« Pure folie ! » estime V. Nioré à propos de l’activation à distance des téléphones portables

Publié le 23/05/2023

L’article 3 du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 modifie plusieurs dispositions du code de procédure pénale. Il introduit notamment une nouvelle technique « d’activation à distance d’un appareil électronique ». En clair, il s’agit de déclencher à distance un smartphone pour sonoriser une pièce et, par exemple, capter une conversation. L’ordre des avocats de Paris a adopté à l’unanimité, le 16 mai dernier, le rapport de sa commission pénale dénonçant ce nouveau dispositif. Le vice-bâtonnier de Paris, Vincent Nioré, nous explique en détail les risques contenus dans ce projet.

"Pure folie ! " estime V. Nioré à propos de l'activation à distance des téléphones portables
Photo : ©AdobeStock

Actu-Juridique : l’activation à distance d’un appareil électronique, introduite par le projet de loi de programmation, concerne deux volets. Le premier vise à permettre la simple localisation de l’appareil. En quoi est-ce problématique ?

Vincent Nioré : Actuellement, l’article 230-34 du code de procédure pénale (CPP) permet au procureur ou au juge d’instruction d’autoriser tout moyen technique susceptible de localiser en temps réel une personne, un véhicule ou un objet sans le consentement de son propriétaire ou possesseur. Cette faculté comporte deux limites. Sont exclus les cabinet et domicile des avocats (56-1 du CPP), les bureaux, domiciles et véhicules des journalistes (56-2), les cabinets des notaires, médecins et huissiers – aujourd’hui devenus commissaires de justice – (56-3) ainsi que les bureaux et domiciles des « personnes exerçant une activité juridictionnelle » – donc magistrats et arbitres – (56-5). Par ailleurs, la mesure ne peut concerner ni le bureau ni le domicile des personnes visées à l’article 100-7, soit les avocats, magistrats, députés et des sénateurs.  Le projet de nouvel article 230-34-1 autorise, pour les délits et crimes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) à la demande du procureur ou du juge d’instruction, le recours au dispositif de l’activation, mais les exceptions sont réduites à celles de l’article 100-7 du CPP (avocats, magistrats, arbitres, députés et sénateurs), et ne concernent donc plus les journalistes, huissiers, notaires, et médecins. Pourquoi avoir supprimé cette exception-là ?

Actu-Juridique : Le deuxième recours à l’activation à distance d’un appareil électronique concerne, dans les dossiers de criminalité organisée, la possibilité d’une activation à distance mais cette fois non plus dans le cadre de la géolocalisation, mais des dispositions de l’article 706-96 sur la captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles ou d’images à l’insu des intéressés….

VN : En effet, le projet introduit un article 706-96-2 qui prévoit que le JLD à la demande du procureur, ou le juge d’instruction, peut autoriser l’activation d’un appareil électronique, en clair d’un smartphone, pour procéder à une sonorisation à distance. Or, en l’état actuel du droit, tel qu’il figure à l’article 706-96-1, les captations d’images ou de sons ne peuvent pas être effectuées dans les lieux visés aux articles 56-1, 56-2, 56-3 et 56-5 (avocats, journalistes, notaires, huissiers, médecins, magistrats, et arbitres), ni concerner les domicile, bureau et véhicule des personnes visées à l’article 100-7, soit les avocats, magistrats, députés et sénateurs.  Tout change dans le nouvel article puisqu’apparaissent deux régimes au lieu d’un. S’agissant des avocats, magistrats, députés et sénateurs, l’activation à distance est interdite. Le journaliste ne figure pas dans le champ de cette prohibition de principe, alors qu’il est le détenteur du secret des sources qui, comme le secret professionnel de l’avocat, est le cœur de la démocratie judiciaire. Paradoxalement, s’agissant des appareils se situant dans les lieux protégés, avocats, magistrats, députés, sénateurs, journalistes, médecins, huissiers et notaires, la collecte n’est pas par principe prohibée dans le texte, c’est seulement la retranscription qui est interdite, à peine de nullité. Pure folie ! Comment se fait-il que le législateur, au lieu de procéder à un simple copier-coller de la prohibition prévue au texte 706-96-1, introduit une différence de traitement ?

Actu-Juridique : Que craignez-vous en pratique ?

VN : Dans les dossiers de criminalité organisée, on sait que les suspects sont sous surveillance, les enquêteurs savent donc quand ils se rendent par exemple chez leur avocat. Il devient possible d’activer à distance et de capter et donc d’écouter la discussion confidentielle entre l’avocat et le client, à partir du téléphone de ce-dernier. Ce procédé est directement attentatoire au libre exercice de la profession d’avocat, aux droits de la défense ainsi qu’aux droits fondamentaux de la personne. Ce texte est une honte ! Il faut qu’il soit corrigé à l’occasion du débat parlementaire pour prévoir l’interdiction formelle de principe, de l’activation à distance d’abord à raison de la personne au bénéfice des avocats, journalistes, huissiers, médecin, notaires, magistrats, députés et sénateurs et, ensuite, à raison du lieu protégé pour les mêmes catégories professionnelles. La mauvaise rédaction de ce texte illustre bien que nous sommes loin de la simplification annoncée…

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