« Stalincrack » : un vendeur de crack condamné pour homicide involontaire

Publié le 18/01/2023

Dans un arrêt du 11 janvier, la cour d’appel de Paris a condamné un trafiquant de crack à 5 ans de prison pour homicide involontaire, suite au décès d’un de ses clients. C’est la fin d’un long combat pour la famille de la victime. 

"Stalincrack" : un vendeur de crack condamné pour homicide involontaire
Photo : ©Florence Piot/AdobeStock

Le 9 juin 2021 en fin de journée, Pierre, 60 ans, est découvert sans vie dans son appartement par les pompiers. Selon l’analyse toxicologique, il a succombé à une overdose de crack. Contrairement à nombre de victimes de cette drogue, Pierre a un domicile et surtout une famille qui veille sur lui, dont sa sœur. Celle-ci ne se résout pas à admettre que son frère ait pu commettre une erreur de dosage. Pour elle, c’est sûr, on lui a vendu une saleté. Le parquet ouvre une enquête et l’on découvre grâce à la vidéosurveillance que dans la nuit du 6 ou 7 juin 2021, Pierre s’est rendu à Stalingrad. À 2 h17 du matin, il achète une dose de crack à un dealer qui sera rapidement identifié. Il s’agit d’Ahmed B. Né en 1997 à Libreville au Gabon, il est arrivé en France en 2016 et, depuis, alterne le commerce de crack à Stalingrad et les séjours en prison, ce qui lui a valu une OQTF (Obligation de quitter la France).

La question du lien direct 

Ahmed B n’a jamais contesté la transaction, mais il assure que son produit n’a pas pu tuer Pierre car lui-même en a consommé. Problème pour la justice : il n’existe pas de lien direct démontré entre la dose vendue et le décès. On sait en effet grâce au bornage du téléphone que Pierre est ressorti le 7 juin au matin, qu’il a tiré de l’argent liquide, que son téléphone a borné dans le nord de Paris et qu’il aurait donc parfaitement pu acheter une autre dose. Par ailleurs, la drogue qu’il a consommée n’a pas pu être comparée aux échantillons saisis chez le dealer. D’abord parce qu’une fois consommée elle n’est plus comparable, ensuite parce que la perquisition a eu lieu bien après la vente. C’est là-dessus que s’est appuyé le tribunal judiciaire en première instance pour relaxer Ahmed B. du chef d’homicide involontaire en août 2021. Sur appel du parquet et de la famille, l’affaire est a été réexaminée le 8 décembre dernier par la 3e chambre du Pôle 2 de la cour d’appel de Paris (lire notre compte-rendu de l’audience de première instance ici et celle devant la cour d’appel).

La jurisprudence des fautes conjuguées

Les avocats des parties civiles soutiennent alors de nouveau qu’un lien indirect suffit en la matière et qu’à supposer même qu’une autre transaction ait eu lieu postérieurement, elle n’aurait engendré qu’un partage de responsabilité et non pas l’exonération du premier vendeur. En d’autres termes, Ahmed B.  a contribué en vendant son produit, fut-ce indirectement, à la survenance du décès par overdose de Pierre deux jours plus tard. C’est également la position de l’avocat général Damien Brunet : « Ici la question n’est pas de dire qu’Ahmed B a pris du crack et l’a fait ingérer à la victime pour la tuer, la question c’est : les produits stupéfiants entrent-ils dans un enchaînement de conséquences qui a entraîné la mort de Pierre ? » Et l’avocat général de souligner « on n’est pas aux assises, mais sur un délit non intentionnel relevant d’une jurisprudence constante sur les fautes conjuguées ». Pour le parquet, le prévenu « a contribué à la réalisation générale de la déliquescence d’un état de santé jusqu’à la mort ». Damien Brunet requiert donc 5 ans de prison avec maintien en détention ainsi que la confirmation de l’interdiction définitive du territoire français.

La vente illégale de crack a contribué de façon certaine au décès

La cour d’appel, présidée par Elisabeth Alannic,  a suivi ce raisonnement et note dans son arrêt du 11 janvier après avoir relevé l’existence certaine et non contestée de la transaction litigieuse :

« il résulte de ces éléments que la vente illégale de crack le 7 juin 2021 à 2h 17 par X se disant Ahmed B à Pierre a contribué de façon certaine à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, à savoir son décès, dont l’unique cause est l’intoxication aigüe à la cocaïne fumée ou inhalée ».

La cour a donc condamné Ahmed B. à 5 ans de prison avec maintien en détention pour homicide involontaire. « Nous avons été écoutés en appel ce qui n’avait pas été le cas en première instance, se félicite Me Philippe Ohayon, qui défendait la sœur de la victime. L’arrêt opère un rappel à la loi assez clair :  un lien indirect suffit entre la transaction et le décès pour caractériser l’homicide involontaire en matière de trafic de crack. La gravité est aussi importante que la causalité. Cet arrêt mériterait d’être publié  ». L’interdiction définitive du territoire national prononcée en première instance est confirmée en raison de la gravité des faits sanctionnés, de l’absence de lien familial en France et du fait que le prévenu n’a jamais eu d’autre activité en France que le trafic de crack.   « Cela ne rendra pas la vie à la victime, mais la famille est soulagée d’avoir été entendue et le juriste rassuré de lire que la vente de crack est une infraction extrêmement grave dont les auteurs doivent assumer l’entière responsabilité en cas de décès d’un consommateur » conclut Me Véra Goguidze, avocate de la famille de Pierre.

 

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