Tribunal de Pontoise : « Aujourd’hui, même si on n’a rien fait, c’est le casier qui parle »

Publié le 22/11/2023

Les deux jeunes prévenus comparaissent pour avoir racketté le portable d’un adolescent. Malgré les nombreux éléments qui pèsent contre eux, ils persistent à nier devant le tribunal.

Tribunal de Pontoise : « Aujourd’hui, même si on n’a rien fait, c’est le casier qui parle »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Suraj marche dans une rue de Deuil-la-Barre, quand deux types l’abordent. Suraj a 17 ans, Rahim et Abdoulaye en ont 22. Ils lui demandent son téléphone pour « appeler un ami ». Suraj sent le coup fourré, et prétexte ne plus avoir de batterie, alors Abdoulaye sort un cutter et Rahim lui demande son téléphone. Suraj donne son iPhone 13 à Rahim.

Il raconte tout cela le 27 septembre à 10 h 25, juste après les faits, au commissariat d’Enghien-les-Bains, où il est allé porter plainte. Les policiers activent la localisation de l’iPhone, qui se dirige tranquillement vers Saint-Denis. Ils se mettent en route.

En arrivant dans la rue où le téléphone se trouve, les policiers et Suraj aperçoivent deux hommes qui correspondent exactement à la description faite par le jeune homme : l’un est de corpulence mince, l’autre forte. Le « mince » quand il voit les policiers se baisse et semble cacher un objet sous la voiture dont ils viennent de sortir. Sur ces entre-faits, ils sont interpellés.

Géolocalisation et identification

Dans la poche du « gros » (Abdoulaye) ils trouvent la clef de la voiture, et dans la voiture un cutter que la victime reconnait. Sous la voiture, le téléphone de Suraj. La victime porte plainte. Il dit que seul le « mince » (Rahim) lui a parlé. C’est lui qui lui a pris le téléphone et extorqué son code de déverrouillage.

Deux jours plus tard, « Mince » et « Gros », Rahim et Abdoulaye, sont dans le box des comparutions immédiates de Pontoise, face à une présidente qui leur demande : « Qu’est-ce que vous en dites aujourd’hui ?

Abdoulaye : « Je n’ai pas commis ces faits. » Rahim : « Je n’ai rien commis. » La présidente leur rappelle qu’ils ont été reconnus, qu’ils ont borné avec le téléphone de la victime, de Deuil-la-Barre à Saint-Denis, et qu’on a trouvé le téléphone sous la voiture dont ils sortaient, ainsi que le cutter dans la voiture.

« Troisième individu »

L’un des deux dit : « On était en voiture et on se rendait à Saint-Denis, on était de passage à Deuil-la-Barre. » Ils ajoutent qu’ils étaient avec un « troisième individu » qu’ils ont déposé peu avant d’arriver à Saint-Denis. La présidente est dubitative.

« Pourquoi la victime vous désigne tous les deux, et pourquoi il ne parle pas d’un 3e individu ?

— Justement je ne comprends pas, en plus je n’ai jamais de cutter sur moi », répond Abdoulaye.

— Pourquoi se baisser ?

— J’ai senti des voitures de police vers nous j’ai voulu me cacher

— Mais pourquoi, si vous n’avez rien fait ?

— Parce qu’aujourd’hui même si on n’a rien fait c’est le casier qui parle », répond Rahim, fataliste.

La procureure : « Par quelle coïncidence retrouve-t-on le téléphone avec vous, alors que c’est un troisième qui est censé l’avoir volé ? »

Elle ajoute : « Ce troisième. On ne le voit nulle part à part dans votre témoignage, pourquoi la victime donnerait votre description et ne parlerait pas d’une troisième personne ?

— Je me pose les mêmes questions madame », répond l’un des prévenus avec beaucoup d’aplomb.

Court silence. Les deux lancent des questions, comme s’ils cherchaient à comprendre eux-aussi. Comme si tout le monde était là pour résoudre un mystère. Puis, Abdoulaye conclut : « Vraiment, moi, je ne comprends pas. »

« C’est un bébé parloir ? »

La présidente « fait » leur casier. Celui d’Abdoulaye est vierge, celui de Rahim comporte neuf mentions (dont des extorsions avec violence). « Trois sursis probatoires, tous les trois révoqués. Les derniers faits datent de 2020, pendant trois ans, pas d’infraction. Comment vous expliquez que vous vous êtes bien tenu ? Ah, quoi que ! Vous ne nous avez pas tout dit. Le 25 mars 2022…

— Oui, j’ai été condamné en 2022.

— Pour … je ne vous fais pas de dessin, extorsion avec violences…

— Oui, mais je n’étais pas tout seul.

— ….à quinze mois de prison avec mandat de dépôt, quand même. »

Il est sorti en mars 2023, et travaille actuellement en tant que préparateur de commande. « Autre chose à dire sur votre situation ?

— Eh bien là, je vais avoir un enfant dans un mois.

— C’est votre enfant ?

— Euh, oui, bien sûr.

— C’est un bébé parloir ?

— Pardon ?

— Eh bien, vous êtes sorti en mars.

— Ah oui, je vois ce que vous voulez dire, mais pourquoi vous me posez ces questions ?

— Eh bien, c’est pour mieux vous connaître. »

« Et si ces deux jeunes disaient la vérité ? »

La procureure ne fait pas de détail. Elle considère que leur version est « fantaisiste » et demande douze mois avec sursis contre Abdoulaye, dix-huit mois ferme contre Rahim.

Leur avocat plaide la relaxe en posant des questions, pour semer le doute dans l’esprit des magistrats : « Et si ces deux jeunes disaient la vérité ? Quel intérêt de sortir un cutter ? Et pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas de troisième personne ? »

Suspension, reprise, décision : huit mois avec sursis pour Abdoulaye, neuf mois ferme avec mandat de dépôt pour Rahim, surpris, qui lance la présidente : « Eh, c’est passé de dix-huit mois à neuf ? C’est carré.

— Hein ?

— C’est bien !

— Eh bien l’essentiel c’est que vous soyez content. »

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