Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice

Publié le 15/12/2021

Dans le prolongement de l’appel des 3000, les professionnels de la justice ont organisé une journée de mobilisation dans toute la France, ce mercredi 15 décembre. A Paris, ils s’étaient donné rendez-vous, une fois n’est pas coutume, non pas devant leur ministère Place Vendôme, mais à Bercy. 

Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice
Photo : ©P.Cabaret

 

Mercredi 15 novembre, 11h45 à la sortie du métro Bercy. Devant l’imposant bâtiment qui abrite le ministère de l’économie, les premiers manifestants déploient leurs banderoles, se saluent, bavardent. Cette manifestation est avant tout celle des magistrats, des greffiers et personnels de greffe. Ils protestent contre la dégradation de leurs conditions de travail. Mais on aperçoit de nombreux avocats venus en renfort, dont quelques figures inattendues du barreau comme Francis Szpiner. Ils ont choisi de manifester devant le ministère de l’économie, parce que c’est lui qui tient les cordons de la bourse. Voir des robes rouges dans la rue c’est inhabituel, presque surréaliste.

Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice
Photo : ©P. Cabaret

 

Quelques politiques ont tenu à marquer  leur soutien. Par exemple le député LFI Ugo Bernalicis, très mobilisé sur les questions de justice. Il y a un mois, il était aux côtés des avocats pour la défense de leur secret professionnel.

Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice
Le député LFI Ugo Bernalicis (Photo : ©P. Cabaret)

 

Parmi les autres écharpes tricolores, on reconnaissait aussi le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure

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Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti Socialiste (Photo : P. Cabaret)

 

Les pancartes bricolées sur des bouts de carton expriment mieux que de longs exposés le manque de moyens, mais l’essentiel du message à faire passer y est : les professionnels de justice réclament des moyens.

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Photo : ©P. Cabaret

 

Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice
Photo : ©P. Cabaret

 

Alors que l’heure avance, la place finit par se remplir de façon conséquente. Il fait gris mais il ne pleut pas, c’est déjà ça. Près du camion qui s’occupe de la sono, les différents responsables de syndicats et d’institutions se succèdent au micro, sous les applaudissements.

Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice
Photo : ©P. Cabaret

On entend beaucoup de magistrats, mais aussi des avocats. Jérôme Gavaudan, président du Conseil National des barreaux est présent, de même qu’ Hélène Fontaine, présidente de la Conférence des bâtonniers, Julie Couturier qui prendra ses fonctions de bâtonnier de Paris le 1er janvier, et son vice-bâtonnier, Vincent Nioré.

Les relations ne sont pas toujours faciles entre les deux professions. Récemment, les syndicats de magistrats ont déposé des interventions volontaires devant le Conseil constitutionnel pour remettre en cause l’extension de la protection du secret dans la loi pour la confiance dans la justice. Les avocats l’ont si mal pris que certains hésitaient à venir à la manifestation. Jérôme Gavaudan a rappelé l’importance d’être unis par-delà les divergences. Il a souligné aussi que si les avocats avaient parfois le sentiment de n’être pas complètement bien traités, ils savaient que c’était en raison du manque de moyens affectant l’institution.

Magistrats, greffiers et avocats unis devant Bercy pour défendre la Justice
De droite à gauche : Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la Magistrature, Jérôme Gavaudan, président du CNB (au micro), Hélène Fontaine, présidente de la Conférence des Bâtonniers, Julie Couturier, futur Bâtonnier de Paris. (Photo : ©P. Cabaret)

Dans la foule, un grand nombre de journalistes recueillent les déclarations officielles des responsables syndicaux et les témoignages de juges anonymes.

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Céline Parisot, présidente de l’USM  (Photo : ©P. Cabaret)

Au Bercy Café sur la place, des groupes de manifestants se sont installés pour boire un verre ou déjeuner.   Trois magistrates plaisantent avec le serveur. Il a fait tomber un objet « vous n’allez pas me faire un procès » lance-t-il bravache, « ah non, nous on est magistrates, on juge, on ne fait pas de procès » répondent-elles en riant. L’ambiance est détendue, propice aux confidences. On sent que ces magistrates en ont gros sur le coeur. Le besoin de verbaliser la colère et la souffrance est profond, l’amour du métier aussi. L’une d’entre elles raconte. « Je suis juge à Strasbourg, aujourd’hui je suis en formation, c’est pour ça que je suis venue manifester à Paris. J’ai eu mon premier poste en 98, et depuis j’assiste à une dégradation continue des conditions de travail, ça suffit, je suis au point de rupture ! ».

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Photo : ©P. Cabaret

Avant, elle était juge des enfants, et puis elle a craqué et son médecin l’a arrêtée deux mois en lui enjoignant de changer de fonction si elle voulait sauver sa santé. Elle est devenue juge aux affaires familiales. « On n’en peut plus, on nous attaque de tous les côtés et on n’a aucune reconnaissance. Quant à notre ministre, il noie le poisson, et nous soupçonne d’être politisés, c’est nier notre souffrance et nos conditions de travail » déplore-t-elle. Pourquoi la colère éclate-t-elle maintenant ? Elle réfléchit. « C’est l’effet tribune, je remercie ses rédacteurs car ils ont écrit des choses extrêmement fortes dans lesquelles tout le monde s’est retrouvé. On est de pions, du moment qu’on rend nos décisions, peu importe la qualité.  Mais ce n’est pas ma conception, je ne veux pas juger à la va-vite ». C’est tout le problème, la distance entre l’idée que les magistrats se font de leur métier et la manière dégradée dont ils sont contraints de l’exercer. Le syndrome est identifié, on l’appelle souffrance éthique.

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Photo : ©P. Cabaret

Cette libération de la parole est inédite. « On a découvert qu’on n’était pas seuls. Il y a des collègues qui n’osent pas s’arrêter, ils pleurent en arrivant le matin devant les grilles du palais » confie-t-elle. Elle raconte ce qu’ils disent tous. Impossible de s’arrêter car d’une part on met les collègues en difficultés, d’autre part au retour, la situation est pire en raison du retard accumulé. « Il faut rompre ce cercle vicieux. Les jeunes se révoltent, ils ne veulent pas vivre ainsi et ils ont raison ». Problème, comment sortir de cette situation ? Il faut 31 mois pour former un magistrat, à supposer même que le ministère décide un recrutement exceptionnel, rien ne s’améliorera avant longtemps. Même chose pour les greffiers, dont le nombre insuffisant est encore plus préoccupant.

Il faut arrêter les équipes censées aider les juges, estime cette juge. Ils arrivent sans rien savoir et doivent être formés, les bons partent, les mauvais restent et sont des charges. Comme en plus ils sont fonctionnaires de catégorie A et mieux payés que les greffiers, cela suscite des rancoeurs bien légitimes dans les juridictions. La solution consisterait à revaloriser toute la chaine judiciaire, depuis les magistrats jusqu’aux greffiers. « Mon mari me dit que mon taux horaire est celui d’un ouvrier spécialisé » sourit-elle. « Les greffiers pourraient nous aider, ils sont capables de rédiger des jugements, c’est dans cette direction qu’il faut repenser l’organisation des juridictions ». 

14h45 : La place est quasiment déserte. Il est l’heure de retourner pour les uns au cabinet, pour les autres au travail ou en formation. Ce soir à 19 heures, les responsables seront reçus par le ministre délégué aux comptes publics Olivier Dussopt.

Dehors, la Black Robe Brigade fait bruler quelques fumigènes qui feront comme à l’habitude de belles photos.

Une question demeure : que va-t-il advenir de cette mobilisation qui monte en puissance depuis le 23 novembre, date de la publication de la fameuse tribune, et a trouvé son apogée dans cette journée de mobilisation ?

Le risque est grand que les congés de Noël fassent retomber la pression. En même temps, on sent bien que quelque chose a changé et qu’il va falloir que la situation évolue. La solution pourrait venir d’une réorientation des Etats Généraux. S’ils devenaient le cadre concret et opérationnel d’une vaste concertation avec les professionnels sur la manière de sauver l’institution, ils gagneraient cette légitimité qui jusqu’à présent leur a été déniée, tant dans les rangs de la magistrature que du côté des avocats…La structure est prête, il suffit juste de l’utiliser correctement.

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Photo : ©P. Cabaret
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Photo : ©P. Cabaret
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