Rentrée du tribunal judiciaire de Paris : et si l’on étendait la CRPC à la matière criminelle ?
À l’occasion de la rentrée du tribunal judiciaire de Paris, qui s’est tenue le 23 janvier, son président Stéphane Noël a alerté le ministère sur l’augmentation significative des procédures engagées contre l’État en raison de dysfonctionnements judiciaires. Il estime également nécessaire d’ouvrir une réflexion sur la CRPC étendue à la matière criminelle.
L’an dernier à la même époque, le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, s’inquiétait de la faiblesse de ses effectifs au regard du défi qu’allaient représenter les Jeux olympiques en termes de surcharge de travail pour sa juridiction : « Je le dis avec gravité, à un moment où les services de police se mobilisent pour préparer les futurs jeux olympiques 2024 à Paris, sans un renfort conséquent et rapide de notre capacité de jugement, la juridiction parisienne ne sera pas au niveau pour préparer cette compétition mondiale ». Il a été entendu : la transparence de septembre 2023 (le document qui organise les nominations de magistrats deux fois par an) a concentré la quasi-totalité des effectifs disponibles sur les juridictions concernées par les JO. Malgré une augmentation conséquente des affaires civiles (plus de 6 000 affaires nouvelles par rapport à 2022 pour 4000 affaires terminées en plus) qui ramène la juridiction à son niveau d’avant COVID, le président n’a pas abordé la question des moyens. Il est vrai que cette allocation exceptionnelle de renforts s’est faite au détriment des autres juridictions, ce qui rend la question sensible et retient sans doute les juridictions favorisées de trop revendiquer, même si les difficultés subsistent.
Un tribunal engagé en faveur de la médiation
En l’absence d’Éric Dupond-Moretti, c’est vers son directeur de cabinet, Charles Touboul, qu’il s’est tourné pour indiquer que la juridiction poursuivait son engagement en faveur de la médiation, sujet cher au ministre qui en a fait l’un de ses axes politiques majeurs en 2023. « Le nombre d’injonctions en médiation est en progression de 22,5 % en 2023 par rapport à 2022 (soit en 2023 : 2267 dont 1161 en référé) » a-t-il précisé. Parmi les sujets d’attention, il a évoqué la question du devoir de vigilance des entreprises, pour laquelle le tribunal judiciaire de Paris dispose d’une compétence exclusive. Les premières décisions ont été rendues l’an dernier. « Il est trop tôt pour parler de jurisprudence mais il est certain que cette matière va connaître un développement important » a-t-il précisé.
Autre sujet d’attention, les procédures engagées contre l’état en raison de dysfonctionnements judiciaires. Le tribunal de Paris a connu en 2023 une augmentation significative de ce contentieux, lequel montre « toute l’attention que portent les justiciables et leurs conseils à ce que les affaires soient jugées dans un délai raisonnable ». C’est ainsi, a-t-il expliqué, que le 14 décembre la première chambre du tribunal de Paris a rendu un jugement reconnaissant la responsabilité de l’État pour des délais de jugement déraisonnables dans des litiges prud’homaux concernant 1050 personnes. L’État a été condamné pour plus de 6,7 millions d’euros. C’est « la décision de la plus grande ampleur rendue à ce jour par les juridictions françaises dans ce domaine » a souligné Stéphane Noël, précisant : « La juridiction parisienne est à la disposition du ministère pour partager son expérience ».
Une évolution en profondeur de l’écosystème judiciaire
Sur le terrain pénal, le nombre d’affaires correctionnelles est en hausse de 2000 par rapport à l’année précédente. Mais de même qu’en matière civile on développe la médiation pour alléger les stocks, côté pénal c’est la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) qui a le vent en poupe avec 4 269 procédures homologuées en 2023, en croissance de plus 15,5 % par rapport à 2021 et encore de 5 % par rapport à 2022. Le succès est tel que le président Noël estime nécessaire d’ouvrir un débat sur son extension à la matière criminelle. Quelques jours auparavant, à la rentrée de la Cour d’appel de Paris, la procureure générale avait plaidé pour la CRPC en matière économique et financière.
Abordant enfin le défi de l’open data, il a indiqué que la juridiction s’était investie totalement, mais souligné la nécessité d’un cadre juridique européen s’agissant de l’IA pour garantir la qualité des algorithmes et éviter qu’ils ne deviennent « sources d’incidents supplémentaires de procédure ». Ces évolutions vont mener à se réinterroger sur l’usage du précédent en matière judiciaire, prévient Stéphane Noël : « Nous voyons bien que si nous compilons l’essor de l’open data, des legal tech des modes amiables et de la césure, c’est tout un écosystème judiciaire qui évolue lentement mais en profondeur » lequel mènera à « offrir l’option aux justiciables d’être jugés en référence à une jurisprudence acquise ou s’en remettre à un juge selon son office plus traditionnel ».
« Une délinquance de bruit et de fureur »
Côté parquet, Laure Beccuau a évoqué en 2023 une « délinquance de bruit et de fureur » mais, a-t-elle précisé, « grâce à une action pénale obstinée, de réels succès ont été obtenus dans la lutte contre la délinquance ». Il y a eu plus d’affaires traitées, plus de poursuites, plus de présentations aussi devant le parquet : 18 561 en 2023, soit plus de 50 déferrements quotidiens tous les jours. Laure Beccuau s’est également félicitée « d’une chaîne pénale plus fluide et plus conforme au délai raisonnable ». En 2023, il y a eu deux nouveautés en matière de procédures alternatives : l’avertissement pénal probatoire qui a concerné 2000 personnes et la contribution citoyenne qui a engendré le versement de 73 000 euros à l’association Paris Aide aux victimes.
Un doublement des procédures relatives à la haine en ligne
Sans surprise, l’actualité a un impact fort sur l’activité du parquet. Ainsi, après l’attentat terroriste subi par Israël le 7 octobre, 1051 enquêtes ont été ouvertes au pôle de lutte contre la haine en ligne contre 551 en 2022. Le parquet aimerait bien envoyer les auteurs de ces infractions en comparution immédiate ; à ce sujet, une question prioritaire de constitutionnalité est pendante devant la Cour de cassation pour savoir si la loi de 1881 est compatible avec les procédures d’urgence. Autre sujet de préoccupation, la criminalité organisée : « le danger est réel, multiforme, le risque est sérieux pour notre état de droit » a précisé Laure Beccuau. Elle a souligné la violence des méthodes utilisées, en rappelant notamment la tragédie des 39 migrants morts dans un camion frigorifique et de commenter : « les peines ont été à la hauteur de notre droit, pas forcément à la hauteur de celles des autres pays, sans doute faut-il s’interroger ». Concernant les mineurs du Trocadéro, elle a évoqué la jurisprudence novatrice du tribunal sur la traite des êtres humains liée à l’influence médicamenteuse. Parmi les autres succès, figure la baisse des vols avec violences et des cambriolages en 2023 en raison notamment du côté de la justice, d’une politique de déferrement systématique. Laure Beccuau a aussi souligné que le parquet de Paris était mobilisé contre le trafic de crack : 343 procédures de comparution immédiate en 2023, soit plus de 61 % de hausse, des saisies à hauteur de 19 000 euros, et 2 000 injonctions thérapeutiques. Trois priorités sont inscrites à l’agenda 2024 : améliorer l’audiencement, numériser les procédures, et améliorer le suivi de la situation carcérale.
Le PNF fête cette année son dixième anniversaire
Le parquet national financier (PNF) se prépare quant à lui à fêter son dixième anniversaire en juin prochain. En 2023, son activité a été très soutenue avec 300 affaires nouvelles contre 217 l’année précédente, ce qui porte à 781 le nombre de procédures en cours, a indiqué le chef de ce parquet, Jean-François Bonhert. Sur ce total, 86 % sont traitées en enquête préliminaire, le reste en information judiciaire. Autre chiffre en croissance, le nombre des personnes condamnées : 111 l’an dernier contre 70 en 2022. Quant au montant des condamnation prononcées, il s’est élevé à 482,8 millions d’euros en 2023 soit12,3 milliards depuis la création du PNF. Autre événement notable de l’année écoulée, deux peines de prison ferme ont été prononcées dans un dossier d’abus de marché. Évidemment, une telle croissance d’activité pose la question des moyens. Lors de la création du PNF, on évaluait ses besoins à 22 magistrats du parquet, ils sont aujourd’hui 20, aidés de 8 assistants spécialisés mais, a précisé Jean-François Bonhert, « en 2013 on pensait à un portefeuille de dossiers beaucoup plus restreint que les 700 d’aujourd’hui ».
Terrorisme : « Le moment est venu d’une véritable prise de conscience de l’enjeu spécifique sur l’accompagnement des sortants »
S’agissant de parquet national antiterroriste (PNAT), au 1er juillet prochain, il aura soutenu l’accusation dans 83 procès aux assises au bout de 5 ans d’existence. La principale menace, a indiqué le chef de ce parquet, Jean-François Ricard, est constituée par le terrorisme islamiste à travers une mouvance endogène constituée d’individus nés en Europe mais rejetant ses valeurs. Il a souligné la forte augmentation des projets de très jeunes gens, parfois mineurs, tout en précisant qu’il était trop tôt pour savoir s’il s’agissait d’une nouvelle génération. « Chaque creux de la vague est une période de repli permettant aux djihadistes de reconstituer leurs forces » a-t-il mis en garde. Le PNAT est particulièrement vigilant depuis le 7 octobre à l’égard « de tout projet visant la communauté juive ». D’autres menaces viennent de l’ultradroite ; elles ont déjà débouché sur 25 condamnations dont une à 18 ans de réclusion prononcée en 2023. Sans oublier la Corse qui nourrit un important contentieux.
L’autre compétence du PNAT concerne les crimes contre l’humanité. Jean-François Ricard a salué l’arrêt rendu en assemblée plénière par la Cour de cassation le 12 mai 2023 qui fixe les contours de la double incrimination et permet à la justice française de poursuivre et juger les auteurs de crimes contre l’humanité, quand bien même ces crimes ne sont pas qualifiés comme tels dans leur pays. « Cela permettra de juger les crimes commis en Syrie », a-t-il précisé avec un premier procès qui se tiendra cette année contre trois Syriens pour crime contre l’humanité. De même, deux procès concernant le génocide du Rwanda sont programmés en 2024, l’un en première instance, l’autre en appel. Au total, le PNAT est intervenu dans six procès de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Récidive de haute intensité
Parmi les sujets de préoccupation figure le traitement des « sortants » : entre 70 et 80 personnes condamnées pour terrorisme sortent de prison chaque année. L’attentat du pont de Bir-Hakeim illustre « une récidive de haute intensité ». « Le moment est venu d’une véritable prise de conscience de l’enjeu spécifique sur l’accompagnement des sortants » a-t-il déclaré, mettant en garde sur le fait que la récidive en matière de terrorisme obéit à des règles distinctes du droit commun et que le panel des mesures à disposition ne répond pas à l’objectif. Enfin, alors qu’il doit partir en retraite dans les mois qui viennent, Jean-François Ricard a mis en garde sur la nécessité de refuser l’élargissement non justifié de la qualification de terrorisme, « il ne faut rien céder sur ce plan sous peine d’une atteinte grave à nos principes démocratiques ».
Référence : AJU416166