Pascal Godon : « L’accueil des étrangers est lamentable » !
C’est un homme chaleureux, au visage rond et à l’œil rieur. « Je ne me voyais pas passer ma retraite à soigner mes roses et regarder la télé », explique Pascal Godon. Ancien ingénieur, il est donc devenu délégué du Défenseur des droits. Depuis 18 mois, il reçoit une après-midi par semaine au Centre d’information et de documentation des jeunes, situé dans le Ier arrondissement de la capitale. Et répond à des dizaines de mails chaque jour. Ceux qui le sollicitent sont essentiellement des étrangers qui se retrouvent en situation irrégulière faute d’avoir réussi à joindre les services de la préfecture. Évoquant leur situation, l’affable retraité se fait révolté. Entretien sans langue de bois.
Actu-Juridique : Comment êtes-vous devenu délégué du Défenseur des droits ?
Pascal Godon : Il y a 13 ans, bien après avoir fêté mes 62 ans, j’ai fini par prendre ma retraite. J’ai eu la chance d’avoir eu une vie facile sur le plan professionnel. Il m’a semblé normal de donner à mon tour à la société ! Je ne le regrette pas : cela m’a permis de connaître une France que je ne connaissais pas… J’étais ingénieur, chef d’entreprise. J’ai eu des gens sans papier sur mes chantiers quand j’étais le patron. Il y avait parfois une descente de police. Je n’y prêtais pas grande attention, car je connaissais la loi, selon laquelle une entreprise n’est pas responsable de la qualité des papiers que présentent ses salariés. Ce n’est pas le chef de chantier avec ses bottes dans la boue qui va faire ce travail de contrôle. Pendant ma vie professionnelle, j’étais donc assez éloigné des difficultés de ces personnes. Pour moi, la seule chose importante aujourd’hui est de rencontrer des gens, de voir quels sont leurs problèmes.
Actu-Juridique : Quels sont les profils et demandes de celles et ceux qui viennent vous voir ?
Pascal Godon : Je reçois beaucoup de courriers, parfois une dizaine de mails par jour. Lorsque ce n’est pas trop compliqué, je me contente de répondre à mon tour par mail. Quand c’est plus difficile, je propose un rendez-vous à ma permanence. Je reçois entre 5 et 7 personnes par après-midi. Je suis un délégué du Défenseur des droits en charge des jeunes. J’ai la particularité de ne recevoir que des personnes de moins de 30 ans. Parmi ceux qui viennent me voir, il y a 97 % d’étrangers, et 90 % d’entre eux sont en attente d’un permis de séjour. Il peut s’agir d’une nouvelle demande, pour des jeunes qui sont devenus majeurs et ne dépendent plus du statut de leur parent, ou qui changent de catégorie. Par exemple, des étudiants qui finissent leurs études et vont demander un permis de travail. Ils doivent régulariser leur situation. Certains sont des rêveurs qui ont vécu quelques années sans papiers et veulent se mettre en règle car ils peinent à trouver du travail, puisque la plupart des entreprises refusent de faire un contrat à quelqu’un qui n’a pas de papiers. Mais la plupart des gens que je reçois font exactement ce qu’il faut : ils déposent un dossier deux mois avant que leur permis de séjour ne devienne caduc. Malgré cela, ils n’ont jamais leurs papiers à temps ! Ils viennent, paniqués, parce que leur titre de séjour arrive à échéance. Certains n’ont plus de papiers depuis des mois et craignent de se faire licencier. Ces jeunes arrivent à se débrouiller seuls, pour travailler ou trouver un logement. Leur vrai problème, ce sont les papiers…
Actu-Juridique : Quelle est la procédure de renouvellement ?
Pascal Godon : On demande aux gens d’engager une nouvelle demande deux mois avant la fin de validité de leur titre. Ils doivent déposer leur dossier, et ensuite recevoir une convocation soit pour des questions supplémentaires, soit pour qu’on leur donne des papiers. Il n’y a pas de délai de réponse légal de la part de la préfecture – c ’est d’ailleurs un problème ! Certaines préfectures osent écrire : « Ne soyez pas pressé, l’analyse de votre dossier peut prendre un an ». Le délai moyen pour un dossier qui fonctionne c’est entre 2 et 4 mois. Mais avant même d’en arriver là, toute la difficulté pour les demandeurs est de trouver un créneau pour déposer un dossier en ligne. Personne ne vous le dira, mais il y a un quota de dépôt de dossiers par jour ! Au-delà d’un certain nombre de dépôts, les demandes ne sont plus traitées. On vous dit de vous reconnecter le lendemain. Cela peut durer ainsi des semaines, des mois. Il y a des astuces : à certaines heures de la nuit, de nouveaux créneaux apparaissent. Mais beaucoup l’ignorent…
Actu-Juridique : Les personnes peuvent-elles aller déposer leur dossier en préfecture ?
Pascal Godon : Pendant le premier mandat du président Emmanuel Macron, le secrétaire d’État en charge de la Numérisation des administrations avait promis à Jacques Toubon, alors Défenseur des droits, qu’il y aurait toujours dans toutes les administrations des personnes pour recevoir public. En dépit de cet engagement pris, l’État a complètement supprimé la visite en préfecture. Le dépôt de dossier se fait désormais 100 % sur le site. C’est discriminatoire ! La plupart des étrangers ont un téléphone portable, mais peu d’entre eux ont un ordinateur. Certes, la plupart des jeunes vont trouver une manière de se connecter. Mais est-ce normal qu’un jeune qui arrive du Niger se retrouve plongé dans le système le plus compliqué qu’on puisse imaginer de nos jours ? Il y a une forme de ségrégation : ceux qui ne sont pas capables de se servir d’un ordinateur dégagent. Ce n’est pas acceptable dans une République qui se veut égalitaire. Cela dit, la préfecture de Paris n’est pas celle qui marche le plus mal alors qu’elle a le plus de candidatures.
Actu-Juridique : Pourquoi les préfectures fonctionnent-elles ainsi ?
Pascal Godon : L’explication est simple : un préfet préfère être condamné par le tribunal administratif que de laisser quelqu’un s’inscrire. C’est de la lâcheté. Les préfets devraient assumer leur responsabilité et dire clairement qu’ils ne prennent pas plus d’un certain nombre de personnes. Elles agissent ainsi car elles ne risquent pas de se faire reprendre par leur ministre de tutelle, disant qu’ils ont donné trop de permis de séjour. La France est très hypocrite. L’État n’ose pas avouer qu’il ne veut pas d’étrangers et met des barrières administratives. l’État est un édredon. Il a peur de Marine Le Pen et du coup fait sa politique. Il faut donc que le tribunal administratif intervienne, de sorte que le préfet puisse ensuite dire à son ministre : « J’ai été condamné, je suis bien obligé d’exécuter ». Et encore, des préfets se permettent de ne pas exécuter tout de suite les décisions…
Actu-Juridique : Quelle est la conséquence pour les tribunaux administratifs ?
Pascal Godon : En France, dans 70 % des tribunaux administratifs, la moitié de l’activité est due à ces difficultés d’obtenir des rendez-vous en préfecture. Les juges se prononcent en référé dans un délai de quinze jours. Mobilisés par cela, ils ne peuvent pas régler d’autres problèmes d’ampleur. C’est absurde ! Au Centre d’information et de documentation des jeunes, nous avons un pool avec les juristes et savons faire en sorte que ces personnes voient leurs droits respectés. Ces juristes leur disent de faire des captures d’écran montrant qu’ils n’ont pas pu déposer leur dossier. Cela leur permet de déposer une demande en référé devant le tribunal administratif. En général, le tribunal administratif donne raison au candidat et donne l’ordre à la préfecture d’examiner son dossier.
Mais cela ralentit énormément le système. On fait travailler plusieurs fois la préfecture. Évidemment, certains étrangers ne savent pas tout cela. Il faudrait faire de la publicité dans les centres d’accueil, en faisant connaître la marche à suivre s’ils n’arrivent pas à avoir de rendez-vous.
Actu-Juridique : Que pouvez-vous faire en tant que délégué du Défenseur ?
Pascal Godon : Les délégués du défenseur des droits sont un service de l’État et ne peuvent donc pas attaquer l’État. Je prends ma plus belle plume avec les arguments que le jeune que je reçois me donne et la copie des courriers qu’il a échangés avec la préfecture. J’écris au préfet pour rappeler qu’un dossier a été déposé à telle date. Je lui demande de m’indiquer si des pièces manquent au dossier ou de me donner la date à laquelle la personne sera convoquée pour recevoir son titre de séjour. Parfois, il faut écrire trois fois, mais ça déclenche en général l’analyse du dossier et, très souvent, l’obtention des papiers… À chaque fois que j’écris à un préfet et qu’il donne des papiers à quelqu’un, c’est toujours ça de pris. Seulement, j’en défends cinq par semaine. Ils sont des dizaines, des centaines, à ne pas nous connaître et à rester sur le bord de la route.
Actu-Juridique : Vous sentez-vous utile ?
Pascal Godon : Je crois en effet que l’institution à laquelle j’appartiens a son utilité. Elle est malheureusement un peu désarmée. Nous ne sommes malheureusement qu’une goutte d’eau, au mieux dans une cuvette, plus vraisemblablement dans la mer. C’est néanmoins un contrepouvoir utile et nécessaire. L’accueil des étrangers en France est lamentable. Nos petits enfants auront à se confronter à l’immigration massive, du fait des dérèglements climatiques. Après la guerre du Vietnam, le président Valéry Giscard d’Estaing, interpellé par quelques philosophes, avait pris la décision d’accueillir 150 000 personnes. Je me demande ce que font nos philosophes aujourd’hui, alors que la politique migratoire se résume à l’adoption d’une loi répressive chaque année.
Référence : AJU006j6