Mobilisons-nous pour sauver le jury populaire !

Publié le 18/11/2022

Les dispositions de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire qui prévoient la généralisation des cours criminelles départementales entreront en vigueur le 1er janvier prochain.

En pratique, tous les crimes punis de quinze ans ou vingt ans de réclusion criminelle, notamment les viols,  violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, vols à main armée ou encore les tortures et actes de barbarie, ne relèveront plus des cours d’assises mais de ces nouvelles juridictions entièrement composées de magistrats professionnels. Une perspective qui inquiète, tant le jury populaire est une institution en France depuis la Révolution.

L’universitaire Benjamin Fiorini est à l’origine d’une tribune publiée dans Le Monde le 4 novembre dernier pour dénoncer cette réforme, déjà signée par des centaines d’avocats, magistrats et enseignants. Il explique dans nos colonnes les raisons de sa démarche et appelle à une mobilisation massive pour sauver le jury populaire. 

Mobilisons-nous pour sauver le jury populaire !
Entrée de la salle des Assises (Photo : ©O. Dufour)

Le 4 novembre 2022, le journal Le Monde a publié une tribune collective visant à préserver le jury populaire de cour d’assises en empêchant la généralisation des cours criminelles départementales (CCD) programmée le 1er janvier 2023.

Cette tribune, qui vise notamment à soutenir une proposition de loi en ce sens déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale par Madame la députée Francesca Pasquini (EELV – NUPES), a été cosignée par plusieurs organisations syndicales et associatives intéressées par les questions de justice, notamment la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), le Syndicat de la Magistrature (SM), le Syndicat des Avocats de France (SAF), l’Association des Avocats Pénalistes (ADAP), la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA) ou encore l’association A.M.O.U.R de la justice.

Contre la déshumanisation de la procédure criminelle

Depuis sa parution, cette tribune a suscité une vague d’enthousiasme, fédérant autour d’elle plus de 600 professionnels du monde judiciaire, plusieurs députés et des nombreux citoyens engagés en faveur d’une justice humaine et démocratique.

En consultant la liste des signataires, on observe notamment une très forte mobilisation du barreau. Les avocats redoutent, entre autres, une déshumanisation de la procédure criminelle. Ils rappellent que le principe d’oralité sur lequel repose la procédure d’assises, qui confère à l’audience des potentialités inégalables de restauration du lien social, sera nécessairement écorné devant les CCD, dont il est douteux qu’elles puissent échapper à la logique d’abattage qui prévaut désormais devant les tribunaux correctionnels. Ceci explique le ralliement à la tribune d’une douzaine de bâtonniers, de plusieurs membres du Conseil national des barreaux (CNB) et du conseil de l’ordre du barreau de Paris, de quelques figures de la profession (Me Henri Leclerc, Me Frank Berton, Me Francis Szpiner, Me Christian Saint-Palais, Me Alain Jakubowicz, etc.), ainsi que d’avocats couvrant près de cent barreaux, où des motions sont en préparation.

Pour le maintien d’un espace de dialogue sans filtre entre magistrats et citoyens

Parmi les signataires, on retrouve également de nombreux magistrats, inquiets de voir s’effacer l’un des derniers espaces de dialogue direct entre les juges et les citoyens, et préoccupés par la surcharge de travail qu’occasionnera pour eux l’avènement des CCD, où cinq magistrats devront siéger (contre trois aux assises). Ils regrettent le sacrifice de l’un des derniers bastions d’une justice de grande qualité, qui prend le temps de l’écoute, au nom de préoccupations purement gestionnaires, alors qu’une alternative simple consisterait à offrir à la justice criminelle suffisamment de moyens matériels et humains pour agir dans des délais raisonnables. Le ralliement à la tribune du président de cour d’assises Marc Hédrich, des essayistes Antoine Garapon et Denis Salas, ou encore du magistrat honoraire Jean-Pierre Getti, président de la commission d’évaluation des CCD dont le rapport a été rendu en 2021, permet de douter fortement de l’utilité de ces nouvelles juridictions…

L’université n’est pas en reste : des enseignants-chercheurs de différentes disciplines (le droit, les sciences politiques, la sociologie, la philosophie, l’histoire, etc.) ont également rejoint le mouvement de contestation. Les bénéfices engendrés par la participation citoyenne à la justice criminelle, que ce soit pour oxygéner le corps judiciaire ou pour offrir aux jurés une expérience démocratique qui bouleverse leur représentation de la justice et métamorphose l’idée qu’ils se font de leur rôle de citoyen, sont trop connus pour échapper aux universitaires. De même, la logique managériale qui sous-tend cette réforme, où le mot « démocratie » s’efface au profit d’une novlangue technocratique froide tissée d’ « efficacité », de « simplification » et de « gestion des flux », a déjà trop abîmé la justice pénale pour que les universitaires acceptent qu’elle s’attaque désormais au jury, ce symbole hérité de la Révolution de 1789. Parmi les premiers signataires de la tribune figurent notamment le professeur de droit privé et sciences criminelles Xavier Pin, le politiste Yves Sintomer et la sociologue Célia Gissinger-Bosse.

Les Français majoritairement favorables au jury populaire

Cette triple mobilisation, à laquelle il faut ajouter l’engouement citoyen – les sondages d’opinion sur ces trente dernières années témoignent avec constance du fait que les Français sont très majoritairement favorables à l’institution du jury –, permet de consolider la proposition de loi de Madame la députée Francesca Pasquini, et laisse entrevoir la possibilité d’une alliance transpartisane sur cette question. L’analyse des travaux parlementaires en 2019 et 2021, à l’occasion des débats portant sur l’expérimentation puis sur la généralisation des cours criminelles, révèle en effet que de nombreux députés LR, toujours en exercice sous la présente législature, sont favorables au maintien du jury populaire.

Numériquement, une victoire est donc possible sur le terrain politique, à condition de se mobiliser et de continuer à sensibiliser nos concitoyens qui, encore aujourd’hui, sont trop peu nombreux à être informés de la régression démocratique qui doit ouvrir l’année 2023.

Levons-nous pour les assises, et que la bataille du jury commence !

Pour signer la tribune, c’est ici.

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