Rapport 2022 de la CEPEJ : la France toujours en queue de peloton

Publié le 05/10/2022

La CEPEJ (Commission européenne pour l’efficacité de la justice) publie ce mercredi 5 octobre la dixième édition de son rapport sur l’efficacité des systèmes judiciaires au sein du Conseil de l’Europe. L’étude porte sur les données 2020 de 44 États (hors Fédération de Russie, Liechtenstein et Saint-Marin). Sans surprise, la France continue de figurer parmi les pays, à PIB comparable, qui investissent le moins dans leur justice.

Rapport 2022 de la CEPEJ : la France toujours en queue de peloton
Siège du Conseil de l’Europe à Strasbourg (Photo : ©AdobeStock/Kittyfly)

Il n’est pas un seul professionnel de la justice qui ne se réfère aux chiffres du rapport de la CEPEJ quand on l’interroge sur la question des moyens de l’institution judiciaire en France. Ces données, objectives, viennent accréditer en effet les constatations  de terrain sur l’état très dégradé de l’institution. Les statistiques 2022 confirment les tendances observées lors des précédentes éditions : le budget de la justice en France se situe toujours parmi les moins élevés.

Des crédits toujours plus faibles que les pays voisins

Un budget toujours nettement inférieur à celui des pays comparables en Europe. L’étude 2022 révèle que le montant moyen des crédits alloués par les pays étudiés s’établit à 79 euros par habitant, soit une augmentation de 7 euros par rapport à 2018. Évidemment, il n’y a guère de rapport entre la France, l’Estonie et l’Azerbaïdjan, c’est pourquoi les auteurs de l’étude répartissent les pays par groupes en fonction notamment du niveau de revenus par habitant. Or, dans celui auquel appartient la France, (PIB par habitant compris entre 20 000 et 40 000 euros), la moyenne des crédits alloués à la justice s’élève à 85,80 euros. La France quant à elle y consacre seulement 72,53 euros, contre 82,15 euros en Italie, 87 en Belgique, 87,90 en Espagne, et même 111,86 au Royaume-Uni ! L’Allemagne, qui appartient au groupe supérieur (PIB par habitant au-dessus de 40 000 euros), y consacre quant à elle 140,73 euros.

Même en part de budget de l’État, la France est à 0,21 % contre 0,31 % en moyenne. Il est vrai qu’elle fait aussi partie des rares pays ayant opté pour une gratuité totale de la justice, à l’instar de l’Espagne et du Luxembourg. Certes, l’exemple de l’Autriche qui finance 97 % de son budget par les taxes demeure une exception, mais celles-ci contribuent néanmoins à hauteur de 9 % (médiane) au budget du système judiciaire au sein des pays étudiés et 15 % (médiane) à celui des tribunaux, contre… 0 % en France. Il y a lieu de rappeler que cette approche radicale de la gratuité n’était pas celle des révolutionnaires. Jusque vers 1880, le produit des droits de timbre, d’enregistrement et de greffe couvrait 80 % des dépenses judiciaires (1).

Des juges en nombre réduit. La médiane du nombre de juges pour 100 000 habitants au sein du Conseil de l’Europe s’élève à 17,6. La France quant à elle n’en compte que 11,2. Mais l’étude précise, ce que le ministère ne cesse lui-même de rappeler, qu’il faut y ajouter les juges non professionnels (consulaires, conseillers prud’homaux) ce qui viendrait compléter les effectifs et donc relativiser l’écart entre ce chiffre et la médiane. Cela n’ôte rien cependant au fait que le nombre de magistrats professionnels demeure quasiment le même qu’il y a un siècle alors que la population a considérablement augmenté.

Des salaires très moyens. La France se situe dans un groupe de 6 pays dans lesquels la rémunération des juges (du siège) représente moins de 1,5 fois le salaire brut moyen national, soit 46 149 euros annuels en début de carrière et 123 213 au sommet c’est-à-dire à la Cour suprême. Certains pays, rares, dépassent les 200 000 euros, c’est le cas du Royaume-Uni, voire les 300 000 euros, mais c’est exceptionnel (Suisse). La majorité des États se trouve dans la catégorie rémunérant leurs juges entre 1,5 et 3,5 fois le salaire brut national. Le taux le plus élevé est de 6 ; seulement deux pays sont concernés : l’Azerbaïdjan et l’Ukraine.

La situation critique des procureurs

Des procureurs peu nombreux et surchargés. Avec 3 procureurs pour 100 000 habitants, la France remporte le trophée du plus faible nombre de procureurs au sein du Conseil de l’Europe, sachant que la moyenne se situe à 11,8 et la médiane à 11,1. Aussi et surtout le procureur français est le plus chargé puisqu’il doit accomplir pas moins de 12 missions différentes et traiter 6,1 affaires pour 100 habitants, sachant que la médiane s’établit à… 2,8.

Côté salaire, les procureurs sont généralement moins bien payés que les juges. Mais en France, l’unité du corps fait que les rémunérations sont identiques, ce qui place les magistrats du parquet français dans le groupe de pays dont le salaire est compris entre 1,3 et 2 fois le salaire moyen brut national, soit 48 738 euros en début de carrière et 123 213 à la fin.

Seulement 104 avocats pour 100 000 habitants

En croissance de près de 30 % depuis 2010, le nombre d’avocats a encore augmenté en 2020 avec une moyenne de 172 pour 100 000 habitants (contre 164 en 2018) et une médiane de 136 (contre 123 en 2018). La valeur maximale est de 485 au Luxembourg. L’étude constate une augmentation régulière de 5 % par cycle de deux ans constituant une « tendance générale forte et continue ». La France elle, ne compte que 104 avocats pour 100 000 habitants, soit quand même 4 de plus qu’en 2018. Par comparaison, on en dénombre 256 en Grande-Bretagne, 303 en Espagne et 398 en Italie ! De quoi relativiser singulièrement l’affirmation selon laquelle il y aurait trop d’avocats en France ce qui expliquerait les faibles revenus d’une partie d’entre eux. L’étude quant à elle explique la croissance significative et régulière de cette profession par l’augmentation de la richesse, des normes plus élevées de démocratisation, les réformes et la complexité croissante des normes applicables. À chacun d’en tirer les conclusions sur la situation des avocats en France…

« Non, la pauvreté séculaire de la justice en France n’est pas un mythe »

Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti vient d’annoncer pour la troisième année consécutive une hausse des crédits de la justice de 8%. Ce qui portera le budget 2023 à 9,6 milliards (hors pension), dont 3,39 milliards pour les services judiciaires. Mais alors pourquoi la France demeure-t-elle en bas de peloton ? D’abord, parce que l’étude porte sur les chiffres antérieurs à ces augmentations relatives aux exercices 2021, 2022 et 2023. Ensuite parce que, comme l’explique le professeur Jean-Charles Asselain dans son ouvrage L’argent de la justice, quand on part de très bas, le retard à rattraper est important.

Et cet agrégé d’histoire et d’économie de préciser, à l’intention des sceptiques toujours prompts à avancer des problèmes de corporatisme, de paresse ou de mauvaise organisation pour expliquer l’état de dégradation avancé de l’institution : « Non, la pauvreté séculaire de la justice en France n’est pas un mythe. Elle résulte rarement de politiques délibérées, de choix explicites, mais bien davantage d’une absence de politique, ou en tout cas de l’absence d’une volonté politique assez forte pour dégager les moyens nécessaires. La justice se trouve implicitement sacrifiée à d’autres priorités, et la pression des besoins les plus immédiats se fait alors sentir au point d’exclure toute vision d’avenir ». On ne saurait être plus clair.

 

(1) Jean-Charles Asselain « L’argent de la justice – le budget de la justice en France de la Restauration au seuil du XXIe siècle »- Presses universitaire de Bordeaux 2009.

Olivia Dufour « Justice, une faillite française ? » LGDJ 2018.

Lire aussi notre article sur l’étude CEPEJ 2020 ici.

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