la gravité de cette affaire pour toute une profession.

« Cet avocat insuffisant, nous l’avons tous été »

Il est 15 heures, Christian Saint-Palais devrait être là, mais il rentre d’un procès d’assises à Douai, avant d’en entamer un autre dès demain,  c’est ça, la défense pénale. Son agenda illustre à merveille ce qu’il s’apprête à plaider, la difficulté du métier. La présidente Isabelle Prévost-Desprez accepte une suspension en même temps qu’elle annonce l’ouverture d’une salle de retransmission du procès. L’impeccable pénaliste arrive à 15h20.  Sa plaidoirie est aussi minutieuse qu’une horlogerie suisse.  Pendant deux heures, il va opposer avec son léger accent béarnais et son indéfectible courtoisie, le récit de la réalité de la vie d’un avocat aux théories éthérées du parquet sur le rôle idéal d’une défense.  « C’est le procès de la défense pénale, car dans le comportement qu’on leur reproche, dans les inerties, je me reconnais, si on juge comme il a été requis, si on qualifie de délit ce qui leur est reproché, alors je ne vous cache pas que nous sommes inquiets. (…)L’avocat insuffisant qui parfois n’a pas eu toute la lucidité que vous pourriez attendre, cet avocat insuffisant, nous l’avons tous été ». Ce qui est insupportable, aux yeux de Me Saint-Palais, c’est de faire d’une éventuelle question disciplinaire, un délit.  Voilà pourquoi il y a autant de professionnels dans la salle : « Les confrères sont venus dire leur inquiétude et le refus de cette conception de la défense, nous ne voulons pas que l’on instaure une défense tétanisée, sauf à ne prendre aucune initiative, à ne guère défendre, à laisser passer la machine judiciaire qui est là pour condamner ».

« Vous avez apporté des pièces avec une robe et nous on ne peut plus rien faire, dites-vous ? »

Comme l’ensemble de ses confrères, il ne comprend pas ce qu’on reproche à son client. Si l’avocat n’est pas un authentificateur, ni un enquêteur, comme le reconnait le parquet, alors quoi donc ? « Nous transmettons à charge d’apprécier la force probante, et nous sommes habitués en cas d’absence de traçabilité à ce que les magistrats n’y prêtent guère attention » rappelle Christian Saint-Palais qui pulvérise en une phrase la thèse du parquet sur le surplus de crédibilité qu’apporterait l’avocat en transmettant une pièce – c’est le cœur de l’accusation – : « Vous avez apporté des pièces avec une robe et nous on ne peut plus rien faire, dites-vous, si nous avions cette autorité nous le saurions et serions moins fatigués ! » Avec délicatesse, il désamorce ensuite la colère de sa profession qui l’a poussée à dénoncer ce week-end sur les réseaux sociaux  le cas de ces deux magistrates qui ont fait un faux pour maintenir un homme en prison – lequel s’est suicidé – et ont bénéficié néanmoins d’une relaxe. Christian Saint-Palais salue ce jugement rendu parce que l’intention délictuelle n’a pu être caractérisée, c’est le genre de décision qu’on obtient « quand les juges s’approchent du prévenu et accèdent à la compréhension de l’environnement de travail » souligne-t-il, invitant implicitement le tribunal à suivre la même voie ici.

« Par glissements successifs, on nous transforme en collaborateurs du juge »

Cela lui permet de rappeler surtout le rôle de l’avocat. « Je ne suis pas un auxiliaire de justice, les textes le disent, mais je l’ai toujours refusé.  Par glissements successifs, on nous transforme en collaborateur du juge. Nous sommes des acteurs de justice, je ne suis porteur que de la défense d’un intérêt particulier. J’ai une obligation première de tenter d’ériger au rang de vérité judiciaire la vérité de celui que je défends et je ne dois être guidé que par cela » assène l’avocat. Qui poursuit, implacable, « Et vous le savez bien, quand je rentre dans une pièce ce n’est pas préoccupé par la vérité, mais par la défense de mon client, avec des limites, le code de déontologie et la loi ». Une déontologie qui sur la question qui nous occupe n’a qu’un seul commandement : « l’avocat ne transmet pas sciemment des informations qu’il sait fausses aux juridictions ». Il réclame la relaxe, tant sur la complicité de tentative d’escroquerie au jugement que sur la violation du secret professionnel.

Après lui, Philippe-Henry Honegger et Steeve Ruben viendront à leur tour, dans un style nettement plus bouillonnant, déconstruire l’accusation contre celui qu’ils appellent affectueusement « Jo ». « Quand on cherche, on trouve toujours » dénonce fort justement Steeve Ruben. Il plaide comme on boxe, avec un jeu de jambes au moins aussi nourri que son jeu de manches. Inlassablement, il taille le dossier en pièces. Mieux, il l' »éparpille façon puzzle » pour reprendre la formule d’Audiard.  «Cette procédure est destinée à nous affaiblir, si vous condamnez, la défense ne sera plus jamais la même » conclut-il.

Il est un peu plus de 19 heures. Les avocats ont plaidé presque 6 heures. C’est trop pour ce dossier vide au fondement juridique filandreux qui ne mérite pas ces trois semaines d’audience. Mais c’est nécessaire car  tout le danger de cette affaire réside dans le fait que de ce presque rien qui fonde l’accusation peut jaillir un monstre capable de pulvériser la défense pénale. Demain mardi on entendra les avocats de Robert Dawes et de Xavier Nogueras.

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