Tribunal d’Évry : « C’est vraiment n’importe quoi aujourd’hui ! »

Publié le 02/05/2025 à 9h00

Le déroulé d’une audience est semé d’embûches procédurales, de contraintes matérielles et d’imprévus divers, qui s’ajoutent à la surcharge chronique des affaires à juger. Exemple éloquent lors de l’audience de la 7e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry.

Tribunal d’Évry : « C’est vraiment n’importe quoi aujourd’hui ! »
La salle des pas perdus du tribunal judiciaire d’Évry (Photo : ©I. Horlans)

Une mélodie stridule dans la salle assoupie et, au centre de l’écran bleu de la salle pénale n°2, s’affiche « DAP-CP-FRESNES-PARLOIR ». Le centre pénitentiaire de Fresnes, 14h pétante, honore son rendez-vous en visioconférence. La greffière décroche et annonce à l’homme à l’écran, assis à la table les mains posées à plat, que l’audience de 13 h 30 n’a pas encore débuté.

Un cafouillage dans les escortes. Les policiers ont monté un prévenu qui doit comparaître dans la salle pénale n°1. Il a fallu le redescendre aux geôles et remonter le bon. A l’écran, l’homme attend. Il ne parle pas français. L’interprète en langue arabe se glisse devant un micro pour lui expliquer la situation, et presque en même temps, son avocat s’approche de l’huissier pour lui demande s’il serait possible de faire évacuer la salle pour qu’il s’entretienne confidentiellement avec ce client qu’il n’a jamais vu. Accordé. Tout le monde se lève et patiente dans le hall. Huit minutes plus tard, tout le monde rentre. Le bon prévenu est dans son box, au côté d’une autre prévenue. La présidente passe une tête : « C’est bon, tout le monde est là ? » La sonnerie retentit : « l’audience est ouverte ». À 14 h 11, l’audience de la 7e chambre correctionnelle débute.

Fixation et demandes de mise en liberté

Deux prévenus dans le box, un en visio et deux interprètes (arabe et espagnol) sont présents pour cette audience de fixation. L’audience au fond n’aura lieu que le 21 mai, tout le monde le sait, mais il s’agit ici de renouveler des mandats de dépôt ou d’accorder des mises en liberté. La prévenue hispanophone (Paraguay) est la seule à formuler une demande de mise en liberté, à laquelle le procureur s’oppose au motif qu’il existe un « risque de fuite ». C’est une affaire de proxénétisme d’appartement. L’interprète en langue arabe utilise le micro d’une juge assesseur pour être vue et entendue par le prévenu en visioconférence, qui, sinon, ne pourrait rien suivre de l’audience. « Vous avez le dernier mot », formule la présidente en conclusion. Les deux autres prévenus, qui n’avaient rien à dire cinq minutes avant, décident maintenant de formuler une demande de mise en liberté. Stoïque, la présidente note et suspend l’audience pour délibérer sur ce dossier.

L’écran reste allumé sur le détenu, qui ne voit qu’un bureau vide. Le son est trop fort et très mauvais. On entend des bruits de chaînes et de portes qui s’ouvrent et se ferment. Les bruits de la prison. Le tribunal revient dans la salle, tout le monde se lève et l’audience reprend. Rejet des demandes, audience au fond le 21 mai. Le tribunal se retire et revient immédiatement dans une autre formation – une juge assesseur a été remplacée car, pour des raisons d’incompatibilité, elle ne pouvait siéger dans l’affaire suivante -, dans laquelle il n’y a ni prévenu, ni victime, ni avocat. In extremis, celui de l’administrateur ad hoc jaillit dans la salle. L’interprète en langue roumaine est remerciée, ses services ne sont plus requis. Auprès de la greffière, elle récupère le document qu’elle enverra pour être payée, malgré tout.

Sans prévenu ni victime, la synthèse des faits est expresse : une fille dénonce des agressions sexuelles incestueuses par son père, multiples et caractérisées par des caresses aux parties intimes. La jeune fille est intellectuellement déficiente, n’est pas allée à l’école et a subi de nombreuses violences au cours de son enfance. La mère explique qu’elle a passé « dix années de cauchemars avec le père », alcoolique et violent, qui lui imposait des rapports sexuels et regardait des films pornographiques dans le salon, en présence de sa fille.

Finalement localisé, le père est interpellé. Il nie tout et crie au complot, avec une mauvaise foi perceptible sur procès-verbal. La compagne actuelle du père est interrogée par les policiers : elle admet qu’il est brutal et que ce qu’elle découvre par cette procédure lui paraît crédible. L’homme est placé sous contrôle judiciaire et s’évanouit dans la nature. Tout comme la mère. La jeune fille est placée ; d’après le psychologue, elle va beaucoup mieux.

D’une salle à l’autre

Le procureur déroule un réquisitoire sans contradicteur : rappelant que le prévenu a été condamné deux fois en Roumanie pour agression sexuelle, il demande trois ans de prison ferme avec mandat d’arrêt. Fin de l’audience, le tribunal se lève et annonce « qu’on va aller en salle civile n°2, car la 6e chambre correctionnelle a besoin de la salle pénale n°2 pour rendre un délibéré. » L’huissier précise : « juste pour un dossier ». Tout le monde prend ses affaires et déménage. Pendant la transhumance, l’huissier grommèle : « c’est vraiment n’importe quoi aujourd’hui. » Les prévenus, avocats et spectateurs s’installent dans une salle trois fois plus petite – la seule salle civile pourvue d’un box – et attendent.

En fait, le tribunal en profite pour délibérer sur le dossier prestement examiné à l’instant. Quand elle revient, la présidente informe in petto les parties que, finalement, on va pouvoir retourner en salle pénale n°2, car la 6e chambre correctionnelle en a presque fini. Migration retour. La 6e chambre correctionnelle finit d’expliquer les peines aux personnes qu’elle vient de condamner et évacue la salle. Les juges de la 7e chambre reviennent. Le public se lève, se rassoit, se lève, se rassoit, et enfin entend la présidente condamner le prévenu roumain absent à un an de prison avec mandat d’arrêt. « L’audience est suspendue et va reprendre dans une autre composition ». Le public se relève.

Le tribunal dans sa composition initiale réapparaît pour juger Jean-Robert, 46 ans, prévenu d’agression sexuelle sur une mineure de 15 ans, et d’une autre agression sexuelle sur une mineure de 12 ans. T-shirt et baskets rouges, Jean-Robert est prêt à en découdre.

« Mon client veut que ce dossier passe aujourd’hui ! »

Mais de l’autre côté du prétoire, il n’y a personne. Ni enfants, ni représentant légal. La mère un temps présente a disparu, et l’administrateur ad hoc aussi est absent. Pour cette raison, la présidente pense qu’il faut renvoyer l’affaire. Le procureur est du même avis. Il est 16h06, et l’avocat de la défense s’énerve : « On est un an après le déferrement de Monsieur, personne ne là. Mon client veut que ce dossier passe aujourd’hui ! »

Suspension.

Reprise.

L’audience est renvoyée au mois de février 2026. L’avocat demande une modification du contrôle judiciaire, le procureur s’y oppose. Il faut délibérer sur cette demande.

Suspension.

Reprise.

Modification du contrôle accordée.

La présidente demande à l’huissier : « quel est le dossier le plus prêt » ?

Il n’y a plus personne dans la salle. Suspension.

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