Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (J-1)

Publié le 07/09/2021

Le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’ouvrira demain mercredi à 12h30. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, défend un jeune couple qui a survécu à la tuerie du Bataclan. Elle a décidé de raconter comment on vit un procès aussi hors normes quand on est avocat. 

robe d'avocat
Photo : ©P. Cluzeau

 

Mardi 7 septembre 2021, 17 heures.

Le procès des attentats du 13 novembre 2015 commencera dans quelques heures.

Le Stade de France : 1 mort.

Le Carillon et le Petit Cambodge : 13 morts.

La Bonne Bière et Casa Nostra : 5 morts.

La Belle Equipe : 21 morts.

Le Comptoir Voltaire : aucun mort.

Le Bataclan : 90 morts.

Les blessures silencieuses

Et puis des centaines de blessés. Leurs témoignages me reviennent en tête si souvent. Il y a les blessures physiques, mais lorsqu’on lit le dossier pénal, que l’on voit les photographies, on imagine aussi et surtout les blessures psychiques. Celles qui mettront du temps à guérir. Celles qui ne se voient pas.

Les blessures de ceux qui ont survécu, mais aussi de tous ceux qui sont intervenus sur les lieux du drame : pompiers, policiers, soignants, magistrats, voisins, passants… Tous ces gens qui, pour la plupart, sont restés silencieux alors qu’ils ont été confrontés brutalement à l’indicible.

Ces blessures m’empêchent de dormir.

J’ai mal en écrivant ces mots.

Nous, les avocats, avons tous des rituels pour aborder les procès particulièrement difficiles. Moi, c’est le sport. Je cours. Je fais du CrossFit. Au moins quatre fois par semaine. J’aborde chaque audience, quelle qu’elle soit, comme un marathon.

 Tout le monde dit que ce procès est hors normes, alors je pense à mon serment d’avocate :

« Dignité, conscience, indépendance, probité, humanité ».

Dans les moments difficiles, c’est ce qui réconforte, ce qui donne de la force.

Nous en parlons entre avocats et nous nous disons tous la même chose : nous ne savons pas à quoi nous attendre. Mais le combat c’est l’essence même de notre métier. Nos clients nous choisissent pour cela.

Des psychologues seront présents tous les jours à la Cour d’appel de Paris. Nous parlons aussi de cet aspect-là, entre avocats. De ce qui pourrait nous toucher en profondeur.

Des mots et des larmes

Je sais déjà ce qui me fera le plus de mal. Je me prépare, comme chacun de mes confrères, à l’écoute de leurs mots. Je dois vous dire que, parfois, lorsque je regarde les informations, les reportages, mes larmes coulent.

Comme nous tous.

Les autres clients de mon cabinet savent que je serai sur le banc des parties civiles dans ce procès-là. Certains, depuis la cabine téléphonique de leur prison, me téléphonent et nous en parlons. Nous évoquons surtout les victimes, et puis la religion, évidemment.

 Parmi eux, il y a ce jeune homme responsable de la mort d’un homme qui se demande comment on peut défendre ces terroristes. Alors nous parlons, beaucoup, parfois longtemps. Si ce procès peut lui permettre de grandir…

 Finalement, j’aborde ce procès avec eux et par eux je réalise à quel point nous avons tous été touchés, ce jour-là.

Condamnés, parfois pour des actes très graves, mes clients ont des mots d’une profonde humanité qui tranchent de façon singulière avec les appels à la peine de mort qui pullulent sur les réseaux sociaux.

Et même avec les mots de mes proches, dont certains sont d’une violence inouïe.

Je me souviens avoir dit un jour à une petite fille : « la robe d’avocat c’est comme la coquille d’un escargot : dessous, il y a une petite maisonnée avec tous mes dossiers, tous mes clients, tous mes ressentis depuis ces dernières années. Les victoires, les défaites mais surtout, les combats. Et je transporte cette maisonnée d’audience en audience, de palais de justice en tribunal ».

Faire honneur aux victimes

Ce soir, je voudrais que nous pensions aux victimes. A toutes les victimes.

Celles qui veulent venir et témoigner. Et celles qui garderont le silence.

Nous allons, je l’espère, leur faire honneur avec ce procès.

Les victimes auront la parole. Y compris celles que je défends et dont je réserve les mots à la cour d’assises de Paris.

La société, représentée par les avocats généraux, s’exprimera aussi.

Et puis on entendra la défense ; je sais à quel point il peut être difficile d’être de ce côté de la barre, parfois. Puisse l’opinion publique accorder à mes confrères le respect qu’ils méritent et leur épargner les insultes et autres menaces qui se nourrissent de l’ignorance de notre métier et des principes fondamentaux d’un état de droit. Cet état de droit que le procès a précisément vocation à opposer à la barbarie.  

Les mots d’une rescapée du Bataclan me reviennent en mémoire : « et à la fin, l’amour gagne toujours ».

A cet instant précis, je crois que l’amour de la vie nous accompagne.

 

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