Tribunal de Pontoise : « On est blindés de chez blindés en ce moment »
L’audience à juge unique est toujours pleine à craquer, d’affaires et de monde. À chaque début d’audience, il faut renvoyer plusieurs dossiers avant de commencer à juger au fond. Cela ne fait pas que des heureux.
Tribunal correctionnel de Pontoise, 18 septembre, la salle n°5 déborde. Les avocats s’entassent dans un coin, debout, attendant de connaître le sort qui sera fait à leur dossier. Renvoi d’office pour surcharge du rôle, affaire pas en état d’être jugée, demande de la partie adverse ? Plus de quinze dossiers sont au rôle, ce qui est beaucoup trop pour une seule journée. Certains ne se font pas d’illusions : ils savent qu’ils vont repartir avec une nouvelle date de convocation.
La magistrate est nouvelle à ce poste. « Comme on a la cour d’assises et la cour criminelle qui siègent en même temps, nous sommes obligés de faire sans huissier », fait-elle remarquer en déplaçant des dossiers. Mine de rien, ça désorganise ce type d’audience où la juge est seule avec le fidèle greffier.
Le premier motif de renvoi est bassement technique : le prévenu, détenu, devait être jugé en visioconférence. Or, « comme vous pouvez le constater », la salle n°5 est dépourvue d’écran permettant de réaliser cette visio. Renvoi en novembre 2025.
« Pour Madame, c’est difficile à avaler »
Le deuxième prévenu s’approche de la barre : Abdel, 38 ans, chemise blanche rentrée dans le pantalon, porte de grandes lunettes à monture dorée, exactement comme son ex-conjointe, partie civile au dossier qui se tient à deux pas du prévenu. Il aimerait bien être jugé, elle aimerait aussi. « Impossible », dit la présidente, navrée. Les faits de menaces de mort par écrit et harcèlement, requièrent une formation collégiale. « Pour madame, c’est difficile à avaler », fait remarquer son avocat, amer. « Je constate que votre formation est incompétente », tranche le procureur, lucide. La présidente se retire seule pour faire semblant de réfléchir, revient et cherche une date. Silence. Elle est un peu gênée : ce sera le 19 juin 2025. Le prévenu secoue la tête de dépit. Alors qu’un avocat rouspétait, la juge fait remarquer : « C’est tellement pris que si on cherche les journées d’audience avec un calendrier vierge, ça nous amène à 2026. »
Le suivant, Ali, aurait commis des violences sur ses enfants. Ce sont de jeunes adolescents qui remuent sur un banc au fond de la salle ; leur mère en cajole un et réprimande le plus turbulent. Ali n’est pas là. La mère entend sa nouvelle date et s’extirpe de la salle (il faut pour cela passer par-dessus des genoux et demander pardon à toute une rangée, ça fait du grabuge).
« On n’est pas chez le coiffeur »
Dossier suivant : c’est un renvoi sur intérêt civil, c’est-à-dire que les prévenus ont déjà été condamnés au pénal et que l’on va désormais s’occuper des indemnisations. L’un des deux est mort il y a un an, et l’autre est absent, comme la victime. Seul son avocat, ou plutôt l’avocat qui substitue son avocat, est présent, pour demander une mesure d’expertise (et donc un nouveau renvoi). On convient que ce dossier pourra passer après. L’avocat propose : « J’ai un autre dossier, on peut le prendre ? Je vous le dis tout de suite, je m’oppose à la demande de renvoi. »
La présidente sourit et appelle : « Monsieur Farid H. ? » Personne. Un avocat prévient : « Ils sont partis à la machine à boisson.
— Oui, eh bien on ne part pas à la machine quand on est attendus devant le tribunal, on n’est pas chez le coiffeur », s’agace-t-elle.
Farid a 19 ans et aurait commis des violences sur une jeune fille, à qui Laetitia, 41 ans, aurait dit : « vous avez ouvert le crâne de ma fille, je vais vous ouvrir le vôtre, j’ai des couteaux, je vous tranche la gorge ». Maci, 42 ans, aurait tout simplement dit : « Je vais vous tuer », en brandissant une arme à feu. Laetitia et Maci sont les parents de Farid. Ils demandent tous un renvoi. « Expliquez-vous », ordonne la présidente.
Maci : « Je voudrais changer d’avocat pour prendre l’avocate qui s’occupe du cas de mes deux enfants mineurs.
— Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
— On l’a nommée tardivement, et elle n’était pas disponible aujourd’hui. » Il ajoute : « On espérait que la partie adverse reconnaitrait la vérité, parce que cette affaire-là est un tissu de mensonges d’adolescents. Pour nous cette histoire est assez limpide, mais bon… »
« Il n’a pas besoin d’un avocat ! »
Il se trouve qu’il y a un versant « mineur » dans cette affaire, qui doit être jugé le 1er octobre, et Maci pense que ce ne serait pas mal d’attendre cette audience, qui pourrait éclairer la leur. « J’estime que la demande est dilatoire. On n’attend pas le dernier moment pour saisir un avocat », commente un avocat de partie civile.
Le procureur se lève : « C’est compliqué de la part du ministère public de demander à retenir un dossier quand il n’y a pas de défenseur. » Il estime que ce dossier part d’un différend entre mineurs et qu’il serait intéressant d’avoir les éléments qui vont ressortir de l’audience devant le tribunal pour enfant « pour juger ces personnes-là ».
Le père s’exprime en dernier et commence à plaider le fond du dossier. L’avocat de la partie civile, acide, remarque : « il se défend très bien, il n’a pas besoin d’un avocat ! » Le dossier est renvoyé au 19 novembre 2025. L’avocat de la partie civile s’étrangle : « 25 ! » La juge le regarde comme s’il débarquait de la Lune. « Ah bah oui, on est blindés de chez blindés en ce moment. On n’est pas encore à Nanterre ou à Paris, mais ça ne va pas tarder ». C’est l’heure d’aborder les dossiers au fond.
Référence : AJU471070