Violences faites aux femmes : + 82 % de plaintes traitées au Tribunal de Meaux en 5 ans

Publié le 20/01/2023

Lors de la cérémonie de rentrée solennelle au tribunal judiciaire de Meaux (Seine-et-Marne), vendredi 20 janvier, la présidente Catherine Mathieu a révélé les orientations de sa juridiction en 2023. Une lutte accrue contre les violences faites aux femmes, la création d’un service de protection des mineurs contre la prostitution et l’ouverture d’un quartier de préparation à la sortie des détenus, auquel seront affectés cinq magistrats.

Violences faites aux femmes : + 82 % de plaintes traitées au Tribunal de Meaux en 5 ans
Catherine Mathieu, présidente du tribunal judiciaire de Meaux (ici au centre) a déploré « la banalisation, par certains, des violences faites aux femmes ». (Photo : ©I. Horlans)

Tous le disent et le répètent ce vendredi matin, 20 janvier 2023 : la juridiction meldoise travaille bien, en harmonie, grâce à « sa taille humaine ». Avec ses 48 juges, 20 parquetiers, 162 fonctionnaires plus les 197 avocats de l’Ordre de Meaux, elle constitue une communauté soudée. Et la présidente Catherine Mathieu ne se plaint pas, « surtout pas en ces temps d’efforts budgétaires du ministère de la Justice ». Les résultats sont plutôt bons, le tribunal correctionnel « a enfin pu juger, en 2022, des affaires importantes en souffrance depuis plusieurs années ».

Un taux de réponse pénale de près de 81 %

Le taux de réponse pénale s’élève à 80,71 % quand il dépassait à peine 77 % il y a deux ans. La saisine des quatre juges d’instruction a toutefois augmenté : 169 dossiers leur ont été confiés en 2022 contre 124 l’année précédente. À noter que nombre d’entre eux concernent des « affaires criminelles graves ». Les ordonnances pénales constituent toujours la majeure partie des modalités de poursuites (69 %), les comparutions immédiates se limitant à 5 % de l’activité. Sur le plan civil, 13 465 affaires ont été réglées, sur 13 657. Voilà, globalement, pour les chiffres.

Violences faites aux femmes : « je récuse le procès en incompétence »

Catherine Mathieu a surtout parlé d’avenir et des violences faites aux femmes : « On entend souvent : « Mais que fait la justice ? » Cette question est légitime. Mais je récuse le procès en incompétence. Notre juridiction est engagée de longue date ». Dans ce domaine, le nombre de plaintes traitées a augmenté de 82 % en cinq ans, surchargeant les audiences de comparution immédiate (+ 188 %). Les délais de détention pour violences conjugales sont passés de six mois à dix sur la même période. Par ailleurs, 99 ordonnances de protection ont été rendues en 2022, soit 25 de plus qu’en 2021.

La formation au coeur des préoccupations

La présidente Mathieu a insisté sur l’importance de la formation : « Il faut aussi renforcer nos actions. Avec le barreau de Meaux et nos partenaires, nous allons organiser une formation commune en avril. » Autre volonté, « juger de manière spécifique » ces violences « contre les femmes et les enfants – les hommes aussi parfois ». Des comités de pilotage en milieu ouvert « examinent une soixantaine de situations tous les deux mois » et, quatre fois par mois, « les juges de l’application des peines tiennent des comités dédiés aux violences intrafamiliales », ce qui leur permet « d’évaluer la situation de la victime » avant la sortie de prison du conjoint. Un dispositif innovant. Enfin, un jour par semaine, une audience est spécialement consacrée à ce type de délits. « Un vrai problème de société, de la société tout entière», estime Catherine Mathieu : « Quand on entend des personnes en vue, influentes, voire des élus, banaliser les violences faites aux femmes, que l’on en voit se livrer au renversement de la responsabilité ou à la victimisation, on est confronté à un défi que la justice ne peut pas elle seule relever. » Le nom du député LFI Adrien Quatennens n’a évidemment pas été cité mais chacun, sur son banc ou sa chaise, a pensé à lui.

Ouverture du premier service d’accompagnement des mineurs victimes de la prostitution

L’année 2023 verra également la création d’un quartier de préparation à la sortie du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin ; cinq magistrats (bientôt un sixième) occuperont ces nouvelles missions auprès de 60 détenus. Le bâtiment en construction devrait être ouvert en septembre. « Je me réjouis de ce nouvel équipement qui a vocation à donner plus de sens à la peine de prison, à œuvrer à la prévention de la récidive en préparant des projets élaborés de sortie », a indiqué la présidente.

Elle a conclu « sur une note positive : l’ouverture du premier service d’accompagnement des mineurs victimes de la prostitution. La structure est tout juste opérationnelle mais les premières mesures vont être ordonnées sur l’ensemble du département, où le besoin a été particulièrement repéré ». Elle a parlé à ce sujet de « situation dramatique ».

Violences faites aux femmes : + 82 % de plaintes traitées au Tribunal de Meaux en 5 ans
Bernard Rosat, directeur des services de greffe, accompagné de son adjointe, a donné acte de l’arrivée à Meaux de deux nouvelles magistrates et le renfort d’un juge des libertés et de la détention. (Photo : ©I. Horlans)

Deux juges en renfort et une promotion

Avant de céder la parole au procureur Jean-Baptiste Bladier et à Me Fredj-Catel, bâtonnier de l’Ordre des avocats (voir notre encadré), Catherine Mathieu a salué la nomination de deux juges. Mesdames Christine Girard, vice-présidente chargée de l’application des peines (précédemment JAP à Melun après avoir été avocate à Paris, puis affectée au Service national de renseignement pénitentiaire), et Gaëlle Basciak installée à la 1re chambre civile (elle aussi ancienne avocate, en droit public). Le magistrat Boujemaa Arsafi, promu vice-président, cède son poste de JAP à Christine Girard : il rejoint le pôle des juges des libertés et de la détention (JLD). Longtemps enseignant, directeur adjoint d’établissements, il a servi l’Administration pénitentiaire (AP) en qualité de directeur d’insertion et de probation dans les Yvelines et le Val-d’Oise. La présidente Mathieu voit, en ces « exemples d’intégration » la preuve que « la magistrature est un corps ouvert : il accueille tous les ans une moitié de personnes apportant à l’institution la richesse d’une carrière antérieure ». Elle a rendu hommage à M. Arsafi qui « a joué un rôle fondamental dans les liens entre la juridiction, la prison et les associations ». Il anime le service d’application des peines et ouvert un cinquième cabinet.

Le parquet sollicité par les enquêteurs toutes les huit minutes !

 Le procureur Bladier, installé en octobre 2022, a dressé le bilan de l’année écoulée au parquet : le nombre d’affaires traitées en retrait de 7 % ; un taux de réponse pénale en hausse de 5 % ; une forte augmentation (+ 55 %) des placements sous contrôle judiciaire avant jugement grâce aux CPPV, les convocations par procès-verbal. Estimant ces chiffres « guère parlants si l’on veut percevoir le quotidien » de son parquet, M. Bladier a précisé que les permanences « traitent journellement, y compris les week-ends et jours fériés, une moyenne 88 mails et de 110 appels téléphoniques, soit un toutes les huit minutes ».

Il espère « maintenir le taux de réponse pénale » et « encourager les CRPC (comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité) qui reposent sur une forme de justice négociée. L’adhésion à une décision de justice est un facteur d’efficacité dans la prévention de la récidive ». Autre souhait : « Développer de manière ambitieuse les mesures alternatives de qualité », « la justice thérapeutique notamment ». Par exemple, l’accompagnement et la lutte contre les conduites addictives. Cette prise en charge particulière dédiée au primo-délinquant « devra être étendue au récidiviste poursuivi en correctionnelle ».

Violences faites aux femmes : + 82 % de plaintes traitées au Tribunal de Meaux en 5 ans
Jean-Baptiste Bladier, procureur de la République à Meaux, a indiqué que sa permanence reçoit « un appel toutes les huit minutes », sept jours sur sept (Photo : ©I. Horlans)

« Les CCD seront de grandes consommatrices de magistrats du siège »

Quelques mots, enfin, sur les récentes annonces du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti (notre article du 5 janvier ici) : « J’aurais mauvaise grâce à passer sous silence les très heureuses perspectives budgétaires et à taire ma satisfaction. Reste qu’il faut désormais recruter, former des magistrats et agents, dont il conviendra d’assurer la ventilation entre siège et parquet, selon une méthodologie qui, à ma connaissance, reste à définir. Surtout, il importe de veiller que ces moyens ne soient pas absorbés par des missions nouvelles, sauf à laisser persister la grande misère de la justice en dépit de l’effort sans précédent de la nation. »

Autre préoccupation du procureur : la généralisation depuis le 1er janvier des cours criminelles départementales (notre article du 12 décembre 2022 sur les CCD ici). En Seine-et-Marne, la réforme sera effective le 11 avril, la première session jugera des dossiers du seul parquet de Meaux. Attaché à la cour d’assises, il met en garde : « Avec une composition de cinq juges, contre trois précédemment, les CCD seront de grandes consommatrices de magistrats du siège. » « Perçue comme indolore, voire bénéfique pour le parquet car les audiences sont espérées plus courtes », il considère que la réforme s’appuie sur « une hypothèse hasardeuse ». Si le gain de temps est de l’ordre de 12 % selon les expérimentations, « il faut le relativiser » : les affaires criminelles correctionnalisées, par exemple le viol requalifié en agression sexuelle, « jusqu’ici jugées en quelques heures le seront, par les CCD, en quelques jours ».

L’entrée en vigueur en janvier de l’avertissement pénal probatoire (APB) à la place du rappel à la loi, l’inquiète aussi : « Il s’avère être un mécanisme juridique bien plus complexe à appliquer sans être plus efficient. » L’APB exclut toutes formes de violence, même les moins graves, les condamnés, et n’est envisageable que si l’auteur reconnaît les faits. « Cette innovation législative voulue pour muscler la réponse pénale de premier niveau peut aboutir, du fait de sa complexité, à un accroissement des classements sans suite, non par esprit de fronde mais par pragmatisme. »

« Nous sommes tous préoccupés par la surpopulation carcérale »

 La rentrée solennelle a été l’occasion, pour Catherine Mathieu, présidente du tribunal de Meaux, de se dire « préoccupée, comme tous les magistrats, par la surpopulation carcérale à Meaux-Chauconin et en Île-de-France ». La détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) doit rester privilégiée, mais « le seul moyen efficace d’assurer la sécurité des victimes de violences conjugales est l’incarcération. Les magistrats sont conscients des risques et sensibles au débat de société. Il faut néanmoins participer à l’amélioration de la situation carcérale ». Un protocole commun au siège, au parquet et à l’AP va permettre un meilleur suivi de la DDSE.

Sur la même ligne, le procureur Bladier a souligné l’importance de la prise en compte de la parole des victimes de violences intrafamiliales, oubliées « socialement et judiciairement » pendant des décennies. Il a néanmoins rappelé que « le dramatique décompte des homicides contre les femmes, le fléau mésestimé des violences sexuelles envers les enfants », conduisent « certains à fouler la présomption d’innocence. On accuse sans charges, on juge sans débat, on condamne sans preuve. L’exercice de l’action publique ne relève pas du calcul mathématique de probabilités. Nous ne traquons ni le plausible ou le vraisemblable. »

Le barreau de Meaux « attentif et combatif »

Violences faites aux femmes : + 82 % de plaintes traitées au Tribunal de Meaux en 5 ans
Légende photo : Me Florence Fredj-Catel, nouveau bâtonnier de l’Ordre des avocats de Meaux, a exprimé plusieurs inquiétudes (¨photo : ©O. Horlans)

 Me Florence Fredj-Catel, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Meaux, à qui revenait la conclusion de la cérémonie, a exprimé l’inquiétude de ses pairs après « un certain nombre de mesures annoncées le 5 janvier par le garde des Sceaux ». Si elle se félicite de l’effort budgétaire en faveur de la justice, de la prise en compte de la qualité de vie au travail, du développement de la politique de l’amiable, Me Fredj-Catel précise que l’Ordre veillera à la mise en pratique de plusieurs réformes, dont « la césure procédurale afin qu’elle n’ait pas pour seul objectif les statistiques de la juridiction ».

Autres motifs de vigilance, la simplification de la procédure civile, passant par la structuration des écritures, la modification du mode de saisine des juridictions en première instance (mode unique), la réduction des délais : « L’intention est louable et l’objectif nécessaire. Mais le temps du procès – civil ou pénal – est nécessaire au justiciable. La rapidité et la précipitation ne sont pas les signes d’une bonne justice. » Les avocats « veilleront aussi, en matière de justice sociale et économique, au maintien de l’oralité des débats et des spécificités en juridictions prud’homales et consulaires ».

Enfin, « s’agissant de la politique et de la procédure pénales, le barreau de Meaux sera attentif et combatif ». En cause : « la réforme déséquilibrée des cadres d’enquête », « l’élargissement du recours aux comparutions à délai différé susceptibles de détourner la comparution immédiate et augmenter les détentions provisoires », « la généralisation des perquisitions de nuit pour tous les crimes », « la possibilité de placer sous bracelet ceux dont la procédure peut être atteinte de nullité », de « la construction de nouveaux lieux de privation de liberté ». Enfin, Me Fredj-Catel a redit l’opposition de l’Ordre aux cours criminelles départementales et à la disparition de la police judiciaire.

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