Le parquet requiert des peines de prison contre Me Cohen-Sabban et Me Nogueras

Publié le 02/02/2023

Le parquet a requis des peines de prison ce jeudi contre les avocats dans le dossier de tentative d’escroquerie au jugement examiné actuellement par le Tribunal correctionnel de Paris. L’annonce des peines réclamées a suscité une très forte colère chez leurs confrères. 

Le parquet requiert des peines de prison contre Me Cohen-Sabban et Me Nogueras
Tribunal judiciaire de Paris. (Photo : ©P. Cluzeau)

Mais qu’est-ce que la justice est allée faire dans cette galère ? Depuis deux semaines, trois magistrats du siège et deux magistrats du parquet se penchent avec méticulosité sur la longue instruction ayant donné lieu à une impressionnante ordonnance de renvoi de près de 120 pages, pour tenter d’identifier les culpabilités dans la production d’un faux à l’occasion d’une grosse affaire de stupéfiants jugée aux assises en 2018. Faux qui a été rapidement identifié par l’avocate générale à l’audience et n’a donc eu absolument aucune conséquence sur la procédure. L’accusé a été condamné à 22 ans de réclusion criminelle.

Les deux semaines de débat qui s’achèvent n’ont rien apporté. L’accusé principal, Robert Dawes, et son homme de main Evan Hugues (qui n’a pas daigné se présenter au procès) nient être les auteurs des faux. Quant à leurs deux avocats, Me Joseph Cohen-Sabban et Me Xavier Nogueras, poursuivis pour violation du secret professionnel et complicité de tentative d’escroquerie au jugement, la justice convient depuis le départ qu’ils n’ont pas fabriqué de faux. Elle admet également qu’elle n’a aucun élément démontrant que les conseils savaient que leur client leur avait transmis un faux. Mais elle s’obstine à les poursuivre sans que l’on comprenne très bien la nature exacte du délit qui leur est reproché. On attendait donc avec impatience les réquisitions du parquet pour y voir plus clair.

« Le parquet est ici pour défendre la cause du procès »

Las ! Les deux heures et demie de réquisitions entendues ce jeudi en fin de journée ont confirmé l’impression générale dégagée par ce procès. Il est à la justice ce que l’œuf à la neige est à la pâtisserie : la transformation de très peu de matière originelle transparente en une impressionnante masse blanche opaque boursoufflée par la magie d’un vigoureux coup de fouet. Les deux parquetiers, Éric Serfass  et Julien Goldszlagier, commencent par déminer le dossier. Car bien sûr, traduire deux avocats en correctionnelle ne va pas forcément améliorer les relations entre les deux professions, déjà plus que tendues. « Ce n’est pas le procès des avocats, ni de la défense pénale. Et ce n’est pas le procès d’un supposé antagonisme entre les avocats et les magistrats du parquet » assure Éric Serfass. Si le terrain est bien symbolique, le symbole doit donc être recherché ailleurs. « Le parquet est ici pour défendre une cause celle du débat, de la loyauté, de la conscience et de l’indépendance, la cause du procès ». Et le magistrat de poursuivre : « L’avocat ne peut pas se servir de la force procédurale pour donner crédit à une fausse pièce de procédure ou à une pièce sur laquelle il aurait objectivement des doutes sérieux. Trahir la procédure, c’est trahir le procès en le ramenant dans la mélasse de l’indifférenciation du vrai et du faux ».

Dont acte. Mais de quelle escroquerie parle-t-on ? C’est Julien Goldszlagier qui se charge d’éclairer cet aspect du dossier. Le point juridique est intéressant, la spécificité de l’escroquerie au jugement est que « la dupe n’est pas la victime, c’est le juge qui est trompé, tandis que la victime est celle qui défaille parce que le tribunal est trompé ». Or ici, c’est le ministère public « qui a failli être lésé ». Failli, donc… « Au-delà des parties c’est l’acte de juger qui est corrompu, poursuit le magistrat.  La répression de cette escroquerie défend le principe supérieur de la justice, l’enjeu était d’éviter la réclusion à un trafiquant de stupéfiants, c’est pourquoi les peines requises seront sévères ».

« L’avocat n’a pas à garantir l’authenticité des pièces » admet le parquet

La veille, le vice-bâtonnier de Paris Vincent Nioré a démontré durant une heure à la barre en qualité de témoin cité par la défense qu’il était impossible de faire peser sur les avocats un devoir d’authentification des pièces produites (lire notre compte-rendu ici).  « Ni le ministère public ni les juges d’instruction n’attendent des avocats qu’ils se fassent les supplétifs du juge, c’est bien au juge de déterminer la force probante des pièces » confirme Julien Goldszlagier. Ce faisant, il répond implicitement à la déclaration de Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des Barreaux (CNB) à l’occasion de ses vœux le 24 janvier dernier qui avait précisément déclaré en marge de cette affaire « les avocats ne sont pas les supplétifs des magistrats ». Et le magistrat du parquet poursuit : « Ni le ministère public ni les juges n’attendent des avocats qu’ils se fassent enquêteurs ». Cette fois, c’est à Vincent Nioré qu’il donne raison. Plus tard, Éric Serfass l’exprimera encore plus clairement : « L’avocat n’a pas à garantir l’authenticité des pièces, il ne pèse pas sur lui une obligation de résultat, ce serait une mission impossible pour le pénaliste qui n’a pas affaire à des personnes irréprochables ».

Une obligation de « vérifications élémentaires »

Mais alors qu’ont bien pu faire les avocats pour se retrouver sur le banc des prévenus ? C’est Julien Goldszlagier qui apporte la réponse : « ce qu’on peut attendre c’est qu’ils soient vigilants, pas d’une vigilance vétilleuse, sourcilleuse mais comme le dit l’arrêt de 2016, qu’ils procèdent à des vérifications élémentaires. Il leur est reproché, alors que l’insuffisance de leurs diligences n’avait pas permis de faire taire leur propre suspicion, d’avoir produit ces pièces en dissimulant les raisons qu’ils avaient eux-mêmes de douter de leur authenticité ». Et le jeune parquetier, admettant qu’il force un peu le trait, d’avancer cette comparaison « c’est comme si un bijoutier qui avait acheté une Rolex à Barbès la proposait à la vente accompagnée de son certificat d’authenticité en prétendant qu’elle venait de la place Vendôme ». Pour les magistrats du parquet donc, l’avocat qui nourrit un doute sur l’authenticité d’une pièce doit s’abstenir de la produire. À l’inverse en effet, « si l’avocat y apporte son crédit et le renforce par la production de conclusions, il contribue délibérément à tromper la religion du juge, à le pousser à donner foi à une pièce qu’il aurait appréciée sinon avec plus de circonspection. Ce n’est pas la même chose pour un juge de recevoir une pièce d’un justiciable ou d’un avocat, car l’avocat est un professionnel qui fait présumer des vertus professionnelles ». En d’autres termes, la complicité de tentative d’escroquerie au jugement repose sur une vigilance qui sans être sourcilleuse, aurait pu s’avérer plus sérieuse. Convenons que c’est subtil, pour ne pas dire byzantin, comme fondement d’infraction pénale.

L’heure est venue de conclure, et puisque le procès est plus symbolique qu’autre chose, de décocher les dernières flèches. Julien Goldszlagier raconte qu’un jour un de ses collègues est sorti d’audience en lui disant : « il y avait Me Cohen-Sabban aujourd’hui, c’est reposant d’avoir un avocat loyal ». Le magistrat ne l’a jamais eu en face de lui, précise-t-il, mais l’idée lui était restée. Au point que lorsqu’il a ouvert ce dossier, il a immédiatement écarté Me Joseph Cohen-Sabban de ses spéculations sur les possibles coupables.  « Mais quand j’ai découvert la conversation du 5 décembre, je suis tombé de ma chaise, la lecture de cette cote m’a convaincu, et personne ne voulait me croire » assène-t-il. Assis au bout de la dernière rangée de la travée des avocats,  le pénaliste aguerri de 69 ans aux 45 ans de barre ne cille pas, il en a vu d’autres, et puis il a le cuir épais, ça se voit. Mais Xavier Nogueras lui n’a que 42 ans, et toute sa vie professionnelle encore devant lui, les enjeux ne sont pas les mêmes. Sur son strapontin inconfortable, il s’agite, ne sait plus comment caler sa grande silhouette ; on sent qu’il bouillonne de devoir encaisser en silence les tirs à balles réelles du parquet. Le pire pour lui reste à venir, le parquet a décidé d’exposer son cas en dernier. C’est Éric Serfass qui va porter l’estocade.

« Ces avocats (…) ont mis de côté leurs obligations déontologiques pour vicier un arrêt d’assises »

Xavier Nogueras a reconnu qu’il n’avait que cinq ans de barre quand il a accepté l’affaire et qu’il n’avait « rien foutu dans ce dossier ». Le magistrat s’empare de cet aveu de négligence pour lui donner l’apparence d’un délit. Là encore, c’est la tactique de l’œuf battu en neige. « Xavier Nogueras a fait sciemment le choix… » anaphorise le parquetier qui déroule la longue série d’actions ou d’omissions qui ont émaillé le dossier en la ponctuant inlassablement de sa formule « Xavier Nogueras a fait sciemment le choix de… ». L’avocat est au supplice sous cette pluie de flèches empoisonnées, tandis que la salle suspend son souffle, on arrive au bout du réquisitoire, les peines vont tomber. « Lorsqu’on fait des choix aussi nombreux on en est responsable » assène le magistrat avant de décocher la flèche finale, la formule que le parquet a visiblement peaufinée dans l’espoir de la retrouver dans le jugement : « Ces avocats étaient au service de leur client dans une affaire de très grande criminalité et ils ont mis de côté leurs obligations déontologiques pour vicier un arrêt d’assises ; ils ont tenté de détourner au profit de leurs clients le crédit que leur confère leur statut d’auxiliaire de justice et d’avocat ».

Il est 19 h 30. Contre Robert Dawes, le parquet requiert 5 ans de prison, et 3 ans avec mandat d’arrêt à l’encontre de Evan Hugues. Vient le tour des avocats. Contre Me Joseph Cohen-Sabban, le parquet requiert trois ans de prison dont un avec sursis, et 5 ans d’interdiction d’exercer, tandis que Me Xavier Nogueras écope de 2 ans, dont un an avec sursis et 5 ans aussi d’interdiction d’exercer ; dans les deux cas, le parquet réclame l’exécution provisoire.

L’annonce des réquisitions a déclenché une très vive émotion sur les réseaux sociaux parmi les avocats. Beaucoup sont choqués et en colère, ce qui ne présage pas d’une amélioration prochaine des relations au sein des professions de justice.

Les plaidoiries de la défense auront lieu lundi et mardi prochains.

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