A. Ridouane, président de la mosquée de Pessac, conteste son expulsion devant le Conseil d’État
Le président de la mosquée de Pessac, Abdouramane Ridouane, accusé d’atteinte aux intérêts de l’État et d’incitation à la haine des juifs, va-t-il ou non rester en France ? Le Conseil d’État a examiné vendredi 6 septembre sa demande d’annulation de son arrêté expulsion. Un public nombreux était venu le soutenir dans la salle.
Il est assez rare que les contentieux arides du Conseil d’État attirent une foule de curieux. Il est encore plus rare de voir des hidjabs en nombre dans les salles d’audience de la haute juridiction. Ceux qui se pressent en ce chaud vendredi de septembre au Palais-Royal, pour soutenir Abdouramane Ridouane dans sa requête visant à suspendre son arrêté d’expulsion sont des proches et des fidèles de la mosquée de Pessac. « Ça s’est mal passé au tribunal administratif, il a fallu expulser certaines personnes » murmure-t-on dans les couloirs. On comprend alors les raisons de la présence de policiers en tenue aux abords du Conseil d’État et jusque dans les couloirs. Ça aussi c’est inédit.
Une idéologie hostile aux valeurs de la République
A. Ridouane est de nationalité nigériane ; il est arrivé en France en 1991 à l’âge de 26 ans, et préside aujourd’hui plusieurs associations musulmanes ainsi que la mosquée de Pessac (33). Malgré l’avis défavorable de la commission d’expulsion (COMEX), un arrêté du 4 août a ordonné son expulsion. On lui reproche ses publications sur les réseaux sociaux qui, selon le ministère de l’Intérieur, « véhiculent une idéologie hostile aux valeurs et institutions de la République Française » et participent à la « diffusion de messages à teneur antisémite et haineuse à l’encontre d’Israël et des juifs ». Son expression, dénuée de contextualisation, fait écho à des valorisations du djihad islamique, précise-t-on encore. Il a déjà contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Paris, en vain. Dans son ordonnance du 9 août, le juge des référés relève que ses propos sont de nature à attiser les tensions traversant la société française sur fond de menace terroriste et d’explosion de l’antisémitisme alors que, par ailleurs, l’intéressé ne justifie pas que son expulsion constituerait une atteinte disproportionnée à sa vie familiale et professionnelle. En effet, s’il a une épouse en France et y suit un traitement médical, en revanche il n’a pas d’enfants et n’exerce pas d’activité professionnelle. Toute sa famille est au Niger. Pays qu’il accepterait de rejoindre à condition de ne pas le faire dans l’opprobre d’une procédure d’expulsion, a-t-il eu l’occasion d’expliquer.
La formation qui examine l’affaire en appel est composée de trois conseillers d’État, quand un seul parfois suffit, signe que le dossier est considéré comme complexe, ou sensible. Le président rappelle que si une personne est sur le territoire français depuis plus de 20 ans – 34 ans en l’espèce -, elle ne peut être expulsée qu’en cas d’atteinte aux intérêts de l’état, de faits de terrorisme, ou d’actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Dans le cadre d’un appel de référé liberté, deux conditions doivent être réunies : l’urgence et l’atteinte manifestement illégale à une liberté publique. Le tribunal administratif de Paris s’en est tenu au défaut d’urgence pour justifier son rejet de la demande.
« Il alimente l’idée qu’Israël et les juifs c’est la même chose »
La discussion va porter plus précisément sur le point de savoir si les conditions de l’article L631-3 2e du code de l’entrée et du séjour des étrangers sont réunies :
Ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, dont la violation délibérée et d’une particulière gravité des principes de la République énoncés à l’article L. 412-7, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes :
1° L’étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ;
2° L’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;
Dans le contexte sensible des jeux olympiques, au moment où la décision d’expulsion est prise, sur fond de menace terroriste et alors que le nombre d’actes antisémite explose (+192% depuis octobre 2023), les propos de A. Ridouane sur les réseaux sociaux portent atteinte aux intérêts de l’État et incitent à la haine antisémite, estime le ministère. Il lui reproche d’utiliser un vocabulaire guerrier (martyr, champ de bataille, bourreau, couteaux…), de dénoncer une islamophobie d’état, et d’appeler les musulmans à se lever. Il est accusé aussi de soutenir et légitimer le Hamas depuis les massacres du 7 octobre, dont les actes sont qualifiés de « résistance », et d’avoir publié un éloge vibrant d’ Ismail Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas, tué en Iran le 31 juillet dernier. « Il alimente l’idée qu’Israël et les juifs c’est la même chose, qu’il faut combattre les juifs » précise la représentante du ministère à l’audience. À l’objection de son avocat, Me Sefen Guez Guez, qu’il n’y a pas de lien établi entre ces actes et ses propos, elle rétorque : « tout cela participe d’un antisémitisme d’ambiance ».
« Il traite Israël de colonavirus »
En fait, ce n’est pas la première fois que A. Ridouane est confronté au ministère de l’Intérieur. En 2022, le préfet de Gironde avait pris un arrêté de fermeture à l’encontre de la mosquée, précisément à cause de ses publications sur Facebook. Une décision annulée par la justice administrative (voir l’arrêt du CE ici). Le requérant dénonce le fait que ses propos de cette époque lui sont de nouveau reprochés dans la l présente instance, alors qu’il avait accepté de les supprimer. « Les éléments ont été supprimés des réseaux sociaux dans le temps de la procédure, convient la représentante du ministère, c’était facile, on les avait listés, ce qui prouve qu’au moins nous étions d’accord sur leur caractère vénéneux. « Je ne savais pas, je n’étais pas au courant, j’ai pris acte » nous a-t-il expliqué ». Le trouble ayant cessé, la mesure administrative de fermeture n’avait plus de raison d’être. Mais on n’a pas été dupe, on a continué à surveiller et on s’est aperçu que tout n’avait pas été supprimé et que d’autres choses fleurissaient, poursuit-elle. Il s’est dit très fier de ses propos, qu’il ne les reniait pas, il traite Israël de colonavirus, il traite les juifs de virus ». Pour le ministère, la suppression des propos litigieux à l’époque relevait d’une « posture défensive ».
« Mon client est un tribun, il est normal qu’il utilise un vocabulaire guerrier »
Au fil des échanges, l’avocat de Ridouane, Me Sefen Guez Guez, propose un profil plus nuancé de son client. Il raconte par exemple qu’il a vu le film de Claude Lanzmann Shoah à l’âge de 15 ans et qu’il a été « bouleversé » par les faits eux-mêmes et par leur similitude à ses yeux avec la colonisation. S’agissant du vocabulaire utilisé par l’intéressé, l’avocat relativise : « Mon client est un tribun, il est normal qu’il utilise un langage guerrier. S’il fallait expulser tous les auteurs de propos violents, que ferait-on de son confrère Juan Branco qui intitule ses ouvrages « Abattre l’ennemi », ou encore « Coup d’État » ? L’une des phrases reprochées au requérant est « Peu importe au bar ou à la mosquée, l’essentiel est que tu sois sur le champ de bataille », ce qu’il traduit à l’audience par « ce qui compte, croyant ou non, est que vous vous battiez pour vos libertés ». C’est l’un des points clefs : l’intéressé soutient que ses propos se situent exclusivement sur le terrain de la bataille des idées quand le ministère y voit pour sa part une incitation plus ou moins directe au djihad armé.
A. Ridouane cite Montesquieu et Camus, se revendique de Voltaire
Lorsque le président donne la parole à A. Ridouane, on découvre un homme cultivé, doué d’une faconde exceptionnelle qui convoque les grands auteurs français au soutien de sa cause. « Quand j’écoute la représentante du ministère, je me dis : est-ce qu’on parle de droit ou de mon analyse psychologique ? J’ai beau affirmer « ce n’est pas ce que j’ai voulu dire », je suis inaudible » » regrette-t-il. Le requérant rappelle que dans la religion musulmane toute atteinte physique ou morale à l’intégrité d’autrui est interdite, ce qui signifie à ses yeux qu’il n’a pas pu appeler à la violence. Puis il revient sur le film Shoah « il nous a bouleversés et nous bouleverse toujours, il ne vieillit pas ce film ». Pendant de longues minutes, il se décrit comme un militant de la paix, déclare qu’il a défendu les Ouighours et avant eux les Rohingya, – deux peuples musulmans persécutés en Chine et en Birmanie – ou encore qu’il n’a jamais hésité à critiquer les pays africains. « Quand le 7 octobre a eu lieu et que tout de suite s’est organisée la réaction d’Israël pour répondre à ces crimes, j’ai écrit à tous les élus de la région une lettre ouverte pour porter la voix d’un équilibre dans l’interprétation du conflit ». Il y reconnaît les crimes du 7 octobre, assure son avocat et s’incline devant la souffrance des victimes. A. Ridouane cite Montesquieu, se revendique de Voltaire ou encore rappelle la formule de Camus sur le fait de mal nommer les choses.
À cette déclaration pacifique nourrie de culture française, la représentante du ministère rétorque sèchement qu’elle n’a vu d’apologie de la France nulle part dans ses propos sur les réseaux sociaux. Au contraire, ses propos ambigus peuvent être interprétés au premier degré, or devant la commission d’expulsion (COMEX), il a expliqué qu’il ne s’estimait pas comptable de la manière dont on comprenait ses messages. Elle souligne encore qu’il attise la haine contre les Occidentaux, traite Emmanuel Macron d’assassin, accuse le ministère de l’Intérieur de nuire aux musulmans quand il ne vise en réalité qu’une frange radicale violente. Des déclarations qui, pour elle, peuvent conduire certains à se dire « je vais brûler une synagogue, c’est normal car je suis tellement malheureux en France ».
Aux assesseurs qui lui demandent des précisions sur sa situation, A. Ridouane explique qu’il ne peut plus travailler depuis 2021 car il a des difficultés avec la préfecture pour le renouvellement de son titre de séjour. A-t-il jamais demandé la nationalité française ? Oui, répond-il mais il a renoncé face à la complexité administrative. Pour autant, il précise que la France fait partie de son histoire autant qu’il fait partie de la sienne.
« Vous imaginez si De Gaulle avait été tué par un missile allemand ? »
Il est bientôt 17 heures alors que les débats ont commencé à 14h30, c’est exceptionnellement long pour une audience de référé devant le Conseil d’État. On l’interroge encore sur son message du 3 août saluant le « noble combat » du chef du Hamas tué en Iran. Il répond que c’est un verset du Coran pour apaiser les âmes. « Vous imaginez si De Gaulle avait été tué par un missile allemand ? » interroge-t-il. Et de préciser « C’est une opinion qu’on a du combat d’un homme, cela ne veut pas dire qu’on valide la mort des innocents ».
Vient le temps de l’échange des derniers mots. Inflexible, la représentante du ministère ne voit dans toutes les explications qui viennent d’être fournies à l’audience que l’expression d’un double discours. A. Ridouane déplore pour sa part la stratégie de diabolisation dont il s’estime victime et conclut : « Mon message est de dire aux musulmans : vous êtes des citoyens comme les autres. La liberté est là, ce qu’on nous refuse c’est l’égalité ».
La décision sera rendue « dans quelques jours » a indiqué le président avant de lever la séance à 17 heures, au terme d’une audience qui s’est déroulée sans heurts, devant un public parfaitement calme et silencieux.
Référence : AJU465041