Rentrée de la Cour de cassation : les hauts magistrats réclament des moyens
Le Premier ministre, François Bayrou, et le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, ont assisté ce vendredi matin à la rentrée solennelle de la Cour de cassation. Sur fond de restrictions budgétaires, les hauts magistrats ont souligné les difficultés rencontrées par les juridictions et rappelé avec force la nécessité de maintenir l’effort en matière de crédits.
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Quai de l’horloge, vendredi 10 janvier, 10 h 30. Les voitures de fonctions stationnées en double file signalent qu’un événement se tient à la Cour de cassation. Il s’agit de la traditionnelle rentrée solennelle. Cette année, la cour attend plusieurs invités de marque, dont le Premier ministre, François Bayrou, et le garde des Sceaux, Gérald Darmanin. Si la visite du ministre de la Justice est habituelle, celle du chef du gouvernement est plus rare. Reste à savoir quel sens donner à ce témoignage d’intérêt.
Est-ce la promesse d’une attention particulière et si oui, laquelle ? La nomination de l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à la Justice n’enthousiasme guère une institution qui s’estime déjà d’être trop souvent à la remorque de la place Beauvau, laquelle est par ailleurs occupée actuellement par un ministre – Bruno Retailleau – dont les engagements très marqués à droite ne sont pas pour rassurer une magistrature inquiète à l’idée de n’être perçue qu’en tant qu’exécutante d’une politique sécuritaire.
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Des effectifs largement insuffisants
En attendant de connaître les intentions de l’exécutif à son endroit, la magistrature a saisi l’occasion pour lui faire connaître ses doléances. C’est la question des moyens évidemment qui s’inscrit au cœur des préoccupations. Ainsi, le premier président Christophe Soulard a-t-il rappelé que « la somme que la France consacre à sa justice, rapportée au nombre d’habitants, est nettement inférieure à la médiane des pays européens ». L’effort « salutaire » de mise à niveau accompli par le précédent ministre, Eric Dupond-Moretti, doit être maintenu. « On sait comment l’insuffisance des moyens se décline : des effectifs de magistrats et de personnels judiciaires largement insuffisants, un système informatique parfois déficient, un parc immobilier sous-dimensionné, des établissements pénitentiaires surpeuplés, a souligné le Premier président. Concrètement ce sont des magistrats et des fonctionnaires des greffes qui travaillent au-delà du raisonnable, des audiences criminelles qu’on ne peut plus organiser faute de conseillers ou de salles d’audience, des conditions de travail difficiles et parfois dangereuses pour le personnel pénitentiaire et des conditions de vie pouvant être indignes pour les détenus ».
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« Une rationalisation indispensable de l’activité juridictionnelle »
Il a ensuite longuement évoqué les différentes mesures mises en place à tous les niveaux pour améliorer le fonctionnement des juridictions : système d’accès au droit, regroupement de dossiers posant des questions similaires, conventions avec les barreaux, autant de démarches qui sont les préludes à « une rationalisation indispensable de l’activité juridictionnelle ». Sans compter les efforts accomplis par la Cour de cassation elle-même, tant pour améliorer son propre fonctionnement que pour aider les juridictions : accès facilité à sa jurisprudence, podcasts, lettre électronique, publications de ses travaux préparatoires…Sas oublier l’observatoire des litiges judiciaires qui doit « permettre aux juridictions des premier et second degrés et à la Cour elle-même de disposer d’informations, évidemment anonymes, sur les contentieux qui méritent de faire l’objet d’échanges ».
« La Cour de cassation assume son rôle normatif »
Des initiatives qui montrent que la justice se réforme elle-même, ce qui devrait couper court aux analyses selon lesquelles les problèmes de moyens invoqués ne seraient en réalité que des défauts d’organisation. Autre critique récurrente, notamment sur fond d’affaires politiques, le pouvoir des juges. À ce sujet, le Premier président a déclaré « la Cour de cassation assume, plus nettement qu’auparavant, son rôle normatif. Elle le fait de manière visible en exposant, dans ses arrêts les plus importants, les motifs des interprétations qu’elle retient.
D’aucuns, et ils sont à vrai dire assez nombreux, en déduisent qu’elle a accru son pouvoir normatif. En réalité, c’est tout l’inverse : en s’obligeant à s’interroger explicitement sur le sens des mots, à exposer les conclusions que l’on peut tirer des travaux parlementaires, à examiner les conséquences pratiques de l’interprétation retenue, voire les solutions adoptées par d’autres juridictions suprêmes, la Cour de cassation s’impose nécessairement une forme de prudence ».
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« La Justice de notre pays ne dispose pas du budget nécessaire pour accomplir les missions pourtant essentielles qui lui sont confiées »
Prenant la parole à sa suite, le Procureur général Rémy Heitz a, lui aussi, insisté sur les moyens : deux voix valent mieux qu’une, surtout en période de disette budgétaire et d’instabilité gouvernementale. « La Justice de notre pays ne dispose pas du budget nécessaire pour accomplir les missions pourtant essentielles qui lui sont confiées. Elle compte ainsi 2 fois moins de juges et 4 fois moins de procureurs que dans les pays comparables qui l’entourent et représente une part minime du budget de l’Etat : 10 milliards d’euros, soit 2% des dépenses » a-t-il souligné.
Et de poursuivre : « Nous savons la volonté du gouvernement de poursuivre l’effort historique consenti en faveur de ce budget, afin de pouvoir atteindre les objectifs ambitieux fixés par la loi d’orientation et de programmation du 20 novembre 2023, notamment en matière de recrutements. Formons le vœu ardent que la prochaine et attendue loi de finances pour 2025 permette de concrétiser les recrutements de magistrats et fonctionnaires de justice envisagés en 2024, qui seront accueillis et si bien formés au sein de nos écoles, notamment à l’École nationale de la magistrature et à l’École nationale des greffes, dont je salue chaleureusement les directrices présentes dans cette salle ».
Fin 2023, 4 000 affaires criminelles étaient en attente
Et pour justifier cette demande de moyens, il a rappelé les nombreux défis auxquels est confrontée l’institution : violences faites aux femmes, terrorisme, criminalité organisée, contentieux de masse…. On dénombrait, a-t-il révélé, 4 000 affaires criminelles en attente fin 2023. « Une embolie inadmissible pour nos concitoyens, qui paralyse l’efficacité de notre système et fait peser un risque grave et insidieux : celui de remises en liberté d’accusés dangereux et, partant, de récidives. Je l’ai dit publiquement : nous sommes face à un mur ». Une situation qui devait normalement être résolue par la création des cours criminelles départementales. Les résultats ne sont, hélas, pas au rendez-vous. C’est même l’inverse, la réforme « a, dans le contexte de forte attention portée à la répression des crimes sexuels, contribué à accroître la charge des juridictions criminelles et aggravé la pression des délais. Il faut d’urgence dégager des solutions permettant le rétablissement d’un fonctionnement normal de la justice criminelle qui, à défaut de concerner le plus grand nombre de nos concitoyens, traite des atteintes les plus graves aux personnes ».
Autre sujet d’inquiétude, la surpopulation carcérale : le nombre de détenus atteint 80 000 personnes, pour seulement 63 000 places. Conséquence : 4000 personnes dorment sur un matelas par terre. Jamais la situation n’a été aussi critique. Elle n’est pas le fait d’une augmentation des incarcérations, mais d’un allongement de la durée des peines, a-t-il précisé.
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La réforme du parquet en 2025 ?
Sans surprise, Rémy Heitz a ensuite renouvelé son souhait que la réforme de l’indépendance du parquet soit enfin menée à son terme. « Les contours de cette réforme sont simples et connus : il s’agit de confier au CSM le pouvoir de décision en matière disciplinaire à l’égard des magistrats du ministère public et surtout de soumettre leur nomination à un avis conforme, et non plus simplement consultatif, de cet organe constitutionnel. En un mot, de mettre le droit en conformité avec la pratique suivie depuis plus de 15 ans. Ce qui n’affaiblirait en rien le lien hiérarchique existant entre le garde des Sceaux et les parquets. Ce lien qui conditionne la bonne exécution des instructions générales de politique pénale fixées par le gouvernement, exécution à laquelle s’attachent avec détermination et loyauté l’ensemble des procureurs généraux et procureurs de la République de France ».
Rappelons que cette réforme a été votée pour la première fois en….1998.
Il n’est pas d’usage que l’exécutif s’exprime lors des rentrées judiciaires. Le Premier ministre et le garde des Sceaux n’ont donc pas prononcé d’allocution, mais ils sont restés discuter ensuite avec les magistrats et leurs invités lors du cocktail qui a suivi la cérémonie.
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Référence : AJU495008
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