Tribunal de Pontoise : « Il y a un droit au silence et même un droit de dire des bêtises. »

Publié le 20/01/2023

Deux hommes sont interpellés dans une maison en pleine nuit, des sacs remplis d’objets volés à leurs pieds. Malgré l’évidence, ils nient être les auteurs des faits et tentent de mettre en place un récit alternatif.

Tribunal de Pontoise : « Il y a un droit au silence et même un droit de dire des bêtises. »
Palais de justice de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Tamaza, 39 ans, géorgien, a l’air malade. Il l’est : séropositif. Pour cette raison, il a quitté la Biélorussie où il résidait avec sa femme afin d’être soigné. Il est arrivé en France à la fin de l’hiver 2022. Sous trithérapie et Subutex, Tamaza est SDF et donne comme adresse celle d’Emmaüs.

Son compatriote Zviad, 43 ans, petit, efflanqué n’a pas bonne mine sous la frange un peu trop longue qui vient caresser un os de nez prononcé. Lui est atteint d’une hépatite B. Après un séjour en France il y a quelques années, il est reparti, puis revenu il y a à peine 3 mois. Grâce au 115, il est logé sur un terrain à Mantes-la-Jolie (78). Ses voisins et compagnons sont des réfugiés ukrainiens.

Vendredi 20 janvier, les deux hommes sont dans le box des comparutions immédiates de Pontoise. Un peu plus de 24 heures avant, ils se trouvaient au domicile de Martine et Jean-Paul, à Méry-sur-Oise.

Ce soir-là, le couple est en vacances en Bretagne avec ses petits-enfants. À 2 h 31 du matin, Martine est réveillée par l’application de son smartphone qui la relie à l’alarme de sa maison : une intrusion est en cours. Sur son écran, elle voit deux hommes dissimulés sous des bonnets et des masques chirurgicaux qui fouillent sa maison. Elle suit tout en direct.

« Mains sur la tête, au sol ! »

À 3 heures du matin, les gendarmes du PSIG (peloton de surveillance et d’intervention de gendarmerie) interviennent dans ce pavillon où une alarme a hurlé avant de se taire, définitivement. Elle a été détruite. Ils remarquent un volet abîmé, une porte dégradée, une fenêtre cassée. Au rez-de-chaussée, deux hommes sont pris dans le faisceau de leur lampe. « Mains sur la tête, au sol ! » Sommations de rigueur. Les deux restent de marbre. Les gendarmes sortent les tasers.

À leurs pieds, deux sacs – un bleu, un gris – « contenant un certain nombre d’objets qui ne vous appartiennent pas », rapporte la présidente. Un Macbook pro, deux bagues dorées, un parfum et un gel douche, un iPod, un rasoir électrique, un porte-cartes, des montres sans grande valeur pécuniaire. Les meubles déplacés et les tiroirs ouverts témoignent que la maison a été fouillée.

Les deux Géorgiens ne parlent pas français. Par l’intermédiaire d’une interprète qui fait ce qu’elle peut, ils cherchent à se dédouaner, mais ont du mal à présenter un récit cohérent. La présidente à Tamaza

« — Pourquoi vous êtes venu dans cette maison ? interroge la présidente en s’adressant à Tamaza.

— On passait par là, on a entendu un bruit d’alarme, on a suivi le bruit et on s’est retrouvés dans la maison.

— En principe on prévient la police ou on s’en va quand on entend une alarme.

— Quand l’alarme s’est arrêtée, c’est à ce moment que je suis entré.

— Pourquoi ?

— Je voulais dormir.

— Vous vouliez voler aussi ce qu’il y avait dedans ?

— Je n’avais pas prémédité.

— Mais vous avez commencé à fouiller après y être rentré ?

— Non, dès que je suis entré les gendarmes sont arrivés et ensuite je ne me souviens plus.

— Qu’est-ce que vous faisiez à 3 heures du matin dans le quartier ?

— J’avais rendez-vous pour voir une voiture à acheter ».

Tamaza explique qu’ils voulaient s’y rendre en train mais les gares étant fermées, ils ont marché. Zviad confirme. Il interrompt souvent son co-prévenu pour apporter des détails, la présidente lui enjoint d’attendre son tour. Discrètement, il continue. Un gendarme le voit, le déplace dans le fond du box, et se place entre les deux. La présidente demande : « Monsieur ne se sent pas bien ? » Le gendarme : « C’est pour éviter qu’ils communiquent. »

« Il y a du sang, ils ont des maladies, il faut tout désinfecter »

Martine et Jean-Paul se sont constitués partie civile. Assis au premier rang ils se font discrets et laissent leur avocate porter parler en leur nom. « Est-ce que l’un d’entre vous sait ce que ça fait d’être sur son lieu de vacances et de se faire réveiller en pleine nuit par votre alarme ? C’est ça qu’on a vécu, une intrusion. Puis la Gendarmerie vous appelle et vous dit qu’il faut rentrer. Des démarches à faire. Il fait froid, on est obligés de se barricader, on se demandant qui sont ces individus ? Tout l’étage a été retourné, tout a été mis par terre. On saccage. » Le traumatisme est palpable. Et la peur, le danger : « Il y a du sang, ils ont des maladies, il faut tout désinfecter et aller chez le pressing ». Et enfin : « Le préjudice est énorme, c’est souvent assimilé à un viol, on entre dans l’intimité des gens. Il y a des âmes qui vivent entre ces murs. » Elle demande 2 000 euros de provision et un renvoi sur intérêts civils.

« On peut comprendre qu’ils essaient de se dépatouiller du pétrin dans lequel ils se sont eux-mêmes mis, analyse le magistrat du parquet, pour autant il y a des situations dans lesquelles il vaut mieux reconnaître. Ils sont pris la main dans le pot de confiture ». Il requiert 6 mois de prison avec maintien en détention.

« Je rappellerai par principe qu’il y a un droit au silence et même un droit de dire des bêtises » plaide leur avocat. Il n’y a pas grand-chose à dire, si quand même : le sang retrouvé à terre, celui de Tamaza, est consécutif à sa chute, elle-même causée par les coups de taser. Il demande « une application indulgente de la loi pénale. »

À 18 h 30, la décision tombe : cinq mois de prison avec maintien en détention et quatre ans d’interdiction de territoire.

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