Réforme des assises : « Pour déclarer le monstre coupable : taper 1 »

Publié le 06/12/2022

Sauf coup de théâtre (1), les cours criminelles départementales seront généralisées dès le début de l’année prochaine. Nombre de professionnels redoutent que cette réforme ne condamne les cours d’assises à disparaître. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, imagine la justice criminelle d’après…

Réforme des assises : "Pour déclarer le monstre coupable : taper 1"
Photo : ©Florence Piot/AdobeStock

Nous sommes le 5 décembre 2056. Dans le petit village du sud de l’île d’Oléron où elle s’est retranchée, Julia, ancienne avocate au barreau de Paris, regarde, interloquée, cette nouvelle émission diffusée le samedi soir : « Tout le monde peut condamner », présentée par une star du petit écran, autrefois appelé le « trublion du paf ».

Juger les criminels en direct à la télévision

« Tout le monde peut condamner », TMPC pour les branchés, est une émission devenue très en vogue.

Le principe est simple : les criminels sont jugés en direct à la télévision par le public.

Pour déclarer le monstre coupable : taper 1.

Pour le condamner à la perpétuité : taper 2.

Il n’y a pas d’autre option de vote.

Le prix du SMS, 3,40 euros, est reversé au ministère de la Justice.

Les juges tiennent compte de l’avis du public

Les résultats des votes sont cotés dans les dossiers des magistrats des cours criminelles départementales ; ils doivent obligatoirement être pris en compte dans leurs délibérés

Toute la semaine, les chaînes d’info en continu proposent des émissions spéciales à 21 heures sur les crimes qui seront jugés le samedi à TMPC : la parole est aux policiers, aux victimes, aux voisins, aux amis et aux passants. Des débats enflammés entre psychologues et chroniqueurs s’y tiennent, afin de savoir ce qui est, ou non, acceptable dans notre société.

Depuis quelques semaines, les avocats de la défense ne s’expriment plus que par  communiqué diffusé rapidement juste avant le générique de fin. Ceux qui avaient accepté d’intervenir en plateau ont été menacés de mort et vivent sous protection, de sorte qu’ils refusent désormais de défendre publiquement leurs clients.

Julia se remémore ce temps où, s’opposant à la création des cours criminelles aux côtés de ses confrères, elle passait pour une illuminée quand elle prévenait que c’était la mort programmée de la cour d’assises.

Faire des économies 

Tout a commencé le 1er janvier 2023, alors qu’elle venait de fêter ses 13 ans de barreau.

Ce jour-là, les crimes punis de 15 à 20 ans de prison ont été retirés de la compétence des jurys d’assises, pour être jugés par des cours criminelles départementales composées exclusivement de cinq magistrats.

Le but ? Faire des économies.

Des économies, encore des économies, toujours des économies. Julia a entendu cela toute sa vie d’avocate, sans en voir réellement les résultats. Plus il y a eu des économies, et plus la justice est allée dans le mur, tandis que la méfiance des justiciables à l’égard de l’institution s’aggravait.

L’idée du gouvernement de l’époque était simple : les « crimes les plus graves » (comme l’avait précisé le ministre de la justice) devaient rester jugés par la Rolls Royce de la justice française, et donc, par les cours d’assises classiques composées de citoyens tirés au sort.

Pour les autres, et donc pour les crimes « moins graves » comme le viol, des magistrats suffiraient.

La répression du viol, cet attentat de l’intime, ne méritait donc plus le même financement que les autres crimes. Dont acte.

Malgré les protestations de nombreux avocats, des plus grands pénalistes au plus petits d’entre eux, cette réforme est passée relativement inaperçue dans les médias grand public. Il est vrai qu’à l’époque, nous venions d’apprendre que nous pourrions subir des coupures d’électricité de 2 heures de temps en temps, et les Français étaient plus inquiets de possibles pannes de chauffage que de l’avenir des cours d’assises.

Des débats de qualité, vraiment ?

Alors le 1er janvier 2023, ces « petits crimes » ont commencé à être jugés par ces cours criminelles départementales. Adieu jurés, adieu peuple français dans nos palais de justice !

Certains avocats, qui avaient expérimenté ces cours criminelles avaient assuré que « les débats restaient de qualité » et qu’il ne fallait donc pas s’alarmer.

Des débats de « qualité ».

Cette expression a scellé le sort de la justice criminelle en France.

Il n’en fallait pas plus pour que, l’année suivante, le gouvernement décide d’élargir les compétences des cours criminelles départementales aux crimes punis de 25 à 30 ans de réclusion.

En 2027, l’Assemblée nationale a voté une loi supprimant les jurés populaires. Et les cours d’assises ont disparu.

Tout le monde a estimé que finalement, ces gens-là, les criminels atroces, ne méritaient pas d’être jugés pendant plusieurs jours aux frais du contribuable. Les cours d’assises coûtaient trop cher !

Alors elles ont disparu, 436 ans après avoir été inventées.

La suppression des cours d’assises a permis des économies non négligeables : dorénavant, il y a du chauffage l’hiver au tribunal correctionnel de Nanterre. Le fax a été réinstallé au conseil de prud’hommes de Paris. Le couloir de l’instruction à Bobigny ne fuit plus qu’une journée sur deux en cas de pluie.

Cinq magistrats, puis trois, puis un…

Il fallait choisir et nous avons choisi.

Comme cela avait été prévu dans un rapport d’évaluation rendu en novembre 2022, la mise en place de ces cours criminelles a sérieusement désorganisé les juridictions puisque, pour mobiliser 5 magistrats pendant plusieurs jours, les autres services, comme celui des affaires familiales ou du juge des enfants, devaient mettre en suspens leurs audiences.

Il n’y avait toujours pas assez de juges en France, malgré les alertes des syndicats des professionnels du droit.

Alors en 2036, s’est posée une nouvelle fois la question des économies à faire.

Le nombre de magistrats des cours criminelles est passé de 5 à 3…

Quelques années plus tard, seul un magistrat a été nécessaire pour juger les crimes commis dans notre pays.

Les protestations des avocats n’y ont rien fait, le gouvernement leur répondant inlassablement que « les débats restaient de qualité ».

Julia a pris sa retraite.

Les autres confrères combattant cette réforme aussi.

Les jeunes avocats, rompus aux réseaux sociaux et à la défense médiatique qui n’avaient jamais plaidé devant une cour d’assises, n’ont pas soutenu ces protestations aussi fortement qu’ils auraient dû.

Avec la cour d’assises, la justice criminelle est morte, emportant avec elle l’état de droit mais surtout, notre démocratie.

 

(1) Une pétition a été lancée par l’universitaire Benjamin Fiorini pour sauver les cours d’assises. Pour en savoir plus, sur son initiative et la mobilisation de certains parlementaires, c’est ici. 

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