Ouverture du premier point d’accès au droit transfrontalier en Europe

Publié le 10/05/2023

Un point d’accès au droit transfrontalier ? C’est nouveau et cela vient d’être créé par les professionnels de la justice français et allemands sous l’impulsion du magistrat Thierry Ghera. Le « point de contact franco-allemand pour la justice » est lancé officiellement ce mercredi à 18 heures au Tribunal judiciaire de Strasbourg. Thierry Ghera, président du Tribunal judiciaire de Strasbourg, nous explique de quoi il s’agit. 

Ouverture du premier point d'accès au droit transfrontalier en Europe
Palais de justice de Strasbourg (Photo : ©AdobeStock)

Actu-Juridique : Comment est née l’idée de créer ce point d’accès au droit transfrontalier ?

Thierry Ghera : Dans son rapport 2022 sur les systèmes judiciaires en Europe, la CEPEJ met la France à l’honneur en matière d’accès au droit. Elle est le seul pays en Europe à proposer, dans les points d’accès au droit, des consultations gratuites complètes sans condition de ressources. C’est une politique nationale déclinée au niveau départemental par les centres départementaux d’accès au droit (CDAD),en fonction des besoins locaux. Ce système permet de lutter contre toutes les formes d’exclusion, depuis le handicap jusqu’à l’illettrisme, en passant par l’incarcération. Il existe 8 000 points d’accès au droit en France. Or, s’il est difficile pour un Français de connaître la loi et ses droits, sachant que nous avons 75 codes, il est encore plus difficile pour le transfrontalier de s’y retrouver car il doit connaitre son droit national, celui du pays voisin et enfin le droit international privé. Cela occasionne des situations parfois d’une grande complexité. L’idée consiste à créer un point d’accès au droit capable de répondre à ces problématiques particulières. J’ai proposé ce projet à mon collègue du tribunal d’Offenburg en 2019 qui a tout de suite accepté. La crise sanitaire a tout arrêté, puis nous avons repris contact en 2021 et nous venons d’achever la mise en œuvre du point d’accès au droit.

Actu-Juridique : Où sera-t-il domicilié ?

TG : En Allemagne, à Kehl, juste de l’autre côté du Rhin, dans les locaux du Centre européen de la consommation, qui existe depuis 30 ans. Il s’agit d’une expérimentation d’une durée de trois ans, renouvelable une fois. Nous avons obtenu le soutien financier de la Chancellerie, mais aussi de notre ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Justice du Bade-Wurtemberg. Sont aussi partenaires, le CDAD du Bas-Rhin, les instances régionales et locales, les institutions professionnelles ainsi que la Commission européenne via INTERREG, le programme européen visant à promouvoir la coopération entre les régions européennes. Le CDAD prend la forme d’un partenariat entre les différents acteurs du projet, à savoir le centre européen de la consommation et les instances professionnelles concernées.

Actu-Juridique : Que va proposer ce point d’accès au droit ?

TG : La même chose qu’un point d’accès au droit traditionnel, mais transfrontalier. Des avocats, des huissiers et des notaires allemands et français, bilingues, vont proposer des consultations juridiques complètes, autrement dit, les personnes obtiendront une analyse et un conseil, consistant soit à saisir la justice, soit à tenter une médiation, soit à s’abstenir parce que le dossier n’est pas bon. Ceci gratuitement et sans condition de ressources. En Alsace, la frontière s’efface, il y a par exemple des personnes qui travaillent à Strasbourg et louent leur logement en Allemagne, mais elle se rappelle à nous dès qu’on a un problème juridique. L’idée est de permettre aux gens de connaître leurs droits car c’est, à mon sens, la condition préalable indispensable du droit au recours effectif prévu à l’article 47 de la charte européenne des droits de l’homme. On ne peut agir en justice que si l’on connait ses droits. Or, souvent les gens les ignorent et hésitent par ailleurs à pousser la porte d’un professionnel. Grâce à la consultation gratuite, on espère lever les peurs irraisonnées que peuvent inspirer les gens de justice. En renforçant la sécurité juridique transfrontalière, nous avons également l’ambition de développer les échanges. Et c’est aussi une petite pierre apportée à l’édifice d’une citoyenneté européenne du quotidien. Je pense que le point d’accès au droit sera sollicité sur des questions de droit de la famille, droit du travail, droit fiscal mais aussi propriété et habitation.

Actu-Juridique : À qui peut-on s’adresser, en tant que professionnel, si l’on veut participer à l’aventure ?

TG : Il faut se tourner vers son ordre professionnel, nous avons tenu à ce qu’ils soient les acteurs de ce centre. L’indemnisation est fixée au tarif français, soit 108 euros de l’heure.

Actu-Juridique : Est-ce une première ?

TG : À ma connaissance oui, nous avons dû tout inventer. Les associations m’ont déjà manifesté leur intérêt. Elles-mêmes délivrent des conseils, mais expliquent que lorsqu’il se pose un problème transfrontalier, la situation se complique et qu’il sera utile de renvoyer vers notre point d’accès au droit. Les consulats sont également demandeurs. Je pense que le modèle est transposable partout en Europe et peut contribuer à améliorer l’image de l’Union européenne.

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