Quand l’expertise en justice dérape dans la voyance
« Quand on paye 15 euros des expertises au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage » avait lancé un expert lors de l’affaire Outreau. Heureusement, la majorité des experts font un travail très professionnel, même si leur rémunération est souvent insuffisante au regard du travail fourni. Mais il y a aussi de mauvais professionnels et, compte-tenu du poids que l’on accorde à leur parole, cela les rend très dangereux. Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier vient d’en faire l’amère expérience.
On entend de plus en plus souvent parler des expertises médicales qui sont faites dans les affaires judiciaires et surtout, de leur importance sur l’issue d’une audience.
Les experts nous disent qui est apte, ou pas, à subir une garde à vue.
Les experts nous disent qui était atteint, ou pas, au moment des faits, d’une abolition ou d’une altération de son discernement. Et donc qui sera pénalement responsable.
Les experts nous disent qui est psychologiquement malade ou psychiatriquement dangereux.
Les experts nous disent s’il existe un risque de récidive ou si le sujet présente un risque pour l’ordre public.
Les experts médicaux sont aujourd’hui, dans beaucoup de dossiers, les intervenants qui ont le plus de poids dans la décision finale.
Des expertises à la va-comme-je-te-pousse
Cela est normal, évidemment, lorsque l’on sait que la prison n’est absolument pas adaptée pour les malades mentaux.
Cela est normal aussi, lorsque l’on sait qu’une personne n’avait pas toute sa tête lorsqu’elle a commis l’acte qui lui est reproché et qu’elle ne sera pas consciente d’une éventuelle sanction pénale.
Cela est beaucoup moins normal lorsque ces expertises sont faites à la va-comme-je-te-pousse en garde à vue, quelques heures seulement avant que le prévenu soit jugé. Et que les experts outrepassent clairement leur mission.
Quinze à vingt minutes d’entretien dans une cellule de commissariat, sans dossier médical et sans dossier pénal. Et voilà que certains de nos experts réussissent à poser un diagnostic parfois très contestable sur un gardé à vue.
Je me dis que, dans certains cas, ces expertises confinent à la voyance de caniveau, mais je me garderais bien de le plaider en ces termes un peu agressifs.
J’en ai fait l’amère expérience récemment dans un dossier bien particulier.
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Que l’on s’entende bien, cher lecteur, je ne critique pas toutes les expertises, ni tous les experts. Il y a de bons experts, et il y a aussi de mauvais experts. Ces expertises sont essentielles dans l’immense majorité des cas. Elles nous éclairent dans beaucoup de cas.
Elles doivent cependant ne pas prendre trop de place : les experts ne sont pas des juges.
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Mon client, un homme d’une cinquantaine d’années, sans aucun antécédent judiciaire de quelque ordre que ce soit, est dénoncé par un homme qui l’aurait vu, de dos et derrière un arbre, se masturber. Or, non loin de là, une jeune fille et son père marchent sur le trottoir. Cette jeune fille et son père ne voient pas mon client ni cette scène et ne sont d’ailleurs pas entendus dans la procédure : nous ne connaissons pas leur identité.
Mon client, n’est pas handicapé mais, au niveau intellectuel, il est peut-être un peu en dessous de la moyenne. C’est d’ailleurs ce que sa famille me précise immédiatement et avec beaucoup de bienveillance lorsqu’elle me contacte à la fin de sa garde à vue pour que je reprenne le dossier.
Il nie les faits : il prend un médicament qui le fait uriner régulièrement. Il a eu une envie pressante et s’est caché derrière un arbre pour se soulager.
« Les policiers indiquent qu’il s’est gratté le pantalon au niveau du sexe »
Au moment de son interpellation, les policiers indiquent qu’il s’est gratté le pantalon au niveau du sexe et a voulu tirer son teeshirt vers le bas. Mon client dit que c’est faux. Mais c’est le coupable idéal ! Les policiers ont interpellé un dangereux exhibitionniste qui continue à se gratter le pantalon même en leur présence ! Ce qu’ils constatent est évidemment vrai. Et cela fait donc de mon client un menteur patenté.
Garde à vue, avocat. Et expertise médicale, les policiers ayant peut-être remarqué la légère déficience mentale de mon client.
Après l’avoir vu vingt minutes, l’expert rend un rapport de plusieurs pages, dans lequel il indique que mon client est dangereux car il nie les faits et que, pire encore, il n’a pas un seul mot pour la victime. Ce comportement de dénégation fait de lui un potentiel danger pour l’ordre public.
« Victime » qui, je le rappelle, n’a pas vu les faits, n’a pas été retrouvée et n’a donc pas été entendue. Il n’y a en réalité pas de « victime » dans ce dossier pénal mais, selon ce psychiatre, mon client qui dit avoir uriné derrière un arbre aurait dû avoir une pensée pour une victime qui n’a rien vu.
On marche sur la tête. Et je me demande bien qui de l’un ou de l’autre a un souci mental.
Cet expert ne sait du dossier qu’une chose : mon client est placé en garde à vue pour des faits d’exhibition sexuelle. Ni plus, ni moins. Et qu’il nie les faits.
Il est condamné à cinq mois de prison avec sursis. Parce que cette expertise a compté. Et elle a compté plus que ce qu’elle aurait dû. Il répète à l’envi qu’il « faisait pipi » et qu’il a « peur de la police ». Oui, mais « il y a quand même cette expertise monsieur » !!!
Je repense aussi à cet expert dit de « personnalité » qui, après une heure d’entretien avec mon client, avait décelé une « double personnalité » chez lui : gentil avec certains mais violent avec d’autres. Ni psychologue, ni psychiatrie mais diagnostic de « double personnalité » qui a compté dans la peine de prison infligée à mon client.
Voyance de caniveau ? Débat de café du commerce ?
J’hésite.
Référence : AJU362953