Tribunal de Pontoise : « J’ai des bombes, je les amène chez toi et je fais ratatata »

Publié le 08/11/2023

Le 5 septembre, le tribunal correctionnel de Pontoise juge un homme de 58 ans pour des violences et un harcèlement commis à l’encontre de sa maîtresse. Elle est présente à l’audience, tout comme l’épouse du prévenu qui le soutient.

Tribunal de Pontoise : « J’ai des bombes, je les amène chez toi et je fais ratatata »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Manuel, solide quinquagénaire à la mâchoire carrée, teint rougeaud et crinière gominée, comparaît libre pour violences et harcèlement contre sa maîtresse ; assise sur le banc des parties civiles, elle paraît anxieuse. Au contraire de Manuel, dont l’épouse, qui l’accompagne, lui frotte affectueusement le bas du dos. Chemise rouge et pouce dans les poches du jean, l’ homme râblé s’approche de la barre, pour écouter la présidente résumer l’affaire qui l’a conduit ici.

Le 2 avril 2022, Monica se rend à la gendarmerie pour dénoncer des faits qui s’étalent sur plusieurs années. Son amant est jaloux et menaçant, il la suit sur son lieu de travail, appelle ses collègues, l’insulte régulièrement. Il contrôle même son téléphone et son courrier et lui envoie jusqu’à 120 messages par jour. Dans une vidéo envoyée par WhatsApp, Manuel prévient : « J’ai des bombes, je les amène chez toi et je fais ratatata ». Ces faits sont confirmés par la nièce et les collègues de Monica. Durant le confinement, en mars 2020, elle a découvert un boitier enregistreur à côté de son lit. Il a aussi fait faire un double de ses clefs sans son accord, et s’est rendu chez elle en son absence. Elle évoque un épisode de violences physiques.

La femme qui épaule Manuel ce jour est son épouse depuis 1986. Elle savait pour la maitresse, dit de son mari qu’il n’a jamais été violent ou agressif, au contraire de Monica qu’elle qualifie de « folle et agressive » et accuse d’essayer « à tout prix de détruire leur mariage ».

« J’enregistre tout en permanence »

La présidente fixe Manuel, qui tapote ses doigts sur le haut de ses cuisses. Elle balaye par une première salve de questions tous les faits qui sont reprochés au prévenu.

« — Elle dit que vous vous êtes montré jaloux, possessif, que vous cherchiez à la contrôler, vous en dites quoi ?

— C’est faux, elle faisait ce qu’elle voulait.

— Est-ce que vous surveilliez ses allées et venues ?

— Non pas du tout.

— Vous êtes allé à son travail ?

— Deux fois seulement.

— Vous vous voyiez souvent ?

— Presque tous les jours, chez elle, et presque toutes les nuits.

— On peut dire que vous viviez quasiment ensemble. Il y avait des disputes ?

— Non.

— Comment vous expliquez les témoignages, disant que vous êtes jaloux, que vous la surveillez ?

— Elle voulait faire savoir que j’étais avec elle.

— Et l’enregistreur dans sa chambre près de son lit ?

— Ils sont tombés de ma poche.

— Pourquoi avoir des enregistreurs ?

— J’enregistre tout en permanence.

— Pourquoi vous avez ça ? Vous avez des problèmes de mémoire ?

— Des fois. Depuis que je suis malade.

— C’est quoi comme maladie ?

— J’ai des problèmes cardio-vasculaire. »

Il ajoute qu’il n’est jamais venu chez elle en son absence ou contre son gré.

« Vous aviez déjà été violent ? »

« —Pourquoi vous envoyez ces messages ?

— Elle m’a insulté aussi. C’est venu comme ça.

— C’était régulier ?

— C’est arrivé une fois.

— Vous aviez déjà été violent ?

— Non, jamais, c’est le contraire !

— Et cette scène au restaurant ?

— Il ne s’est rien passé du tout.

En fait, c’était après un dîner au restaurant, en décembre 2021. Elle l’accuse de l’avoir attrapée par le cou, alors qu’ils étaient en voiture. La présidente répète :

« — Elle dit que vous l’avez tenue par le cou.

— On était dans le camion, on démarre au feu rouge, elle dit qu’elle veut se jeter sur la route et elle ouvre la porte. »

Voulant la rattraper, il l’a prise par le cou, mais c’était pour la sauver, dit-il. La présidente ne comprend pas la raison, Manuel glisse alors :

« — Je ne sais pas. Pour me faire du tort.

— Si elle sort du camion en route, c’est plutôt à elle que ça va causer du tort. »

« Parfois il devient une autre personne »

Puis il attaque Monica sur ses problèmes d’alcool (6 -7 bières quotidiennes et 3 – 4 verres de vin, presque tous les jours). La présidente fait venir la partie civile à la barre pour l’interroger à ce sujet.

« — De temps en temps je bois, mais pas tous les jours.

— Est-ce que vous souhaitez revenir sur certains points ?

— Il a deux côtés, un côté bien, et parfois il devient une autre personne. Il veut toujours savoir où je suis et ce que je fais.

— Les insultes qui sont dans une vidéo, est-ce que c’est la seule fois ?

— Non, c’est arrivé plusieurs fois.

— Psychologiquement, comment allez-vous ?

— ça va. »

Manuel a enfreint son contrôle judiciaire en fréquentant Monica. Elle concède qu’ils se sont vus tout autant à sa demande qu’à celle de Manuel.

L’avocat du prévenu, ancien bâtonnier de Versailles, aborde la plaignante, plutôt belliqueux.

« — Est-ce que vous avez eu des relations charnelles depuis la procédure ? Est-ce que vous avez couché avec lui ?

— Oui.

— Combien ? 5 – 6 fois ?

— 4 fois.

— Est-ce que vous êtes venue au domicile de monsieur au mois de mars 2023 pour demander de l’argent en échange d’un retrait de plainte ?

— Non, ce n’est pas vrai.

— La trace dans le cou. Est-ce que vous avez pris une photo ?

— Oui, mais il m’a pris mon téléphone et a effacé la photo.

— Vous avez vu un médecin ?

— Non.

— Moi si j’ai une trace de strangulation, je vais voir un médecin. »

L’avocat fulmine, assez théâtral, prenant les juges à témoin. « Est-ce que je me trompe si je dis que vous avez porté plainte car il ne voulait pas faire sa vie avec vous ? »

« Je n’aimerais pas être à votre place ! »

Manuel ne voulant pas quitter sa femme, la démarche de Monica ne serait motivée que par la vengeance. C’est la thèse défendue par la défense (l’épouse de Manuel opine frénétiquement).

La procureure déroule les faits, pointe les contradictions, et demande huit mois de prison avec sursis probatoire pendant deux ans, incluant des soins psychologiques, une interdiction de contact et de paraître à son domicile et sur son lieu de travail.

Toujours aussi emphatique, l’avocat proclame : « vous avez un drôle de dossier à juger et je n’aimerais pas être à votre place ! » Il tonne, interpelle le parquet : « Qu’est-ce qui vous permet de considérer que celui-ci a serré le cou de madame ? » Il dénonce des témoignages de complaisance, et minimise le harcèlement, qui n’est en réalité, selon lui, qu’un échange d’insultes. Il demande la relaxe au bénéfice du doute, mais ne l’obtiendra pas : dix mois avec sursis probatoire pour Manuel, qui repart avec sa femme et sa condamnation.

 

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