Victoire du PSG : la justice, remède miracle à tous les maux de la société ?
Deux jours après les émeutes qui ont accompagné la victoire du PSG samedi soir en Ligue des champions, les premières décisions de justice tombent, déjà critiquées par une partie de l’opinion, tandis que le garde des Sceaux exprime son insatisfaction et annonce des réformes. Mais est-il bien raisonnable de faire semblant de croire que la justice peut tout résoudre ?

C’est toujours le même vertige. D’un côté, les images télévisées de saccage, tirs de mortiers, voitures brûlées, affrontements violents avec les forces de l’ordre. De l’autre, un ou deux jours plus tard, dans le confessionnal des prétoires interdits aux caméras, les prévenus, dégrisés par la garde à vue, effrayés à l’idée de partir en prison, jurant leurs grands dieux qu’on ne les y reprendra plus.
Des peines légères, trop légères ?
Dans le box lundi, au tribunal de Paris, ils n’en menaient pas large, les tireurs de mortiers qui paradaient quelques heures plus tôt devant des centaines de smartphones et de caméras, vandalisant tout sur leur passage. On découvrait des gamins à peine majeurs, penauds, au profil sage. Domicile ? Chez papa et maman. Travail ? Oui, ou études supérieures, niveau master. Addictions ? Néant. Casier judiciaire ? Néant. Les juges rompus aux comparutions immédiates se prenaient à rêver. Ah, si leur clientèle habituelle pouvait leur présenter plus souvent de si beaux pédigrées…eux qui reçoivent à la pelle des multirécidivistes à vous faire désespérer de la réinsertion. Étaient-ils représentatifs de l’ensemble des casseurs ou n’avait-on arrêté que le menu fretin ? C’est une des questions. Le fait que l’un des quatre se soit fait repérer grâce à son blouson blanc est un indice. On n’a sans doute attrapé que des bleus. Toujours est-il qu’ils comparaissaient pour avoir tiré des mortiers sur les forces de l’ordre. Pas de blessé, pas de plaintes des policiers. Cette absence de préjudice, ajoutée à leur profil judiciairement impeccable, explique en grande partie la légèreté des peines prononcées : un peu de prison avec sursis et des amendes.
Premières annonces de réforme
Elle en a révolté certains. C’est classique. Toujours ce décalage entre les images des exactions et la réalité judiciaire : on ne condamne pas un tireur de mortier à dix ans de prison. Il ne peut pas payer pour toutes les voitures brûlées, commerces dévalisés, pour tous les blessés, pour la fête gâchée. Chacun doit être puni pour ce qu’il a fait, ni plus, ni moins. Et en considération de son parcours. Au nom de la personnalité des peines. Gérald Darmanin, garde des sceaux, estime déjà que les premières condamnations « ne sont plus à la hauteur de la violence que connaît notre pays »a-t-il annoncé mardi matin. Il entend faire « évoluer radicalement la loi ». Comment ? En supprimant les aménagements de peine obligatoires et le sursis et en créant dans la loi « une condamnation minimum systématique une fois la culpabilité reconnue ». Le ministre lance un « objet politique », en prenant appui sur l’émotion suscitée par les récents événements. Les médias embrayent. Les spécialistes commencent à expliquer que ces projets sont, au moins en partie, inconstitutionnels. Le manège habituel dans une société où la communication supplante le réel. La polémique, encore et toujours…
De la difficulté de juger…
Le tribunal de Paris a choisi hier de donner un avertissement aux intéressés. Il a parié sur le fait que la garde à vue suffirait à leur faire peur, qu’elle constituait un avant-goût de peine, et qu’il n’était pas utile de les condamner à de la prison ferme, car pour le coup, ce serait prendre le risque de les désocialiser et d’en faire des délinquants. Une partie de l’opinion attendait, elle, des peines exemplaires, pour la sanction des intéressés et l’édification de tous les autres. Débat difficile. Serait-ce le moment de reparler des ultra-courtes peines ? Aurait-il été pertinent de prononcer 15 jours de prison, non aménageables, au lieu du sursis et des amendes ? Et celui qui vient de décrocher un CDI ? Tant pis pour lui, à un moment, il faut prendre ses responsabilités, commente une magistrate. C’est peut-être là qu’est le concept clé. La responsabilité. Peut-être que le juge doit s’arracher de l’esprit que c’est la peine qui va mettre en péril l’avenir du prévenu, quand c’est lui-même en réalité qui n’aurait pas dû se mettre dans cette situation. Peut-être qu’il faut replacer la société dans l’autre plateau de la balance d’où elle semble parfois étrangement absente. Oui, mais comment fait-on dès lors que les prisons sont bondées ? Vertige de la difficulté de juger…
La voiture-balais de la société
Une chose est sûre. On ne peut pas demander à la justice de résoudre le problème à elle toute seule. Et c’est pourtant ce que l’on fait à chaque fois. Tous les pouvoirs, toutes les institutions peuvent s’inscrire aux abonnés absents. L’éducation peut renoncer à sa mission, les parents démissionner, le politique se cacher la tête dans le sable, le législateur regarder ailleurs, les médias euphémiser les exactions pour éviter les colères dévastatrices qu’ils redoutent au sein de l’opinion. Mais la justice, elle, est tenue de juger. Ce qui en fait la voiture-balai de la société. Elle arrive en bout de chaine, et on la somme non seulement de prendre une décision dans un dossier individuel, mais aussi de résoudre une crise systémique que tous les autres, avant elle, ont laissée se fabriquer. Quel bouc-émissaire idéal pour tous les démissionnaires qui cherchent à se défausser ! Le fait que des jeunes gens parfaitement insérés trouvent judicieux d’acheter des mortiers et de se rendre aux Champs-Élysées pour les tirer sur les policiers en filmant leurs exploits inquiétait particulièrement le magistrat du parquet lundi. Quand le siège semblait de son côté plutôt rassuré par leur profil sage. Deux visions d’une même situation complexe. Bien malin qui saurait dire comment endiguer cette violence primale qui explose à intervalles réguliers, mélange de vide existentiel, d’ennui, de colère, de ressentiment et aussi d’opportunisme quand il s’agit de dévaliser des magasins entre deux barricades de poubelles et de Velibs en flammes. Comment stopper cette course folle à l’exaction la plus spectaculaire qui donnera lieu à la vidéo la plus partagée sur les réseaux sociaux ? Ou, mieux, à un passage sur BFM TV ? Qui n’a pas été saisi de malaise en voyant ces centaines d’apprentis reporters filmer ces pathétiques scènes de chaos ? Obscène narcissisme du néant qui n’atteint pas, comme on le pensait, qu’un groupe minoritaire de laissés-pour-compte de la société, mais n’importe quel citoyen ou presque ? Et quelles conclusions tirer du témoignage troublant de l’un des prévenus, expliquant qu’un homme en noir qu’il ne connaissait pas lui aurait tendu le mortier et enjoint de le lancer ? Si c’est vrai, faut-il en déduire qu’il y a, dans ces émeutes, des infiltrés chargés de souffler sur les braises ? Si oui, pour qui roulent-ils ?
Croire que tout ceci pourrait se résoudre par quelques peines exemplaires et une réforme pénale relève de la pensée magique. C’est toute la société qui doit s’engager dans cette bataille.
Référence : AJU499428
