Lois réformant la justice : une occasion manquée pour l’indépendance !
Suite à l’adoption en première lecture à l’assemblée mardi dernier de la réforme de la justice, Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), salue les efforts accomplis, mais nuance les progrès qu’ils sont susceptibles d’engendrer dans le fonctionnement au quotidien des juridictions. Surtout, elle regrette une nouvelle occasion manquée de renforcer l’indépendance de la magistrature.
La loi d’orientation et de programmation pour la justice et la loi organique relative à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire viennent d’être adoptées en première lecture par l’Assemblée nationale le 18 juillet 2023 à une large majorité.
Une augmentation indéniable et importante du budget
Ces deux projets entérinent l’augmentation indéniable et importante du budget et des effectifs (recrutement de 1500 magistrats et 1500 greffiers supplémentaires), et enclenchent de nombreux bouleversements à différents niveaux, notamment :
– une réforme de la procédure pénale par voie d’ordonnances,
– la création de 18 000 places de prison,
– la création de pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intra familiales,
– la création d’un tribunal des activités économiques, dont est finalement exclue toute participation des magistrats professionnels et dont la compétence n’englobe plus les professions juridiques réglementées,
– le développement d’une politique de l’amiable,
– la déspécialisation du juge des libertés pour le contentieux des hospitalisations d’offices et les étrangers,
– une réforme des saisies des rémunérations,
– une réforme des voies de recrutement,
– une refonte des grades, pour une carrière plus dynamique,
– la modélisation de l’équipe autour du magistrat, etc.
Une hausse des crédits de 25% pour les services judiciaires et non de 60%
Sur le fondement de ce catalogue « à la Prévert », la communication gouvernementale croit pouvoir annoncer d’ores et déjà l’émergence d’une « justice plus rapide, plus efficace et plus proche ». Elle n’hésite pas à affirmer que cette augmentation des moyens va diviser par deux les délais de procédure d’ici 2027.
Si le budget doit atteindre 11 milliards d’euros en 2027, soit une augmentation de près de 60 % en 10 ans, c’est encore et toujours une communication biaisée qui est ainsi délivrée au citoyen, puisqu’il s’agit là de l’augmentation globale pour toutes les directions du ministère alors qu’en réalité, pour les seuls services judiciaires, cette hausse sera de 25 %.
Quand le gouvernement reconnaît par ailleurs que la Justice a été abandonnée depuis 30 ans, il est légitime de se demander comment diviser par deux les délais en quelques années, alors que les chiffres de la CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice) indiquent clairement que dans la moyenne des États européens, les juges sont deux fois plus nombreux et les procureurs trois à quatre fois plus ! (voir notre article du 5 octobre 2022 sur la dernière étude CEPEJ ici).
Rappelons également que l’opération de recensement des besoins des juridictions initiée en février 2022 par la Direction des Services Judiciaires auprès des chefs de cour et de juridiction a évalué, a minima, les besoins en effectifs de magistrats à près de 5 000 ! Enfin les premiers référentiels établis par le groupe de travail mené par la même DSJ avec les organisations syndicales, professionnelles et représentants des chefs de cour et de juridiction sur la charge de travail estiment que les besoins sont deux à trois fois supérieurs pour certaines fonctions.
Consciente que le recrutement en masse de nouveaux magistrats doit s’accompagner d’une sélection et d’une formation à la hauteur (eh oui, il faut former un magistrat et sur le long terme de préférence, car il en va de la qualité de la justice rendue), l’USM s’est néanmoins félicitée de ces annonces, tout en alertant sur le fait que les 1500 magistrats en plus constitueront une première bouffée d’oxygène, mais certainement pas le Graal annoncé.
En outre, et comme souvent, ces projets créent de nouvelles missions à la charge des magistrats judiciaires sans allégement corrélatif, de sorte qu’il est probable que ces nouveaux recrutements ne vont pas permettre de faire face aux flux et stocks actuels, mais serviront seulement à absorber des charges nouvelles, sans entraîner l’amélioration significative annoncée.
Deux réformes manquées
Au-delà de cette mise au point salutaire, l’USM déplore l’occasion manquée par ces réformes, sur deux points fondamentaux, qui auraient permis à la fois à nos concitoyens de retrouver la confiance en la Justice et de redonner à cette dernière la place qu’elle mérite dans une démocratie digne de ce nom.
Ces projets de loi ne contiennent ainsi étrangement aucune référence à la notion d’indépendance de la Justice, laquelle en France, est réduite à une « autorité » alors que la plupart des démocraties lui attribuent le statut de pouvoir, au même niveau que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, s’agissant des trois piliers fondant une démocratie et un État de droit. Résultat de notre histoire, et du fantasme d’un « gouvernement des juges » (qu’on se rassure, on en est encore très loin !), la non-évolution de cette autorité en pouvoir ne peut que continuer d’entretenir l’idée d’une Justice amoindrie parce qu’elle dérange le politique, par définition au-dessus de tout soupçon.
Si le combat sur ce plan apparaît peine perdue, il était pourtant deux réformes assez simples qui auraient grandement permis de redorer le blason et l’indépendance de la Justice :
* la refonte de la composition du Conseil supérieur de la magistrature.
* l’alignement du statut du parquet sur celui des magistrats du siège
1/ La composition et les pouvoirs du CSM sont fondamentaux et conditionnent l’indépendance effective de l’autorité judiciaire et des magistrats du siège et du parquet. Or depuis la réforme constitutionnelle de 2008, laquelle marqua un grand recul, le CSM n’est plus composé majoritairement de magistrats, mais de membres extérieurs (la plupart nommés par le pouvoir politique), à rebours des standards européens, et dérogeant ainsi, sans aucune justification, au principe retenu pour la composition des organes chargés de missions similaires pour les juridictions des autres ordres, mais aussi pour les organes disciplinaires des professions libérales.
Ce principe est régulièrement rappelé par le conseil consultatif des juges européens, organe du Conseil de l’Europe, quand il réaffirme que ces Conseils devraient comporter une « majorité substantielle de juges élus par leurs pairs ».
Ce principe est induit par l’idée que pour des fonctions ou des professions de haute technicité, lesquelles requièrent des connaissances et un savoir-faire spécifiques, ce sont les pairs qui sont les mieux placés pour apprécier les manquements par l’un des leurs aux règles, usages ou bonnes pratiques déontologiques.
Rétablir une majorité de magistrats dans chaque formation du CSM, telle était pourtant la promesse de campagne du candidat Macron en 2017 : en mars 2013, un projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM avait été déposé par le gouvernement ; abandonné jusqu’en 2016, il a été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées sans pour autant avoir jamais été présenté au Congrès.
2/ l’USM plaide depuis toujours pour une réforme constitutionnelle du statut du ministère public : afin d’affirmer pleinement l’unité du corps, et de renforcer son indépendance, les nominations et la gestion de la carrière des magistrats du siège et des magistrats du parquet ne doivent plus rester dans la main du pouvoir exécutif. Il conviendrait d’aligner le statut du parquet sur celui du siège et de confier au seul CSM la totalité de la gestion de la carrière des magistrats, au siège comme au parquet. Pour exclure toute suspicion de politisation de l’action publique et restaurer la confiance des Français dans leur justice, les conditions de nomination (et de discipline) des magistrats du parquet doivent offrir des garanties suffisantes et objectives. C’est précisément ce qu’a indiqué la Cour européenne des droits de l’Homme le 10 juillet 2008, en affirmant que le parquet français ne saurait être considéré comme « une autorité judiciaire au sens de l’article 5.1 de la Convention, car il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ».
Si le projet de réforme constitutionnelle présenté au Parlement et sans cesse repoussé (cf. ci-dessus) consiste à introduire un avis conforme du CSM avant toute nomination pour les magistrats du parquet (ce qui est la pratique ministérielle depuis 2012), c’est en tout état de cause une réforme tout à fait insuffisante, puisqu’il convient en réalité d’adopter un alignement total des conditions de nomination et de discipline. Cette réforme plus ambitieuse est le mantra de l’USM, car pour pouvoir exercer en toute indépendance leurs fonctions, Procureurs de la République et Procureurs généraux doivent être assurés que leurs décisions n’entraîneront aucune conséquence sur le déroulement de leur carrière.
Et les principes fondamentaux ?
Si donc les promesses faites dans ces deux projets qui viennent d’être adoptés vont peut-être donner à la magistrature une petite bouffée d’oxygène salutaire mais insuffisante, elles ne se préoccupent pas du tout des principes fondamentaux qui devraient régir l’autorité judiciaire de la démocratie française : on n’y constate aucune amélioration de son indépendance, ni de quelconque renforcement des droits des magistrats.
Les magistrats français font-ils si peur qu’il faille limiter leurs prérogatives alors même que dans d’autres grandes démocraties, de tels principes ont été adoptés ?
Il en va pourtant de l’équilibre entre les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire : nul n’étant à l’abri des lois, les juges doivent être ce caillou dans la chaussure (ou dans la tête) de nos politiques. Le fantasme toujours judicieusement instillé d’un « gouvernement des juges » (la magistrature a évolué depuis 1789 !) et la dénonciation d’un prétendu entre-soi ressassé jusqu’à l’écœurement et la contre-vérité (les promotions actuelles de futurs magistrats sont pour moitié constituées de personnes ayant déjà une expérience professionnelle) ont de beaux jours devant eux, la démagogie était plus productive que la pédagogie. Et ce ne sont pas les réformes protéiformes sans cortex véritable complexifiant chaque jour davantage la Justice qui lutteront contre « l’état de délabrement » décrit par les États généraux de la Justice.
L’ambition et le courage n’étant pas les corollaires de l’inflation législative, force est de constater que l’occasion a une fois de plus été manquée de porter l’autorité judiciaire à son rang le plus élevé, pour la détacher du politique enfin.
Pour une étude plus précise de ces projets de loi, vous pouvez retrouver ici les observations de l’USM du 13 avril 2023 sur le projet de loi et d’orientation et la note du 16 mars 2023 sur l’évolution du statut du magistrat.
Référence : AJU381359