Appel au boycott des produits israéliens : l’affaire rebondit devant le Conseil de l’Europe

Publié le 30/04/2021

Bien que condamnée le 11 juin 2020 par la CEDH,  la France persiste à pénaliser le boycott des produits israéliens. Plusieurs associations, dont la Ligue des droits de l’homme ont décidé de saisir le comité des ministres du conseil de l’Europe. Les explications de François Dubuisson, professeur à l’Université libre de Bruxelles, et de Ghislain Poissonnier, magistrat.

drapeau israélien
Photo : AdobeStock/David

L’obstination n’est pas toujours bonne conseillère.

Le ministère de la Justice persiste depuis plus dix ans à vouloir pénaliser les appels au boycott des produits israéliens lancés par les associations membres de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) en faveur du respect du droit international dans le conflit israélo-palestinien . Son entêtement risque d’aboutir à un nouveau rappel à l’ordre de la France par les instances européennes.

Rappelons que le 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a, dans un arrêt Baldassi, condamné la France pour avoir violé la liberté d’expression de militants BDS.

Le boycott, une modalité de la liberté d’expression

Une condamnation qui s’appuie notamment sur le fait que l’appel au boycott des produits constitue « une modalité particulière d’exercice de la liberté d’expression en ce qu’il combine l’expression d’une opinion protestataire et l’incitation à un traitement différencié », exprimé ici sur « un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’État d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés » (§64 et 78).

Le 20 octobre 2020, le ministère de la Justice a pourtant adopté une dépêche adressée aux procureurs consacrée « à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens »[1].

Nous avions déjà indiqué dans une tribune publiée le 12 novembre 2020  à quel point la dépêche s’efforçait, au prix de raccourcis contraires à l’esprit et à la lettre de l’arrêt du 11 juin 2020, de “sauver” à tout prix la pénalisation à la française de l’appel au boycott.

Malgré les critiques et demandes d’explications de nombreuses associations et personnalités, le ministère de la Justice est resté inflexible en maintenant la « dépêche Dupond-Moretti ». Cela a inévitablement entrainé une nouvelle démarche, officielle cette fois-ci.

Les associations ne cèdent pas

Par une communication envoyée le 13 avril 2021, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH)[2], et l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), ont saisi le Comité des ministres du Conseil de l’Europe – qui assure le suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH  -, des dispositions prises par le gouvernement français pour la mise en œuvre de l’arrêt Baldassi.

Rappelons que la Convention européenne des droits de l’Homme, par son article 46, a confié au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le suivi de l’exécution des arrêts de la CEDH. Suivant les règles adoptées par le Comité des Ministres le 10 mai 2006, « Le Comité des Ministres est en droit de prendre en considération toute communication transmise par des organisations non gouvernementales, ainsi que par des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, concernant l’exécution des arrêts conformément à l’article 46, paragraphe 2, de la Convention. »

A l’appui de leur communication, les trois associations font valoir principalement quatre points :

1/ La circulaire de politique pénale du 20 octobre 2020 omet de reconnaître la protection renforcée de principe dont bénéficie, au nom de la liberté d’expression, l’appel citoyen, militant et pacifique au boycott, protection qui est énoncée par l’arrêt Baldassi ; elle se réfère encore aux circulaires dites « Alliot-Marie »[3] et « Mercier »[4]qui sont pourtant devenues caduques au regard du contenu de cet arrêt.

2/ La circulaire tend essentiellement à préserver la pénalisation en tant que telle des appels au boycott de produits israéliens, en demandant simplement une motivation supplémentaire aux juridictions françaises et en « oubliant » les énoncés de principe retenus par la CEDH.

3/ La circulaire adopte une méthodologie et des présupposés douteux pour caractériser l’appel à la haine, à la violence ou à l’intolérance ; elle entretient volontairement une confusion entre le discours militant, dont l’appel au boycott des produits israéliens fait partie, et les propos et actes antisémites, qui sont inacceptables par nature et réprimés pénalement ; sa référence, comme possible « réponse pénale pédagogique » aux opérations de boycott, à des visites du mémorial de la Shoah et du camp de Struthof, est indigne dans une circulaire relative à des actions qui visent à défendre le droit.

4/ La circulaire s’appuie à tort sur un précédent jurisprudentiel pour justifier le fait que la Cour de cassation a déjà intégré l’exigence de motivation circonstanciée, alors que cette affaire avait abouti au constat de l’absence pure et simple d’appel au boycott dans le chef de la personne poursuivie ;

Il est enfin souligné, et regretté, que cette dépêche ne vise que les appels au boycott des produits israéliens, alors que les principes dégagés dans l’arrêt Baldassi ont vocation à s’appliquer à toutes les pratiques de boycott des produits originaires d’un Etat ou d’un groupe de personnes dont la politique ou les pratiques sont critiquées au nom des droits de l’Homme ou du droit international.

Remanier la dépêche, abréger les circulaires

Par leur communication, la LDH, la FIDH et l’AFPS demandent donc au Comité des ministres du Conseil de l’Europe d’intervenir pour que la « dépêche Dupond-Moretti » soit profondément remaniée. Elles demandent également l’abrogation des circulaires « Alliot-Marie » et « Mercier ».

L’obstination du ministère de la Justice sur ce sujet reste toujours difficilement compréhensible et inexpliquée. Pourquoi un tel acharnement judiciaire contre le mouvement BDS qui réclame le respect de la légalité internationale[5], en utilisant un mode d’action qui a été considéré comme étant légal et pacifique par la CEDH et par plusieurs Cours suprêmes (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne) ?

Les séances du Comité des ministres permettront peut-être de mieux le comprendre.

[1] DP 2020/0065/A4BIS.

[2] La LDH et la FIDH s’étaient portée intervenantes en « amies de la Cour » auprès de la CEDH dans le cadre de la procédure Baldassi. Elles avaient à cette occasion fait valoir que la pénalisation des appels au boycott des produits israéliens violait tant le droit européen que le droit international.

[3] 12 février 2010 : CRIM-AP n°09-900-A4.

[4] 15 mai 2012 : CRIM-AP n°2012-034-A4.

[5] Le mouvement BDS réclame la fin de l’occupation et de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens, le démantèlement du mur de séparation, la reconnaissance des droits fondamentaux des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une complète égalité, et la reconnaissance des droits des réfugiés palestiniens à recouvrer leurs maisons et leurs biens comme le stipule la résolution 194 de l’ONU.