Tribunal de Melun : le nouveau procureur JM. Bourlès souhaite créer « un électrochoc »
Arrivé le 6 février 2023 à Melun (Seine-et-Marne), le nouveau procureur de la République n’a été officiellement installé que le 11 avril. Entre ces dates, Jean-Michel Bourlès a été soumis à un rythme soutenu, surtout en raison de l’accident qu’a causé Pierre Palmade. Depuis, confronté à « des faits d’une rare violence », l’ex-magistrat du parquet antiterroriste veut y répondre par la fermeté et la rapidité.
Le décret du président de la République a été signé le 24 janvier 2023, soit 17 jours après son anniversaire. Jean-Michel Bourlès venait de fêter ses 54 ans lorsqu’il a pris ses fonctions, le 6 février, à la tête du parquet de Melun, qui compte 13 magistrats. Ce même lundi, il assistait à la rentrée solennelle du tribunal administratif de la troisième ville de Seine-et-Marne dont il ne savait presque rien. Il pensait arriver dans un secteur « tranquille » : « Oui, j’avais le sentiment que c’était plus un département de province que d’Île-de-France, nous confirme-t-il en riant. Je me suis trompé. »
Exerçant depuis près de quatre ans au parquet national antiterroriste (voir notre encadré), Jean-Michel Bourlès espérait avoir le temps de prendre ses marques. Puis l’accident est survenu, le 10 février vers 18 h 45, sur une route de Villiers-en-Bière. Alors, dans la soirée, le procureur qui achevait à peine le tour du palais a écrit le premier d’une longue série de communiqués de presse.
Le drame causé par Pierre Palmade, blessé comme trois autres personnes, dont un enfant et une jeune femme qui a perdu le bébé qu’elle attendait, a déclenché une tempête médiatique, mêlant fausses informations, violation du secret de l’enquête, rumeurs nauséabondes. Contraint de multiplier les mises au point, les démentis, le chef du parquet est parvenu à ramener le calme. Les investigations se poursuivent aujourd’hui dans la sérénité.
Vigilance dans les EHPAD, partenariat avec les élus
À l’audience solennelle d’installation, mardi 11 avril, la présidente Marie-Bénédicte Maizy a d’ailleurs rappelé que son arrivée à Melun n’était « pas passée inaperçue ». Référence à Pierre Palmade, bien sûr, mais aussi à une actualité judiciaire chargée dans le ressort de leur tribunal. À proximité, la veille, un homme de 31 ans avait été tué à coups de couteau. Un mois plus tôt, une femme de 53 ans mourait poignardée par son conjoint, qui s’était ensuite défenestré du 8e étage de leur HLM. Sans compter tous les délits du quotidien impliquant des dealers, des mineurs en déshérence, révélant des rixes entre bandes et de multiples agressions.
Parmi les axes prioritaires de sa politique pénale, Jean-Michel Bourlès cite « les violences aux personnes, au sens large du terme. Je pense notamment à celles exercées contre les plus vulnérables qui ne sont pas assez prises en compte. Par exemple, je souhaite qu’on s’intéresse mieux à ce qui se passe dans les EHPAD (NDLR : Établissement d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes) ». Les violences intrafamiliales le préoccupent autant, surtout lorsqu’elles ciblent, directement ou par ricochet, de jeunes enfants. Il a vu passer en deux mois « un nombre d’affaires hallucinant » de ce type, citant le cas d’une femme récemment « battue avec une barre de fer ».
Autre ligne directrice de son action, « nouer un partenariat avec les élus ». Considérant à raison qu’ils sont « les premiers réceptacles des plaintes », il entend « travailler avec eux. Si, dans un village, trois types font du rodéo à moto tous les soirs, y mettre un terme a un impact sur la population qui en est victime ». Une idée loin d’être anecdotique.
« En moyenne, 500 clients par jour » sur certains points de deal
Jean-Michel Bourlès entend aussi s’attaquer fermement au fléau des ventes de stupéfiants. « Ces trafics alimentent une économie parallèle, surtout en Seine-et-Marne. Les policiers m’ont signalé qu’en moyenne, 500 clients par jour s’approvisionnent dans certains quartiers. C’est intolérable. Aussi, j’ai recommandé que l’on tape les trafiquants au portefeuille : il faut saisir leur argent, leur voiture, pourquoi pas leur appartement, confier tout ce qu’ils possèdent à l’AGRASC », l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Bien entendu, il privilégie toujours des mesures socio-éducatives pour les consommateurs.
Autres cibles du procureur, « les vendeurs à la sauvette de tabac frelaté à la sortie de la gare ». À quatre ou cinq, chaque jour, ils mettent en danger la santé des acheteurs « et provoquent de graves nuisances. J’ai obtenu le renfort d’un escadron de gendarmes mobiles, les contrôles sont désormais quotidiens, on enregistre une baisse de fréquentation significative, le lieu est plus sécurisé ». Des opérations sont aussi menées dans le RER et à quai. Le parvis de la gare, pourtant face au tribunal, est un repaire de voyous de tout poil.
« Je suis un adepte des comparutions immédiates »
« La réponse pénale systématique dans un délai rapide quand l’auteur est identifié » est un autre volet du travail auquel s’astreindra le procureur, et ce « dans l’intérêt du prévenu autant que de la victime ». En 2022, 36 345 plaintes ont été enregistrées dans sa juridiction ; 68 % ont été réglées par ordonnance pénale. « Les alternatives au jugement en correctionnelle, comme la CRPC (NDLR : comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) sont ici bien rodées mais on peut encore monter en puissance. Si les faits sont graves, je suis un adepte des comparutions immédiates. C’est la seule façon de stopper les délinquants, en créant un électrochoc », précise Monsieur Bourlès qui prononce plusieurs fois le mot « fermeté ». Il est toutefois conscient que les chambres sont limitées et son équipe de parquetiers, très sollicitée. Sans compter que les magistrats du siège sont appelés à juger à la cour criminelle départementale qui a ouvert le 11 avril la première de ses quatre sessions annuelles. Une partie des 42 affaires éligibles de Fontainebleau, Meaux, Melun, sera examinée en 2023.
Enfin, lors de son installation, Jean-Michel Bourlès a exprimé son intention – « ferme » – de réduire la délinquance des mineurs, « parfois gratuite ». Les mesures éducatives restent favorisées, il faut juste « les faire exécuter rapidement ». Son parquet ne fera pas preuve « d’angélisme » envers les jeunes récidivistes. Il va renforcer les liens avec la Protection judiciaire de la jeunesse, l’aide sociale à l’enfance, les associations dédiées aux victimes, l’Éducation nationale. Il résume ainsi son discours : « Je veux une justice efficace, innovante, ouverte sur l’extérieur. » Nul doute qu’il y parviendra.
Jean-Michel Bourlès, un magistrat rompu aux tragédies
Ne pas s’y tromper : l’homme est souriant, accessible, aimable. Cependant, il sait hausser le ton s’il a affaire à des malotrus. À son corps défendant, il en a « croisé » quelques-uns depuis l’ouverture du « dossier Palmade ». Sa force de caractère lui a permis de maîtriser la presse. Jean-Michel Bourlès a vu pire.
À sa sortie de l’École nationale de la magistrature en 1996, cet Essonnien est nommé « chez lui » au parquet d’Évry, en charge des mineurs. En 2001, il rejoint la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) placée sous l’autorité de Marylise Lebranchu, garde des Sceaux. Il est affecté à la politique pénale des mineurs, puis est désigné chef du bureau de la police judiciaire.
En 2005, il est promu adjoint à la section antiterroriste du parquet de Paris, le parquet national antiterroriste (PNAT) n’a pas encore été créé. Deux ans plus tard, Rachida Dati, ministre de la Justice, l’appelle à la Chancellerie et lui confie la réforme de la carte judiciaire. En 2009, il s’installe au Maroc : magistrat de liaison, il veille à l’entraide, facilite les échanges. Le 28 avril 2011, il est rattrapé par le terrorisme. Une bombe dévaste le café Argana, place Jemaa el-Fna à Marrakech. On dénombre 17 morts, dont 8 Français, 20 blessés. Jean-Michel Bourlès prend en charge les victimes, les familles, assure la liaison entre les enquêteurs et les magistrats des deux côtés de la Méditerranée.
Le retour en France, en 2013, marque aussi un retour aux sources : Évry, à nouveau, en qualité de 1ervice-procureur. Il renoue avec la criminalité de droit commun. Six ans s’écoulent, et il rejoint cette fois le PNAT en qualité de procureur adjoint auprès du patron, Jean-François Ricard. Un collègue longtemps juge antiterroriste, qu’il a connu lorsque lui-même exerçait à la « C1 » du parquet de Paris. M. Bourlès se plonge dès lors dans les ténèbres de l’âme humaine : avec une, puis deux avocates générales, il va soutenir l’accusation aux procès des attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher, de la promenade des Anglais à Nice. Avant d’arriver à Melun, il travaillait sur les crimes de guerre en Ukraine.
Référence : AJU362424