Tribunal de Meaux : « Sale nègre, pute, pétasse, je vais te planter ! »

Publié le 03/03/2023

La liste des infractions pénales laissées à la compétence du juge unique n’ayant cessé de s’allonger depuis 1995, cinq audiences par semaine sont désormais présidées par un seul magistrat au tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Parmi les sept affaires soumises à la 3echambre, le 23 février dernier, beaucoup de violences et des menaces accompagnées de « mots inadmissibles ».

Tribunal de Meaux : « Sale nègre, pute, pétasse, je vais te planter ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 La petite fille se met à hurler en apercevant son père dans le box, entouré de policiers. Sous elle, dans la poussette à deux places, le bébé dort. « C’est papa », insiste la mère, comme si l’enfant de 2 ans n’était pas assez excitée. La présidente Armelle Lamouroux s’étant retirée pour délibérer, public et prévenus vaquent à leur aise. Hayat, victime d’un mari violent, elle-même poursuivie par ce dernier, profite de la pause pour introduire l’imposante poussette en chambre correctionnelle. Mogeeb, un Yéménite détenu pour autre cause, envoie des baisers à sa fillette. Ses cris redoublent.

À droite de la scène singulière, Roy et Brahima, 19 ans, s’affalent sur leur siège, jambes écartées et pieds posés sur le banc d’à côté. Ils attendent leur comparution : les faits reprochés sont graves, ils ont tabassé un lycéen qui a passé 15 jours à l’hôpital. Cela ne les empêche pas de pouffer de rire.

Plus loin, le compagnon d’Isabelle, qui déteste sa fille au point de vouloir sa mort (notre article du 24 février ici), fait un raffut du diable parce que « ça fait cinq heures qu’on poireaute ». Lui et la mère indigne. Qu’importe l’adolescente battue qui patiente à trois mètres.

« Vous l’avez laissé pour mort parce qu’il a blessé votre fierté ? »

 Ainsi va le rythme judiciaire, jeudi 23 février, à l’audience que préside un juge unique. Depuis la loi du 29 décembre 1972 qui l’a institué en matière pénale, originellement limitée à des infractions simples et sans gravité, elle a été maintes fois modifiée et élargie aux contentieux passibles de cinq ans de prison, dans un contexte d’insuffisance chronique de magistrats. À Meaux, comme dans chaque juridiction surchargée, la collégialité n’est plus prioritairement imposée. La présidente Lamouroux se retrouve donc seule à statuer sur des dossiers de nature très diverse.

D’abord les violences que Hayat et Mogeeb se sont infligées devant leur enfant en octobre 2021 et août 2022. Faire la part des choses n’est pas aisé ; la femme est relaxée, son conjoint condamné à six mois de sursis. Il repart purger son autre peine. Évacuée en salle des pas perdus, la fillette appelle « papa » en pleurant.

Roy et Brahima gagnent la barre, bras ballants. Ils reconnaissent les faits – du bout des lèvres : le premier a « vrillé quand on a insulté [sa] mère », le second, porteur d’un bracelet électronique depuis sa sortie de prison trois jours auparavant, explique que Mehdi, un lycéen de 18 ans, l’aurait « mal regardé ». D’où le déchaînement de violence, à cinq contre deux, dans une galerie marchande à Chelles, le 16 septembre 2022.

Mehdi s’est évanoui sous les coups de pied. Dents cassées, fracture du nez, traumatisme crânien, effets personnels volés. Deux semaines d’incapacité de travail. La procureure Léa Dreyfus, indignée : « Vous l’avez laissé pour mort parce qu’il a blessé votre fierté ? ». Marmonnements, vague réponse, débuts de dénégation : « La vidéosurveillance du magasin Carrefour vous a filmés ! »

« Excusez-moi, j’ai dit “nègre”, pas “négro” »

 Les deux prévenus se défendent sans avocat. Roy, condamné à 14 mois de sursis pour trafic de drogue et conduite sans permis, prend les choses avec légèreté. Depuis octobre, il a pointé deux fois au commissariat où il devrait se présenter tous les sept jours. « Savez-vous qu’on peut révoquer le sursis ? », interroge la représentante du parquet. « Mouais », répond-il.

Brahima, moins fiérot à cause du bracelet à la cheville et des trois sanctions à son casier judiciaire (dont une pour vol aggravé), a été libéré lundi et ne veut pas retourner derrière les barreaux : « Ma place n’est pas là-bas », dit le lycéen qui veut passer son baccalauréat. Mehdi, victime, ne suit plus sa terminale. Ses blessures et son traumatisme ont provoqué une poussée de sa sclérose en plaques. Il réclame des dommages pour son préjudice, leur montant sera fixé après consolidation en janvier 2024. Roy et Brahima sont condamnés à neuf et dix mois de sursis probatoire de deux ans. Ils devront travailler, indemniser Mehdi, ne plus l’approcher.

Martine, elle, est prévenue d’outrage envers un policier municipal à Torcy le 9 août 2022, et de menace envers une voisine dont la voiture était garée trop près de la sienne. Une « histoire de cornecul » qui a dégénéré quand l’irascible dame de 64 ans s’est muée en ignoble raciste. « Négro, mets tes lunettes, tu verras qu’elle est mal garée », a-t-elle vociféré avant d’ajouter ne pas parler aux Noirs. L’agent municipal a encaissé, non sans par la suite déposer plainte.

« Excusez-moi, j’ai dit “nègre”, pas “négro” », riposte Martine, aphone. Sa fille répète. Si aux États-Unis le “n-word” est tabou, imprononçable, « chez moi, je dis ce que je veux », précise-t-elle. Martine l’a employé à l’encontre de l’élégante femme noire au véhicule un peu en biais, qui témoigne : « Il y avait ma fille de 7 ans dans l’habitacle. Elle m’a dit : “Sale nègre, pute, pétasse, je vais te planter.” Elle avait un couteau à la main. » L’enfant, très choquée, a confirmé devant les policiers.

Martine soutient être la cible de « racisme antiblanche » puis, à l’évidence épuisée, tremblante, elle avoue : « J’ai été un peu lourde, j’étais en colère. Mais faut comprendre, aussi : je suis née en 1958 et, à l’époque, on achetait et mangeait des têtes de nègre… Maintenant, on peut plus rien dire ! »

Pour l’outrage, les menaces et « des propos racistes, inadmissibles », sont requis cinq mois de sursis simple, un stage de citoyenneté. La juge unique suit le ministère public et octroie 300 € de dommages et intérêts. Martine rouspète, attrape le bras de sa fille, s’en va sans un mot d’excuse envers la conductrice victime de sa couleur de peau…

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